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Frédéric Bastiat | |
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1801-1850 | |
Auteur Minarchiste | |
Citations | |
'L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde. Car, aujourd'hui comme autrefois, chacun, un peu plus, un peu moins, voudrait bien profiter du travail d'autrui. Ce sentiment, on n'ose l'afficher, on se le dissimule à soi-même; et alors que fait-on? On imagine un intermédiaire, on s'adresse à l'État, et chaque classe tour à tour vient lui dire: « Vous qui pouvez prendre loyalement, honnêtement, prenez au public, et nous partagerons.' | |
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S'il existait un dictionnaire des catastrophes prévues de longue date, on pourrait y lire les propos que voici, contemporains des premières sociétés de secours mutuel jaillies spontanément au milieu du XIXe siècle chez les ouvriers : "Supposez que le gouvernement intervienne. Il est aisé de deviner le rôle qu'il s'attribuera. Son premier soin sera de s'emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser et, pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable." C'est ainsi qu'est né notre système de protection sociale, en effet. Et quoi d'autre ? "Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l'institution quand sa caisse sera alimentée par l'impôt ; quand nul, si ce n'est quelque bureaucrate, n'aura intérêt à défendre le fonds commun ; quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus, se fera un plaisir de les favoriser ; quand aura cessé toute surveillance mutuelle et que feindre une maladie ce ne sera autre chose que de jouer un bon tour au gouvernement ? (...) Il nommera des vérificateurs, des contrôleurs, des inspecteurs, on verra des formalités sans nombre s'interposer entre le besoin et le secours. Bref, une admirable institution sera, dès sa naissance, transformée en une branche de police."
C'est si vrai qu'il a fallu créer la commission Informatique et Libertés pour contrecarrer cette tendance. Et jusqu'où se poursuivent les déductions de notre logicien ? "Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu'ils administrent, qu'ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, ils s'accoutumeront à regarder le secours, en cas de maladie ou de chômage, non comme provenant d'un fonds limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la société." "L'État se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget. Là, rencontrant l'opposition des commissions de finances, il se trouvera engagé dans des difficultés inextricables. Les abus iront toujours croissant, et on en reculera le redressement d'année en année, comme c'est l'usage, jusqu'à ce que vienne le jour d'une explosion." Nous y sommes.
"Mais alors on s'apercevra qu'on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d'un ministre ou d'un préfet, même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d'avoir perdu jusqu'à la notion du droit, de la propriété, de la liberté et de la justice." Charmant tableau signé Frédéric Bastiat (1801-1850) dont les oeuvres complètes tiennent en sept volumes. Bastiat, champion du libre-échange, propagandiste de l'État minimum, pédagogue du droit de l'individu et, de là, pourfendeur du socialisme. Un économiste optimiste, parfois angéliste. Un temps fort célèbre, il est tombé dans l'oubli. Le libéral inconnu, en quelque sorte ? Presque. On ne l'enseigne plus. Son nom surnage dans la mémoire des rares intellectuels qui ont lu L'histoire des doctrines économiques où Karl Marx lui règle son compte. Ses textes ne sont connus que d'un petit nombre d'économistes et de politiciens. Mais Mme Thatcher en a cité de mémoire des paragraphes entiers pour épater Giscard ; mais Ronald Reagan le lisait déjà avant d'entrer en politique. Bastiat est toujours à l'étalage des librairies aux États-Unis, publié au Brésil, pratiqué au Japon, traduit en lituanien.
Et nous, alors ? Ne sommes-nous pas capables aujourd'hui d'apprécier comme les autres quelqu'un qui donne cette définition de l'État : "La grande fiction à l'aide de laquelle tout le monde cherche à vivre aux dépens de tout le monde" ? Quelqu'un qui démontre en termes limpides combien les barrières douanières, loin de le protéger, appauvrissent un pays en spoliant le consommateur au profit des producteurs ? Remplaçons "pays" par "Union européenne" et vérifions si nous n'avons pas, encore aujourd'hui, à débattre le sujet. Ce qui frappe chez Bastiat, c'est l'utilisation de l'humour, outil rare chez les économistes. Il applique au protectionnisme des monopoleurs comme aux fantasmagories socialistes un raisonnement pointilleux poussé jusqu'à l'absurde. D'apologues en fabliaux, il est le roi du pamphlet sans hargne. Il excelle à faire comprendre les effets pervers des meilleures intentions, à dévoiler la spoliation sous le slogan partageur. Pour expliquer les méfaits du protectionnisme, Bastiat imagine que les fabricants de chandelles pétitionnent auprès des députés. Ils dénoncent l'intolérable concurrence d'un rival étranger qui fait baisser les ventes dès qu'il se montre : le soleil. Les pétitionnaires fictifs demandent "une loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, oeils-de-boeuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d'avoir doté le pays". Loi qui encouragerait la production et répandrait l'aisance dans toutes les branches du travail national, bien entendu. Qui est cet original ? D'où vient-il, que fait-il ? A l'époque où il propose au public cette "Pétition des fabricants de chandelles", on peut le voir arpenter le centre de Paris par les rues sans pavés, les mollets éclaboussés de boue, son mètre soixante-dix abrité sous un grand parapluie campagnard. Amateur de course à pied, mince, l'effort ne lui fait pas peur ; des amis l'ont vu sauter par-dessus un billard en prenant appui d'une main. Il a passé la quarantaine, porte les cheveux longs sous son chapeau haut. Le soir, il fréquente les salons. Sa redingote est trop large, les couleurs du gilet et du pantalon ne sont pas assorties suivant la mode de la capitale, mais son accoutrement ne fait pas sourire. On l'attend, on l'admire, on est venu l'écouter. De son bel accent du Sud-Ouest, il rappelle le but de tous les efforts de la manufacture, des services : la consommation. Pour bien raisonner, il importe de voir l'intérêt des consommateurs avant celui des producteurs.
Frédéric Bastiat est conseiller général des Landes. Il n'est monté à Paris que depuis 1845, après avoir passé vingt ans tranquilles à faire le gentleman-farmer à Mugron, une bourgade de deux mille habitants sur l'Adour, où il exerce la fonction de juge de paix. A Mugron, Bastiat apprend par hasard, en 184, à quel point l'Angleterre s'agite sur la question du protectionnisme et du libre-échange. L'importation de céréales y est soumise à des taxes prohibitives, dont le prétexte est de protéger l'agriculture anglaise, et qui servent à enrichir les grands propriétaires fonciers. Richard Cobden, un filateur de Manchester, à la tête de la Ligue contre les droits, soulève le pays depuis des années par ses discours libre-échangistes. Voilà qui passionne notre homme des champs. Il est né dans une famille de négociants bayonnais. L'entreprise familiale commerce de la laine avec l'Espagne et le Portugal, exporte vers la Hollande vins français et espagnols, possède une succursale à Madrid, une autre à Bordeaux. A 17 ans, Frédéric a appris l'anglais, l'italien et l'espagnol à l'école moderne de Sorèze, dans le Tarn. Il rejoint son oncle dans leur firme d'import-export pour sept années. Autodidacte, donc. C'est le portrait qu'on trace toujours de lui. Il est incomplet. Frédéric Bastiat a reçu une autre formation. A l'âge inhabituel de 19 ans, il entre dans la loge franc-maçonne libérale de Bayonne, "la Zélée". Y suivent treize ans de discussions politiques, philosophiques et économiques avec ses frères maçons. Parmi eux, plusieurs membres de sa famille et de jeunes bourgeois, tous progressistes. La franc-maçonnerie est dans l'air du temps. Nombre des hommes importants du demi-siècle qui nous occupe en sont membres, des maréchaux de Napoléon III à la presque totalité du gouvernement provisoire de 1848, en passant par les acteurs de la révolution de 1830. C'est d'ailleurs le fameux banquier Laffitte, maçon, bayonnais et ministre en 1831, qui fait nommer Bastiat juge de paix. Lorsqu'il s'emballe pour Cobden, Bastiat a donc déjà réfléchi à la pensée de Jean-Baptiste Say, d'Adam Smith ou de Ricardo, il a formé ses propres idées sur les échanges, sur la valeur, sur la propriété. Bastiat écrit un article, "De l'influence des tarifs français et anglais sur l'avenir des deux peuples", et l'envoie à Paris au Journal des économistes. Il annonce que l'Angleterre, grâce à la liberté du commerce, dépassera bientôt la France, retardée par son protectionnisme. Il voit juste. La Ligue de Cobden triomphera en 1846, la Grande-Bretagne prendra un essor formidable. La France ne se rendra aux arguments libre-échangistes que quinze ans plus tard. Cette petite avance durera un siècle. Dans ce même article, Bastiat fustige, à coup d'arguments économiques et sociaux, la politique coloniale aux Antilles et en Afrique. Il y a tout à perdre à substituer des marchés réservés à des marchés libres. "Le régime prohibitif est une cause permanente de guerres ; (...) pour ouvrir des débouchés, ce n'est pas de la force, c'est de la liberté qu'il faut", écrit-il en pleine conquête de l'Algérie, où l'installation de colons a succédé à l'éradication des pirates de la côte barbaresque. L'article de Bastiat frappe les esprits. Dans la foulée, à s'installe à Paris, publie un livre sur Cobden. Voilà Bastiat lancé. On lui fait fête, il crée l'Association pour la liberté des échanges, on lui propose de diriger Le Journal des économistes, il est reçu à l'Académie des sciences morales et politiques, fonde un journal, écrit dans trois autres, donne des cours. Ce tourbillon s'accélère à la révolution de 1848. Il siège à gauche. Député des Landes à l'Assemblée constituante, il oppose pamphlet sur pamphlet, article sur article aux utopistes de la IIe République : les socialistes Victor Considérant et Louis Blanc, le communiste Étienne Cabet. Il polémique treize semaines d'affilée avec Pierre Joseph Proudhon, l'anarchiste, dans La Voix du peuple, entame un traité, Les harmonies économiques. Épuisé, les poumons atteints, la voix malade, il cherche à se rétablir en Italie et meurt à Rome, à 49 ans, dans les bras d'un cousin prêtre.
Bastiat tient sa place dans l'histoire de la science économique. Il a défini la valeur en explorant tous les cas de figures imaginables, de la valeur du blé et de la houille à celle d'un air chanté par la Malibran dans un salon particulier, en passant par la rente du soi pour aboutir au prix qu'on peut obtenir d'un diamant trouvé par hasard. Il conclut que la valeur n'est ni liée au travail, ni à l'utilité, mais au rapport entre deux services échangés. Que le travail épargné à autrui est un service qu'on lui rend. On trouve le chapitre "Valeur", dans Les harmonies économiques, le traité inachevé de Bastiat. Que signifie ce titre ? Bastiat pense, au contraire de ses contemporains socialistes, que les intérêts des uns et des autres ne sont pas antagoniques, mais harmoniques. Il est indigné par une phrase de Montaigne, "le proufict de l'un est le doumage de l'autre", et s'y oppose longuement. Un fois attelé à son traité, il ne cesse, comme il l'écrit à un ami, de découvrir de nouvelles harmonies. On ne peut s'empêcher de penser à la quête maçonnique à laquelle s'adonnait sa famille : Force, Sagesse et Beauté, le tout formant l'Harmonie. Le dernier chapitre traite carrément des rapports de l'économie politique avec la religion. Le fondement de la réflexion de Bastiat, son socle, c'est la liberté. La Liberté, écrit-il, car il est très amateur de lettres majuscules et d'italiques pour souligner la pensée, comme s'il rédigeait avec l'accent tonique. Pétri de la notion primordiale du droit de l'individu, de la primauté de la personne sur le groupe, il applique cette prémisse à toute sa réflexion. Il lui est loisible de la faire connaître au public, l'heure est aux idées neuves: 1848, c'est la révolution. Contre l'immobilisme imposé par Louis-Philippe, pour la réforme électorale - assouplissement du système censitaire -, pour la liberté de réunion, contre la misère, se dressent les étudiants et les ouvriers, les francs-maçons et autres sociétés secrètes, les républicains, les membres de la Garde nationale. En face, l'armée. Émeutes, fusillades, abdication, pillage des Tuileries, République, gouvernement provisoire, tout bascule en quelques jours, en quelques heures. Chacun considère sous tous les angles possibles "la question sociale", "le problème social". La plus forte critique de Bastiat tient en une phrase : "Tous ont vu entre l'humanité et le législateur les mêmes rapports qui existent entre l'argile et le potier."
A qui appartient le produit manufacturé ? A l'ouvrier qui l'a fait, au capitaliste qui possède la manufacture ? A qui appartient la terre ? À celui qui la met en valeur de sa charrue, à celui dont les ancêtres se la sont appropriée ? Et les loyers ? Et le prêt à intérêt ? "La propriété, c'est le vol ! " conclut Pierre Joseph Proudhon. Pourquoi certains ont-ils tout et d'autres rien ? Redistribuons tout, s'écrient les communistes. Bastiat ne manque pas l'occasion d'enfoncer le clou : " Le protectionnisme a été l'avant-coureur du communisme ; je dis plus, il a été sa prenùère manifestation. Car, que demandent aujourd'hui les classes souffrantes ? Elles ne demandent pas autre chose que ce qu'ont demandé et obtenu les capitalistes et les propriétaires fonciers. Elles demandent l'intervention de la loi pour équilibrer, pondérer, égaliser la richesse. Ce qu'ils ont fait par la douane, elles veulent le faire pour d'autres institutions ; mais le principe est toujours le même : prendre législativement aux uns pour donner aux autres". Notre droit, issu du droit romain, régente la propriété. Affligé qu'on se règle encore sur un peuple qui vivait de rapine et d'esclavage, Bastiat considère que la notion de propriété précède celle de droit. Et de réclamer contre le monopole de l'enseignement du droit, contre "l'éducation universitaire et cléricale", qui dispensent à la jeunesse "cette atmosphère de guerre et d'esclavage". Pas plus qu'il n'approuve une éducation nationale, Bastiat n'admet que l'Etat décrète une religion nationale. La loi doit servir à éviter l'injustice, rien de plus. Si elle sert à prendre aux uns pour donner aux autres, elle sera cause perpétuelle de haine, de discorde et de révolution. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis la guerre civile lui semble inévitable à cause de l'esclavage et du protectionnisme. C'est pour la même raison que Bastiat ne cesse de refuser à grands cris la Fraternité obligatoire, comme il la nomme, des révolutionnaires de 1848.
Il faut dire que l'époque est particulièrement féconde en innovations. Le gouvernement provisoire rassemble toutes les tendances, des républicains modérés aux démocrates les plus énergiques, tel Louis Blanc. Lamartine, aux Affaires étrangères, arbitre, s'oppose à la foule armée qui veut imposer le drapeau rouge, qui exige le droit du travail, c'est-à-dire l'interdiction du chômage et un salaire garanti pour tous. Le gouvernement accorde la création des Ateliers nationaux. C'est l'idée de Louis Blanc, secrétaire du gouvernement. L'État embauche aux Ateliers nationaux tous les chômeurs pour des travaux d'utilité publique. La paye est bonne : les ouvriers quittent leurs usines et leurs manufactures pour profiter de l'aubaine. Le pays est paralysé par la révolution, le chômage et la misère s'étendent, la famine apparaît dans Paris. Au bout de trois mois, le dixième de la population, cent mille personnes, émargent aux Ateliers nationaux, employés le plus souvent à ne rien faire ; soixante mille autres essaient d'y entrer. Les finances publiques s'effondrent.
Le gouvernement ferme les Ateliers en juin. Le socialisme a échoué en un mois, ruiné le pays en deux, il amène un bain de sang au troisième. Le Paris ouvrier se soulève dans le désespoir absolu, sans revendication et sans cri, avec le drapeau noir et cette seule phrase : "Du pain ou la mort". En face, la répression la plus sanglante, pas de quartier. On se tue en silence. Les républicains de gauche ont nommé un dictateur, le général Cavaignac, afin qu'il massacre les ouvriers qu'ils ont trompé. Pour finir, Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la République. Bastiat vote contre lui.
La France va continuer son chemin jacobin. Bastiat a anticipé et combattu ces évolutions. Mais dans notre pays, ce sont les thèses de ses adversaires qui ont prévalu : l'Etat providence, omnipotent et omnicompétent. Un pays qui se choisit pour devise liberté, égalité, fraternité ne prône pas précisément l'individualisme comme valeur suprême. Les idées individualistes de Bastiat n'ont pas prosepéré en France, mais en Amérique et en Angleterre. Il est cruel pour la mémoire de cet homme qui a tant plaidé contre les impôts spoliateurs que sa maison de Mugron abrite aujourd'hui la perception. Et ce n'est pas tout. Le président du Cercle Frédéric-Bastiat local, Jacques de Guenin, s'efforce, en hommage à son grand homme, de conquérir le siège de député qu'il occupa. Mais, ô mânes de Louis Blanc tant moqué par Bastiat, ô moqueuse postérité, la place est tenue par l'ancien secrétaire général du Parti socialiste, Henri Emmanuelli.
Cécile Romane
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