Différences entre les versions de « Ludwig Lachmann:Lachmann et les institutions »
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Version du 11 mai 2007 à 08:52
Ludwig Lachmann | |
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1906-1990 | |
Auteur Libéral classique | |
Citations | |
« les institutions involontaires qui se développent graduellement comme le résultat intentionnel et imprévisible de la poursuite des intérêts individuels s'accumulent dans les interstices de l'ordre juridique » | |
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Si la problématique de Hayek est liée aux concepts d'ordre spontané et d'évolution, celle de Lachmann adopte un autre fondement. Conformément à son approche subjectiviste, il va s'interroger sur les institutions à partir d'une réflexion sur les plans qui sont subjectivement formés par les individus. Sa démarche apparaît parallèle à celle de Hayek. Pourtant, cette simple différence de point de départ oriente son analyse dans une direction qui se démarque de celle de l'auteur de Droit, législation et liberté.
Institutions et plans individuels
Les plans sont des dessins mentaux qui correspondent à des projets d'action. En concevant un plan, l'individu relie les objectifs qu'il se donne avec les moyens dont il dispose et les obstacles qu'il s'attend à rencontrer. Ainsi, pour Lachmann, le plan contient non seulement "des directives pour l'action dans l'espace et dans le temps" (1971), mais il fournit à l'individu "un cadre systématique de tous les points d'orientation pertinents pour un cours donné d'action".
La question des institutions va surgir du problème posé par les interactions individuelles. Parmi les "points d'orientation" dont dispose un individu, certains correspondent aux actions des autres individus. Or chaque plan est formé à l'origine dans l'ignorance du cours réel des événements futurs. Ils ne peuvent que les imaginer. En conséquence, lorsque l'action est mise en oeuvre, des événements imprévus surviendront. Les individus devront réviser leurs plans. Une telle flexibilité est nécessaire car liée à la connaissance limitée des individus et à la nécessité dans laquelle ils se trouvent de s'adapter à un environnement changeant.
Connaissance limitée, révision des plans, actions individuelles, la démarche de Lachmann semble jusqu'à présent proche de celle de Hayek. C'est à l'étape suivante du raisonnement que la différence de perspectives fait sentir ses effets. La révision des plans correspond en effet pour Lachmann à une volatilité des actions individuelles. On débouche alors sur le risque d'une instabilité cumulative des interactions. L'action des autres représente une partie des points d'orientation qui composent le plan de chaque individu. Si ces actions sont volatiles, les plans individuels ne comportent plus de "points d'orientation" suffisamment stables pour permettre aux individus de se construire une représentation fiable du futur. Cette position de Lachmann découle logiquement de son rejet du concept de tendance vers l'équilibre. Si chez Hayek la révision des plans permet d'améliorer la coordination entre les individus, pour Lachmann, le résultat est indéterminé et peut conduire tout aussi bien à une réduction qu'à un accroissement des déséquilibres. D'où son insistance sur la volatilité des actions et l'instabilité qui en résulte.
C'est à éviter un tel risque que vont servir les institutions. Puisqu'elles ont par définition une durée, une permanence, elles vont servir de "poteaux indicateurs" commun aux individus. Elles auront ainsi un double effet. D'une part, elles constitueront des "points d'orientation" dont la stabilité donnera aux plans individuels la fiabilité dont ils ont besoin. D'autre part, le caractère social des institutions permet de fournir des caractéristiques communes aux différents plans formés de manière subjective. Guidés par les mêmes "poteaux indicateurs", les actions individuelles se coordonneront plus facilement. Les institutions rendent en effet les actions plus régulières en stabilisant les plans. Ce sont pour Lachmann des "schèmes d'orientation de second ordre vers lesquels les planificateurs orientent leurs plans comme les acteurs orientent leurs actions vers un plan" (1971). La théorie des institutions est bien nécessaire pour compléter une théorie de l'action individuelle, et c'est de ce lien entre actions et institutions que va découler toute l'interrogation de Lachmann sur l'ordre institutionnel.
Flexibilité et cohérence : le dilemme
De la même manière que les institutions doivent réviser leurs plans lorsqu'ils acquièrent des informations nouvelles ou lorsque l'environnement varie, les institutions devront se modifier. Elles doivent être flexibles. A la différence de Hayek, Lachmann ne concentre pas principalement son attention sur les institutions qui émergent spontanément. Dans le prolongement de Menger, il distingue les institutions organiques qui sont le résultat non intentionnel des actions individuelles et les institutions pragmatiques qui sont créées de manière intentionnelle par un acte de volonté constitutif. L'ensemble de ces institutions constitue un "ordre institutionnel" lorsque le changement de certaines d'entre elles ne remet pas en cause la cohérence de l'ensemble.
Cette cohérence est importante dans la mesure où elle est la garantie de la permanence de l'ordre. C'est donc grâce à elle que les institutions continuent à être des points d'orientation stables dont les individus ont besoin pour former leurs plans. A contrario, le changement nécessaire des institutions risque de rendre volatiles ces points d'orientation et d'accroître l'instabilité du système économique. Prenons le cas des institutions pragmatiques. Ce sont essentiellement dit Lachmann des institutions qui résultent de la "volonté sociale", c'est-à-dire qui ont comme origine les décisions de l'Etat. Si l'Etat, à travers la législation par exemple, crée des règles incompatibles avec l'ordre institutionnel existant, il remet en cause sa cohérence et donc sa permanence dans le temps. Ce changement ne permet plus aux individus de prévoir les limites et la direction du changement des transformations institutionnelles puisque les nouvelles règles introduisent une logique différente de celle qui prévalait jusqu'à présent. Les points d'orientation ne sont donc plus stables et l'incertitude est accrue. Cet exemple ne doit pas induire en erreur sur la perspective de Lachmann. Il ne s'agit pas pour lui de dénoncer uniquement l'action publique pour mettre en évidence l'efficacité des processus spontanés. Le danger qu'il souligne est en effet beaucoup plus large et concerne aussi le changement des institutions organiques.
La façon dont Lachmann présente la sélection des institutions montre clairement la différence de son raisonnement avec celui de Hayek. Lachmann pense le processus de changement en analogie avec le processus de marché. Guidés par leur intérêt personnel certains individus apparaissent comme de véritables entrepreneurs institutionnels c'est-à-dire essentiellement comme des innovateurs qui cherchent à améliorer leurs positions économiques par la création de nouvelles règles. Certains échouent, d'autres réussissent. Lorsque des innovations ont réussi, elles sont imitées par d'autres individus. Jusque là, le raisonnement reste proche de celui de Hayek. Mais on remarquera un point de démarcation important entre les deux auteurs. Chez Lachmann en effet, la sélection des institutions n'est pas une sélection de groupe. Ce n'est pas parce que certains groupes prospèrent grâce à de nouvelles règles que les institutions se diffusent. C'est parce qu'elles ont améliorée la situation de certains individus.
Lachmann maintient donc, plus que Hayek, une démarche individualiste. Mais cette démarche a une conséquence redoutable que laisse entrevoir l'analogie avec le marché. De la même manière qu'on ne peut supposer chez lui la prédominance des forces équilibrantes, rien ne garantit que les nouvelles règles qui émergent spontanément maintiennent ou renforcent la cohérence d'ensemble des institutions. Ainsi, alors que chez Hayek les règles sont celles qui garantissent l'existence d'un ordre spontané, rien n'assure, chez Lachmann, que les nouvelles règles maintiendront la permanence de l'ordre institutionnel. La question centrale est donc celle de la conciliation de la flexibilité nécessaire avec le maintien de la cohérence de l'ordre institutionnel.
Une articulation nécessaire des institutions
C'est une réflexion sur l'articulation qui doit permettre, pour Lachmann, de résoudre le problème. Le raisonnement peut être mené en deux temps. Il faut préciser, tout d'abord, comment sont articulées les institutions organiques et pragmatiques. On pourra tenter, ensuite, d'intégrer la question du changement des institutions pragmatiques elles-mêmes.
Dans un premier temps en effet Lachmann considère que les institutions pragmatiques et en particulier les règles juridiques, intentionnelles et issues de la volonté sociale, établissent le cadre dans lequel se développent les institutions organiques. Ces dernières se développent alors, dit-il, dans les "interstices" laissées par les institutions pragmatiques : "Dans une telle société on pourrait dire que les institutions involontaires qui se développent graduellement comme le résultat intentionnel et imprévisible de la poursuite des intérêts individuels s'accumulent dans les interstices de l'ordre juridique. Les interstices ont été planifiés, quoique les sédiments qui s'accumulent en leur sein ne l'aient pas été et ne puissent pas l'avoir été. Dans une société de ce type nous pourrions distinguer entre les institutions externes qui constituent le cadre extérieur de la société, l'ordre juridique et les institutions internes qui se développent graduellement comme le résultat des processus de marché et d'autres formes d'actions individuelles spontanées".
Les institutions pragmatiques augmentent ainsi la prévisibilité du changement institutionnel, ce qui en limite les effets négatifs sur les plans individuels. Les points d'orientation sur lesquels se fondent les individus ne peuvent se modifier que dans un cadre clairement identifié. L'effet perturbateur de la transformation institutionnelle est nettement réduit. Pour Lachmann en effet, ce n'est pas le changement institutionnel en tant que tel qui est perturbateur, mais le changement qui n'a pas pu être anticipé. Ce n'est pas, dit-il, "le mouvement en tant que tel mais le mouvement irrégulier qui rend une institution incapable de servir comme point d'orientation".
Cette présentation n'est pourtant qu'une première approche du problème, car, dans un deuxième temps, il faut intégrer le problème du changement du "cadre externe" lui-même. On ne peut en effet supposer, dit Lachmann, que les institutions pragmatiques instaurent un cadre fixe ni même un cadre dont la vitesse de changement serait plus faible que celle des institutions organiques, spontanées. La législation peut changer rapidement sous l'impulsion de l'Etat et modifier ainsi rapidement le cadre des activités individuelles. Le problème alors se trouve repoussé à un niveau plus général : comment assurer la permanence de l'ordre institutionnel lorque toutes les institutions, organiques comme pragmatiques, varient ? Il faut, encore une fois, que ces changements s'effectuent dans certaines limites mais ces limites concernent maintenant aussi bien les institutions organiques que pragmatiques.
Cette conciliation entre permanence et changement ne pourra être effectuée que s'il existe un nombre même limité d'institutions immuables. Ces institutions Lachmann les appelle des institutions charnières : "les charnières immuables et connues en tant que telles permettront à d'autres éléments de "tourner" à l'intérieur de limites" (1979). Grâce à ces institutions charnières, les individus peuvent prévoir à la fois la direction et les limites du changement institutionnel. Tant que ces institutions charnières sont respectées, le changement ne remet pas en cause la cohérence de l'ordre institutionnel. Les individus peuvent former leurs plans en s'appuyant sur des points d'orientation fiables. Dans une économie de marché par exemple, deux institutions charnières sont essentielles pour Lachmann : la propriété privée et la liberté des contrats. L'ensemble des institutions peut changer de manière importante mais, tant que ces deux piliers sont respectés, l'ordre institutionnel conserve sa cohérence et les individus sont capables de prévoir les limites du changement imposées par le respect des institutions charnières.
Tout ce qui précède nous montre clairement que Lachmann fait moins confiance à la sélection spontanée des règles que Hayek. Ceci ne peut nous étonner : on retrouve dans l'analyse des institutions le même clvage que dans la théorie du marché. Les institutions qui émergent spontanément ne garantissent pas le maintien d'un ordre et le développement doit être encadré par des institutions créées de manière intentionnelle dans les limites posées par les institutions charnières. Partant d'une démarche qui insiste davantage sur le comportement individuel, Lachmann en vient à donner à l'Etat un rôle institutionnel plus important que celui qu'il a chez Hayek.
wl:Ludwig Lachmann
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