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Russell Kirk:Russell Kirk, un esprit conservateur
Russell Kirk, un esprit conservateur


Anonyme
Damien Theillier pour le Bulletin d'Amérique, en 2011


Théoricien du conservatisme américain, Russell Kirk (1918-1994) reste un des intellectuels les plus influents outre-Atlantique. Damien Theillier, Président de l’Institut Coppet, nous explique les traits essentiels de sa pensée.

Le Bulletin d’Amérique: Russell Kirk est un des théoriciens du conservatisme américain contemporain. Qui était-il ?

Damien Theiller: Professeur de littérature à l’Université du Michigan, Kirk fut peut être l’un des plus importants penseurs conservateurs américains du XXe siècle. Il était un historien, biographe littéraire, biographe politique, romancier à succès, critique social et essayiste, défenseur de la liberté académique, conseiller des présidents et des candidats à la présidentielle, catholique, stoïcien, débatteur de renommée nationale. En bref, il était à la fois un « homme de lettres » et un aristocrate de l’esprit.

Au cours de ses 43 années de carrière d’écriture, il a abordé de nombreux sujets, et il a reçu l’amitié de personnalités célèbres : Flannery O’Connor, TS Eliot, Ronald Reagan, et Ray Bradbury. Il a été surnommé, entre autres, « le Cicéron américain », le « Sage de Mecosta », (Mecosta est la ville natale de Kirk dans le centre du Michigan) ou encore le « Sorcier de Mecosta ».

Disciple de Burke et de J. H. Newman, ami de l’économiste allemand « ordolibéral » Wilhelm Röpke, il fut le fondateur de la revue Modern Age et l’auteur en 1953 d’un livre-phare pour tous les conservateurs américains : The Conservative Mind, from Burke to Eliot. Ce livre est considéré comme le point de départ du Mouvement Conservateur Moderne appelé aussi « New Conservatism », deux ans avant la création de National Review par William Buckley. Kirk contribua pendant 25 ans à cette revue qui deviendra la tribune privilégiée des conservateurs, toute tendance confondue. Une polémique célèbre l’opposa d’ailleurs au rédacteur en chef Frank Meyer, puis aux libertariens, sur la question de l’individualisme. Kirk défendait un point de vue communautaire, rejetant ce qu’il nommait « atomisme social », tandis que Meyer plaidait pour une alliance de la liberté individuelle et de la vertu, l’une étant indissociable de l’autre. En 1964 il contribue toutefois au lancement de la campagne de Barry Goldwater. Proche de Heritage Foundation, il y a prononcé plus de cinquante conférences dans les dix dernières années de sa vie. Il a été très critique de la guerre du Vietnam dans les années 1960 et de la guerre du Golfe en 1991 et il jugeait très sévèrement les libertariens pour leur agnosticisme religieux ainsi que les néo-conservateurs pour leur impérialisme démocratique.

Quel est son conservatisme ? Sur quoi le fonde t-il ?

Le conservatisme de Russell Kirk (comme le traditionalisme en général) est marqué par un certain pessimisme anthropologique et culturel. Il s’oppose à l’utopie de la perfectibilité indéfinie de l’homme et au culte de la raison. Enfin, il est sensible au déclin de la civilisation et aux conséquences sociales du rejet de l’ordre naturel. Un thème commun à Léo Strauss ou à Eric Voegelin, ses contemporains.

C’est la primauté du spirituel qui caractérise l’esprit conservateur selon Kirk. Dans son livre The Conservative Mind, from Burke to Eliot, Kirk rappelle à ses lecteurs que les problèmes politiques sont fondamentalement des « problèmes religieux et moraux » et que pour se ressourcer, une société a besoin de puiser au-delà du politique et de l’économique. Pour autant, cette primauté du spirituel n’est pas du moralisme, elle peut s’incarner dans le politique et l’économique. Mais il n’y a pas de politique sans un principe spirituel qui la fonde.

Il faut insister aussi sur le fait que le mouvement intellectuel conservateur en Amérique n’est pas un mouvement monolithique. Et Kirk lui-même a évolué dans sa pensée au fur et à mesure de ses recherches. Il n’était pas un idéologue politique et il a toujours déploré les tentatives visant à remplacer la recherche ouverte de la vérité par des dogmes idéologiques. Pour cette raison, ses livres et essais ne contiennent pas de plates-formes politiques ou de plans sur la façon dont le pouvoir politique peut résoudre les problèmes sociaux. C’est pourquoi le conservatisme de Kirk n’est pas une idéologie mais un ensemble de principes prudentiels, c’est-à-dire acquis par l’expérience et la sagesse des générations. « Le conservateur, disait-il, est une personne qui essaye de conserver le meilleur de nos traditions et de nos institutions, et de concilier cela avec une réforme nécessaire de temps en temps. »

Kirk a tenté de définir les principes conservateurs. Quels sont-ils ?

Les principes conservateurs, selon Kirk, sont des principes de la civilisation, ancrés dans l’histoire. Dans son Program for Conservatives, il identifie deux piliers du conservatisme : l’État de droit et un ordre moral transcendantal. L’État doit être fort dans ses tâches régaliennes mais accomplissant pour le reste une « cure d’humilité ». Les conservateurs luttent contre toute forme de collectivisme. Ils défendent les corps intermédiaires et la subsidiarité. Par ailleurs, devant la « crise morale issue de l’orientation scientiste et matérialiste de la fin du Moyen Age », il s’agit de réhabiliter la loi naturelle, socle de la civilisation chrétienne.

Dans The American Cause (1957), il explique comment les Pères Fondateurs ont essayé de créer un gouvernement fondé sur trois corps de principes : éthiques, politiques et économiques. La croyance en Dieu et le respect de la loi naturelle sont les principes éthiques. La justice, l’ordre et la liberté sont les principes politiques. Enfin le libre marché et la libre entreprise sont les principes économiques. Le libre marché est le système économique le mieux adapté à la nature humaine c’est-à-dire aux exigences de la justice, de l’ordre et de la liberté. Un système de libre marché concurrentiel favorise la justice – « à chacun le sien » — en permettant aux individus de promouvoir leurs talents et leur travail. Il favorise l’ordre parce qu’il permet à chacun de servir ses intérêts et ses ambitions. Enfin, le libre marché favorise la liberté parce qu’il est fondé sur des choix librement consentis. Là où la liberté économique est érodée, la liberté morale et politique commencent à disparaître. Finalement Kirk se sentait intellectuellement très proche de Wilhelm Röpke, qui fut président de la Société du Mont Pèlerin et dont il était l’ami.

Quels livres faudrait-il lire de Russell Kirk ?

Russell Kirk n’a jamais été traduit en français. Par contre on peut lire avec profit : Nicolas Kessler, Le conservatisme américain (Que Sais-Je ?, PUF, 1998). Nicolas Kessler est un fin connaisseur de Russell Kirk et son livre est, à mon sens, le meilleur livre écrit en français sur l’histoire de ce mouvement et le rôle joué par Kirk. Le Bulletin d’Amérique publiera d’ailleurs bientôt, avec son autorisation, un article de Nicolas Kessler sur Robert Nisbet, qui fut un compagnon de route du New Conservatism, et un grand sociologue américain.

Mais pour les anglophones, je conseillerais de lire deux petits livres de Kirk qui forment une bonne synthèse de sa pensée : A Program for Conservatives (1954), disponible en version électronique pour iphone et ipad et The American Cause (1957, réédité par ISI Books en 2002) (lire l’introduction ici). Il existe également des biographies récentes : Russell Kirk : A Critical Biography of a Conservative Mind par James E. Person, Jr., Russell Kirk and the Age of Ideology par W. Wesley McDonald ou encore The Postmodern Imagination of Russell Kirk par Gerald J. Russello*. Enfin, signalons l’existence d’une version abrégée de The conservative mind, disponible en libre accès sur le web.

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  • A Critical Biography of a Conservative Mind par James E. Person, Jr. (Lanham, MD: Madison Books, 1999). 249 pp;

Russell Kirk and the Age of Ideology par W. Wesley McDonald. (Columbia, MO: University of Missouri Press, 2004). 243 pp;

The Postmodern Imagination of Russell Kirk par Gerald J. Russello. (Columbia, MO: University of Missouri Press, 2007). 248 pp.

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