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Jean-Yves Naudet
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Jean-Yves Naudet:Société et subsidiarité
Société et subsidiarité


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Conférence de Jean Yves Naudet, professeur d'Economie à l'Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, à l'occasion de la XXIII° Université d'Eté de la Nouvelle Economie, qui se tenait à Aix en Provence du 2 au 4 septembre 2000.

La définition du principe de subsidiarité est difficile, car elle comporte de nombreux risques d’ambiguïté. En effet, en apparence, il s’agit d’un mot savant, du vocabulaire religieux, récent, limité, voire même non libéral. Or, la réalité est différente de ce tableau.

On dit qu’il s’agit d’un mot savant, mais il recouvre une idée simple et essentielle et nous sommes souvent partisans de la subsidiarité sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose lui aussi sans le savoir. C’est le mode naturel d’organisation des sociétés. On dit qu’il s’agit d’un mot du vocabulaire religieux, longtemps réservé au catholicisme social et à la doctrine sociale de l’Église, précisée par un pape, Pie XI, approfondie par ses successeurs, alors qu’il s’agit, avant tout, d’un terme qui s’applique à la société politique et à la société civile, qui figure même dans des traités internationaux, ou dans des constitutions fédérales, qui est utilisé par des juristes et des économistes et donc largement déconnecté de son contexte religieux, largement laïcisé. L’Église catholique a inventé le mot, pas nécessairement la chose et elle n’en a pas le monopole.

On dit que c’est un mot récent, puisqu’il est inventé par le pape Pie XI en 1931, voire auparavant par Mgr Ketteler à la fin du 19e siècle, un peu avant Rerum novarum. Or, l’idée est ancienne, elle vient de la philosophie réaliste européenne et sa généalogie passe par Aristote, Saint Thomas, Locke ou Tocqueville et donc il s’agit d’un concept ancien de la philosophie politique ou économique.

On dit que c’est un mot limité, limité à l’organisation administrative d’une société. (Certains ne l’appliquent même qu’au droit administratif), limité à la répartition du pouvoir entre l’État et les autres collectivités publiques, alors qu’il touche toute l’organisation de la société et d’abord la répartition des sphères d’influence entre la société politique et la société civile.

Enfin, on dit que c’est un mot souvent avancé par des non-libéraux, par exemple par des corporatistes à la fin du 19e, au début du 20e siècle, voire des étatistes pour défendre ou augmenter la place de l’État, alors qu’il s’agit d’un concept fondamental de la philosophie libérale, destiné à marquer les droits de l’individu, l’aptitude de chacun à gouverner sa propre vie, la souveraineté de la personne, et donc à réduire la prétention de l’État à occuper le plus d’espace possible.

Est-ce que l’étymologie peut alors nous éclairer ? Le mot « subsidiarité » vient du latin subsidium qui signifie « secours » et qui est entendu en son sens militaire. C’est une ligne de réserve ou une troupe de réserve dans l’ordre de bataille, d’où l’idée de soutien, de renfort, de secours, d’aide, d’appui, voire même à l’extrême d’assistance, avec toutes les ambiguïtés du mot. C’est là qu’il faut être clair. Ce sont des troupes dont on ne se sert pas normalement. Ce ne sont pas ces troupes qui livrent en temps normal la bataille. Elles constituent un appoint en cas de besoin, en cas de défaillance exceptionnelle et pour la durée de la défaillance, donc une intervention provisoire. Ces troupes viennent à l’appui du principal, donc elles ne sont pas le principal, comme peut l’être une raison subsidiaire dans une argumentation ou une question subsidiaire dans un concours. Donc secourir n’est pas remplacer, et ce n’est pas secourir que de proposer une aide superflue et, habituellement, en temps normal, on n’a pas besoin de secours et cela concerne toutes les communautés et les organisations et pas seulement l’État qui n’est pas le seul à pouvoir apporter son concours.

L’histoire nous aide-t-elle alors à lever les ambiguïtés ? Et bien, en apparence, le mot a une généalogie courte, en réalité, son histoire est beaucoup plus longue.

En apparence, le mot a une généalogie courte : celle du catholicisme social. On se situe dans la deuxième moitié du 19e siècle et ces idées sont favorisées par un retour en force du thomisme dans les idées religieuses de l’époque. Il semble que ce soit Mgr Ketteler, évêque allemand qui ait fait apparaître dans les premiers l’idée, par exemple, à partir de la formule suivante : « tant que la famille, la commune, peuvent se suffire pour atteindre leur but naturel, on doit leur laisser la libre autonomie. Le peuple règle lui-même ses propres affaires ».

Mais Mgr Ketteler n’était pas le seul, et l’idée était dans l’air du temps religieux de la deuxième moitié du 19e siècle. On peut en voir une bonne illustration à partir d’un exemple concret qui est celui de l’éducation, tel qu’il est présenté par un des évêques important de l’époque, Mgr Freppel, lors d’un débat à la chambre des députés en 1887. Il dit ceci, et en tire des conséquences générales : « l’enseignement primaire est avant tout un service familial et ce n’est que subsidiairement et à défaut de la famille qu’il peut devenir un service communal, certains disent un service d’État, et il serait facile de contester qu’il puisse jamais être un service d’État, car la fonction éducatrice n’entre nullement dans l’idée de l’État qui est pouvoir de gouvernement et non pas un pouvoir d'enseignement. Dire que c'est un service d’État, c’est franchir un abîme que l’absolutisme seul peut franchir ». Il s’agit donc, poursuit Mgr Freppel, avant tout d’un service familial, car de droit naturel, les enfants appartiennent à leurs parents et ils doivent s’en occuper au même titre que de les nourrir.

Mais, il y a là, dit Mgr Freppel, une vraie doctrine sociale : ne pas inverser l’ordre des facteurs. Ce n’est pas l’État qui fonde et entretient les écoles, le principe essentiel est le suivant -je cite- : « … l’État ne doit faire que ce que les particuliers et les associations secondaires ne peuvent pas faire. Si vous sortez de ce principe, ajoute l’Évêque, vous êtes en plein dans le socialisme d’État. Alors, le gouvernement s’obstine à faire quantité de choses qu’il devrait abandonner à l’initiative privée ».

Au-delà ce cette origine, l’idée est reprise par Léon XIII, dans Rerum novarum, en 1891. Le principe, bien que non explicitement nommé constitue toute l’ossature de son texte, pour respecter la dignité humaine, et non pour égaliser les résultats, et la dignité implique la liberté et nécessite donc de limiter au maximum les interventions étatiques.

Mais c’est bien entendu Pie XI qui va approfondir la définition en 1931 dans Quadragesimo anno ; je cite : « … il ne reste pas moins indiscutable qu’on se saurait ni changer, ni ébranler, ce principe si grave de philosophie sociale ; de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi, ce serait de commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social que de retirer aux groupements d’ordre inférieur pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes ».

Donc, ce n’est pas seulement un problème d’efficacité, mais un principe fondamental, intangible, lié à la justice et à l’ordre social, c’est l’une des conditions de la dignité des personnes. Je cite encore : « … l’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, non pas de les détruire, ni de les absorber ». Cela vaut pour toute autorité et pas seulement pour l’État.

Tous les papes ont repris la même idée tout au long du 20e siècle et je ne citerai que Jean-Paul II qui y fait allusion dans Centesimus annus, dans le paragraphe 48 consacré au rôle de l’État et à la critique de l’État providence : « … dans ce cadre - dit Jean-Paul II - il convient de respecter le principe de subsidiarité, une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’ordre inférieur en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité ». Il en donne une illustration immédiate et critique par sa critique radicale de l’état de l’assistance et de sa bureaucratie ruineuse. La subsidiarité, c’est le contraire de l’Etat-providence.

Mais cette généalogie courte, en apparence, cache en réalité une histoire beaucoup plus longue. Chantal Millon Delsol a bien montré qu’elle s’inscrit dans toute l’histoire de la philosophie européenne. Elle en fait remonter l’idée à Aristote, plus près de nous à Saint Thomas, donc au courant de la philosophie réaliste. On se situe dans le cadre du réel et non pas du constructivisme. On n’est pas dans le cadre de l’utopie, ni de la perfection, mais dans celui de la prudence. Ce n’est pas un idéal abstrait, il s’agit simplement de gouverner des hommes dignes, mais imparfaits. On est donc dans le domaine essentiel de l’équilibre entre ordre et liberté.

Déjà chez Aristote l’idée d’un rôle de suppléance du pouvoir où chacun mène son destin comme il l’entend, la politique étant alors l’art de gouverner des hommes libres. Le moyen-âge accentuera cette idée de personne, de sa dignité, et du rôle des groupes autonomes. Plus tard, c’est Locke qui montrera que la forme de pouvoir importe moins que la limitation de son rôle. La société est souveraine, pas seulement pour choisir ses dirigeants, mais pour œuvrer à ses propres finalités. On passe alors à la liberté d’autonomie, la cité s’efface et le rôle de l’État n’est pas de se substituer à la société et aux individus, mais de garantir leur autonomie.

On le voit, la généalogie de ce concept est non seulement ancienne, mais également libérale, car c’est aussi Tocqueville : chacun peut gérer son propre destin, et les groupes sociaux savent gérer leurs affaires, d’où la vitalité de la société civile. La subsidiarité, cela consiste alors à laisser faire la personne et les communautés, considérant que chacun est apte à gouverner sa propre vie en raison de la souveraineté de la personne. On est alors passé à la lecture libérale de la subsidiarité, encore faut-il en écarter de fausses lectures.

Nous verrons d’abord, dans un premier point, quelles sont ces fausses lectures de la subsidiarité, avant de nous tourner ensuite dans un deuxième point, vers la lecture libérale de la subsidiarité.

I - Les fausses lectures de la subsidiarité

Les fausses lectures : si la subsidiarité est souvent mal comprise, voire mal aimée, c’est que l’on cache sous ce nom de faux concepts en faisant de fausses lectures de la subsidiarité. De manière non exhaustive, on peut ainsi écarter six erreurs fréquentes dans ce domaine, six fausses lectures qui nous conduiraient à des impasses.

Première fausse lecture : la subsidiarité, comme justification, en toute bonne conscience, de l’intervention de l’État.

Puisque l’on doit laisser libre désormais personnes et communautés, sauf si elles en sont incapables, il y aurait une obligation d'intervention de le la part de l’État. Chaque fois qu’existe une difficulté, l’État est là pour réguler, remplacer, faire à notre place. Ce ne sont plus les circonstances exceptionnelles ou les cas urgents, comme dit Bastiat, mais le secours de l’État bienveillant pour tous, mais l’État au centre, à l’affût de toutes nos faiblesses et sous un emballage libéral, on vend du socialisme d’État. Nous sommes tous faillibles, donc l’État va nous remplacer. Toutes les faiblesses humaines justifieraient l’intervention de l’État infaillible. ça, c’est de l’anti-subsidiarité, c’est la grande fiction qui nous protège en tout temps et en tout lieu. La subsidiarité ne met pas au centre l’État, elle doit mettre au centre la personne.

Deuxième fausse lecture : la subsidiarité à l’européenne ou encore la lecture de Jacques Delors.

Le traité sur l’Union européenne, dit traité de Maastricht, en effet parle de la subsidiarité. Jacques Delors a une conception tout à fait typique de l’organisation de l’Union européenne qui est celle d’une subsidiarité à l’envers. C’est une conception politique. Il dit lui-même : décider les problèmes qui concernent les citoyens le plus près d’eux et chaque fois que l’action communautaire apparaît indispensable elle doit le faire. Autrement dit, on ne s’intéresse pas au problème des hommes, mais des citoyens, on est dans un contexte exclusivement politique et on cherche à justifier l’intervention de la communauté européenne.

C’est une conception tout à fait particulière ; Jacques Delors, je cite encore, distingue bien les compétences de la communauté et les compétences concurrentes entre la communauté et les états membres, autrement dit ce qui est à moi, communauté, reste à moi, tout ce qui est à toi, état membre, peut être alors en discussion.

Cette conception particulière se retrouve dans le traité dit de Maastricht sur l’Union européenne, dans son article 3 b. Je cite : « … la communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées. Dans les domaines qui ne relèvent de sa compétence exclusive, la communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, qui si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres ». Autrement dit, le principe est le même : la communauté a un domaine de départ intangible, le reste est négociable en fonction des circonstances, et surtout ne concerne que le débat entre les états et l’Union européenne ; c’est une conception descendante et non remontante de la subsidiarité.

On ne part pas de la personne, mais de l’Union européenne. C’est du Jacobinisme européen, c’est la subsidiarité à l’envers et limitée à un jeu à deux acteurs : les organisations européennes et les États. Le reste n’existe pas.

On peut mieux le comprendre à partir d’un exemple savoureux, cité par Jacques Delors lui-même, une histoire de pattes de volailles. Un état membre voulait que l’on fixe dans l’une des directives européennes à quelle hauteur on devait couper les pattes de volailles, et la Commission européenne a refusé au nom du principe de subsidiarité, en répondant, ça n’est pas à l’Union européenne, c’est aux États à décider à quelle hauteur on coupe les pattes de volailles. Et bien voilà la subsidiarité selon Monsieur Delors ! La vraie subsidiarité, c’est de dire que c’est à chaque éleveur de volailles de décider et non pas à Bruxelles ou aux États.

Troisième fausse piste : la décentralisation.

Cette décentralisation est en soi une excellente chose, mais la subsidiarité ne se limite pas, comme on le dit souvent, à la décentralisation et elle repose encore sur une conception inverse : les États ont des activités légitimes. Pour des raisons de souplesse, d’efficacité, on va les concéder, et transférer des compétences à la région, au département, à la commune. On part de l’État qui, dans un geste bienveillant, transfère les pouvoirs au niveau local. Or, la vraie subsidiarité dira, au contraire, que c’est légitimement que le niveau local doit être investi de ces pouvoirs et subsidiairement le niveau supérieur.

Quatrième contresens : la subsidiarité qui concerne la seule organisation des pouvoirs publics.

Comme le dit Monsieur Delors, il s’agit de décider au plus près des citoyens, donc par exemple dans la commune si elle peut mieux le faire que la région. Et si on se demandait si le citoyen, l’entreprise, l’association, pouvaient le faire mieux que la commune ou la région ? Il y a là une idée perverse de la subsidiarité qui la limite aux seuls pouvoirs publics alors que c’est d’abord un problème de répartition entre la société civile et la société politique et donc la question n’est pas ou la commune, ou la région, ou l’État, mais la personne, ou l’association, ou l’entreprise, ou le club-services, ou l’Église, ou la fondation. Certes, mieux vaut la commune que l’État, mais mieux vaut les familles que les communes.

Cinquième contresens : les poupées russes ou la hiérarchie des communautés.

On donne souvent, d’où en particulier l’attirance à la fin du 19e siècle de nombreux monarchistes en France, l’idée d’une société organisée en communautés bien définies, hiérarchiquement liées les unes aux autres. Voilà une société close, une vision par échelons hiérarchisés, du moins important, la personne, la famille, au plus essentiel, l’État. Or, la subsidiarité, comme l’a souligné souvent Monsieur Audouin, c’est d’abord le jeu des complémentarités horizontales, ça n’est pas la société figée, c’est la mobilité, c’est la flexibilité et évidemment l’essentiel, c’est la personne et non pas l’État.

Et voilà enfin la sixième erreur qui est le corporatisme.

Le concept de subsidiarité a été récupéré en France à la fin du 19e siècle par La Tour du Pin, Albert de Mun, par des visions corporatistes de la société, c’est une vision antilibérale de la subsidiarité, la société économique est organisée en corps intermédiaires un peu comme les corporations de l’ancien régime, définitivement supprimées en 1791 ; clos, obligatoire pour tous, organisés par l’État. On est alors dans un risque de glissement totalitaire, antilibéral, dont on trouvera des applications dans l’entre-deux guerres avec Salazar ou Mussolini. C’est la suppression des libertés économiques et de la concurrence, l’idée que la liberté individuelle n’est qu’un leurre, car l’homme n’agit qu’à travers des groupes qui, eux-mêmes, seraient sous la surveillance de l’État.

C’est l’anti-contrat où chacun vit dans des organismes de droit public que sont les corporations. C’est la tentation de l’École de Liège, combattue par l’École d’Angers qui en tient, au contraire, pour des organisations uniquement volontaires et indépendantes de l’État. Léon XIII sur ce point donnera raison à l’École d’Angers, libérale, en démontrant que les associations et corporations se créent librement et n’ont aucun caractère obligatoire.

Mais la tentation est grande encore aujourd’hui (voir les syndicats, et le corporatisme) en particulier en France, est encore très actif et empêche la mise en place d’une véritable subsidiarité.

Alors quelle peut être la lecture libérale de la subsidiarité ? Quels sont, c’est le deuxième point, les éléments essentiels d’une lecture libérale de la subsidiarité ?

II - Pour une lecture libérale de la subsidiarité

Retenons sept idées, dont certaines seront vues rapidement parce qu’elles ne sont que l’envers des arguments précédemment évoqués.

Première idée : la subsidiarité, c’est la société civile en action.

La subsidiarité, c’est laisser la société civile fondamentalement libre dans son ordre communautaire, comme dans son ordre marchand. C’est la personnalité de la société au sens de Jean-Paul II. Ce n’est pas la société des castes, des corporatismes, mais la vivacité de la société civile à la Tocqueville. Cela signifie, du côté de l’État, de laisser toute son autonomie à la société civile et, du côté de la société civile, la volonté d’agir, de se prendre en charge, d’être entreprenant, actif, cela nécessite des institutions qui poussent en ce sens et non à la passivité comme l’Etat-providence par exemple. Si l’ingérence détruit la dignité de la personne, comme dans le cas de l’assistance, au lieu de la rétablir, il vaut mieux alors s’abstenir. Enfin, la subsidiarité doit s’appliquer à l’intérieur de chaque institution ou communauté, par exemple dans l’entreprise où elle est un mode élémentaire de bonne gestion.

Deuxième élément de cette lecture libérale : les droits des individus et des familles.

Avant même la société civile, la subsidiarité, c’est la personnalité de l’individu et celle des familles, communauté naturelle de base de toute société. C’est la tradition de LE PLAY, interrompue par les corporatistes, la famille est le seul corps naturel et personnes et familles ont des droits antérieurs et supérieurs à ceux de l’État, qu’aucun État ne peut remettre en cause. C’est encore plus nécessaire à l’heure de la mondialisation d’affirmer les droit des individus et des familles.

Troisième élément de cette lecture : l’ampleur n’est pas la valeur et le sommet n’est pas le couronnement.

Une lecture un peu hiérarchique de la subsidiarité présente des cercles successifs d’importance de plus en plus grande jusqu’au sommet et au couronnement qui est l’État. Or, la subsidiarité, c’est l’inverse, et l’ampleur d’une communauté ne dit rien sur sa valeur. S’il y avait un couronnement, cela serait la personne et la famille. Il faut oublier les conceptions descendantes de la subsidiarité où tout part de l’État et revenir aux conceptions remontantes ou tout part de la personne et de sa dignité.

Quatrième élément de cette lecture : des collectivités publiques locales.

Pour autant, si la subsidiarité concerne d’abord personnes, familles, société civile, elle s’applique aussi aux collectivités publiques et passe par une décentralisation bien comprise. Mieux vaut certes la famille que la commune, mais mieux vaut la commune que la région ou l’État. Mais il y a des lectures libérales du fonctionnement des collectivités locales, comme il peut aussi exister un socialisme municipal. Il faut donc avoir à l’esprit que même la commune a un rôle subsidiaire par rapport à l’entreprise, à la famille ou aux associations.

Cinquième élément de cette lecture libérale : La fin de l’État jacobin

C’est un point dont nous aurons l’occasion de reparler souvent cette semaine. La subsidiarité, c’est le contraire du jacobinisme, de l’État centralisateur, éducateur, banquier, assureur, protecteur, entrepreneur de spectacles, que nous connaissons. De nouvelles formules doivent être envisagées avec des abandons de souveraineté, des formules fédérales et souples.

Sixième élément de cette lecture : la véritable répartition se fait entre société politique et société civile.

Elle n’est pas entre l’État et la commune et la région, mais entre organisme public et société civile, c’est-à-dire personnes, familles et autres communautés volontaires. Laisser vivre et respirer les personnes et la société civile, mais si la société civile ne veut pas se prendre en charge elle-même, on reviendra au tout politique et au tout État.

Septième et dernier élément de cette lecture libérale : on parle de secours en cas de défaillance, mais secours de qui et défaillance de qui ?

Qui défaille ? Il y a un gros travail de notre part pour montrer que les défaillances des familles, des entreprises, des associations, qui justifieraient selon la subsidiarité des interventions des pouvoirs publics sont en fait dues déjà à une omniprésence de l’État et à des causes simples comme des droits de propriété insuffisamment reconnus, voyez l’environnement. Quelqu’un n’est pas défaillant s’il a les pieds et les mains liés et donc il faut réduire les défaillances, donc les secours, en libérant la société civile.

Ensuite, après qui défaille, qui porte secours ? Qui porte secours s’il y a une véritable défaillance ? Pourquoi dire défaillance, par exemple des familles dans l’éducation, donc une solution publique. Il y a bien d’autres solutions au sein de la société civile, des clubs, des fondations, des associations, des organisations privées d’entraide, des coopérations de toutes sortes. C’est vrai pour l’éducation, pour la subsidiarité, pour la solidarité, pour la protection sociale, etc. Et donc, la subsidiarité ne signifie pas l’existence d’une défaillance, donc l’intervention de l’État ou de la commune, mais premièrement de se demander pourquoi il y a défaillance et de qui et, s'il y a vraiment défaillance, alors il existe des solutions privées qui préservent la dignité et la liberté.

Conclusion


Un mot rapide de conclusion. La véritable lecture de la subsidiarité, c’est donc pour reprendre les expressions de Jean-Paul II, la personnalité de l’individu et la personnalité de la société qui avaient été éliminées par le socialisme réel, mais aussi par l’État providence ou par les économies mixtes. C’est avant tout l’idée que chacun est apte à gouverner sa propre vie, seul et en tissant des liens naturels et volontaires avec les autres au sein de communautés librement constituées. Cette subsidiarité nécessite donc le respect des droits fondamentaux de la personne à commencer par celui du droit de propriété et donc un état de droit.

C’est ce qui permettra de réaliser un autre concept important de la philosophie politique réaliste, celui du bien commun que l’on peut évoquer en conclusion. Pourquoi ? Parce que le bien commun est comme la subsidiarité un concept mal connu et déformé. On en fait un résultat, un objectif à atteindre, une sorte d’intérêt collectif ou général. Or, la définition est très différente, le bien commun, c’est l’ensemble des conditions qui favorisent le plein épanouissement des personnes. Le but du bien commun, c’est l’épanouissement libre de chacun de nous.

Cela implique des conditions, dont l’état de droit, cela passe par l’existence d’une société civile active, composée de personnes libres, capables d’agir en hommes responsables. Cela passe donc par la discrétion la plus grande possible des pouvoirs publics et la libre initiative des personnes au sien de la société civile, c’est-à-dire par la subsidiarité.

La subsidiarité, c’est donc la façon de promouvoir le bien commun, c’est-à-dire la primauté des personnes qui trouvent leur dignité dans la liberté de leurs choix responsables et peuvent ainsi s’épanouir librement au contact des autres.