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Jacques Rueff
1896-1978
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Auteur minarchiste
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« Toutes les turpitudes de notre régime, j'en ai toujours trouvé la source dans des interventions de l'État. Les systèmes malthusiens donnent à leurs auteurs toutes les apparences de l'action généreuse, alors qu'ils organisent la misère et la ruine. »
« Les hymnes à l'exportation ne sont que stupidité et mensonge. [Ils supposent de n'avoir pas conscience de l'] inanité de toute distinction entre commerce intérieur et international. »
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Jacques Rueff:Les variations du chômage en Angleterre
Les variations du chômage en Angleterre


Anonyme


Article paru dans la Revue politique et parlementaire, 32, décembre 1925, pp.425-437 ; réédité dans Emil Maria Claassen et Georges Lane (eds.), Œuvres complètes de Jacques Rueff, Tome II: Théorie monétaire, livre 2, Plon, Paris, 1979, pp. 219-230

En août 1920, il y avait en Angleterre 120 000 chômeurs, sensiblement le même nombre que dans les mois précédents ou qu'en période normale d'avant-guerre.

En octobre, deux mois plus tard, il y en avait 470 000 — quatre fois plus — et ce nombre ne cessa de croître jusqu'en juin 1921, atteignant alors le chiffre à peine croyable de 2 170 000.

Il est impossible d'admettre qu'un phénomène aussi caractéristique que celui-ci ait pu prendre brusquement naissance, en un même instant, dans toutes les branches de l'activité industrielle et en toutes parties du Royaume-Uni, sans avoir été provoqué par une cause générale, elle-même bien caractérisée. C'est à la recherche du phénomène qui a pu faire naître au cours du 4è trimestre de l'année 1920 la crise sévissant encore actuellement en Angleterre qu'est consacrée la présente étude. Elle a permis de mettre en lumière, on le verra dans la suite, la cause déterminante du chômage anglais et d'énoncer les conditions dans lesquelles on pourrait en attendre, soit l'atténuation, soit même la disparition complète.

1. La relation entre le taux de salaire réel et le chômage.

Pour tenter cette recherche on a suivi la méthode habituelle en essayant de dégager de la succession des phénomènes, une théorie précise susceptible d'être soumise à l'épreuve des faits. Or les faits, dans le domaine étudié, sont, pour la plupart, numériquement exprimés dans des statistiques qui permettent de suivre, en grandeur, les variations des éléments observés. Le bulletin mensuel du London and Cambridge Economic Service, en particulier, publie des indices reproduits dans le tableau joint à cette étude, indices qui font connaître chaque mois l'importance du chômage, le niveau moyen des salaires et le niveau général des prix.

L'indice du chômage est un pourcentage du nombre des ouvriers inemployés dans un certain nombre de syndicats, relativement au nombre total des membres de ces syndicats. Il convient de remarquer que dans l'établissement des chiffres utilisés on ne considère pas comme chômeurs les ouvriers privés de travail par maladie, pas plus que les grévistes. On a pris soin, en outre, de choisir les syndicats dont on utilise les statistiques dans des professions très diverses.C'est ainsi qu'en novembre 1922, sur 1 305 750 ouvriers représentant l'effectif considéré, il y avait 13% de mineurs, 35% d'ouvriers des constructions mécaniques et maritimes, 5% de métallurgistes, 10% d'ouvriers du bâtiment, 11% d'ouvriers des textiles, 8% d'imprimeurs, 9% d'ouvriers de la confection, 9% d'ouvriers de professions diverses.

Le comité qui rassemble ces chiffres estime que les différentes professions étant là inégalement représentées, et la diminution dans la durée des journées de travail non prise en considération, les indices publiés ne peuvent donner une idée de l'importance absolue du chômage, mais permettent par contre de suivre dans des conditions satisfaisantes la grandeur de ses variations.

Le niveau des salaires est révélé par un indice mensuel établi par le professeur Bowley, indice qui est la moyenne arithmétique des rapports des salaires actuels aux salaires correspondants de l'année 1913. Les salaires utilisés dans le calcul de l'indice sont quelquefois des salaires aux pièces, dans la grande majorité des cas la rémunération d'une semaine de travail de durée normale. Quant aux chiffres qui les représentent, ils ont été tirés de la connaissance des faits propres à onze groupes de professions distinctes. Pour établir dans chacun de ces groupes les pourcentages d'augmentation, relativement à l'avant-guerre, on a retenu les éléments très nombreux que publie le ministère du Travail anglais, éléments provenant de régions différentes, et propres aux méthodes de paiement ainsi qu'aux conditions de travail les plus diverses.

Pour ces raisons, le professeur Bowley estime que son index des salaires peut être considéré comme un indice général des prix du travail. Quant au niveau des prix, il est révélé par les nombreux indices de prix de gros calculés en Angleterre. Au cours de la présente étude, on a utilisé celui du "Board of Trade" rapporté à la base 100 en 1913. A dire vrai, au premier abord, on peut se demander si les moyennes ainsi obtenues représentent fidèlement la réalité des choses. C'est là toute la question de la valeur des indices dont nous dirons quelque mots dans la suite. Sans nous livrer pour le moment à la critique des chiffres, nous les utiliserons comme les éléments les meilleurs dont nous disposions actuellement pour l'étude entreprise, en ne préjugeant en rien de leurs valeurs respectives.

Afin de prendre, en premier lieu, une vue d'ensemble des phénomènes, nous avons tracé dans le diagramme qui accompagne cet article les courbes qui représentent les variations des valeurs trimestrielles moyennes des indices dont il vient d'être parlé.

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Les variations du chômage en Angleterre (1919-1925).

Les deux courbes inférieures sont l'image, l'une en trait plein, du mouvement des prix de gros en Angleterre, l'autre en trait pointillé, de celui des salaires dans la période 1919-1925. Le simple aspect des deux courbes permet de constater les faits suivants:

  • En 1919 et pendant le premier semestre 1920 l'indice des prix de gros et l'indice des salaires augmentent simultanément, mais le premier reste constamment supérieur au second.
  • Dès le second trimestre 1920, l'indice des prix de gros commence à diminuer alors que l'indice des salaires augmente encore, devenant au cours du 4è trimestre 1920 supérieur à la valeur correspondante de l'indice des prix de gros, pour atteindre son maximum au début de 1921.
  • A partir de ce moment, l'indice des salaires décroît avec l'indice des prix, mais lui reste constamment supérieur – même pendant les années 1923, 1924 et 1925, pendant lesquelles les deux indices varient peu.

Si l'on examine alors la courbe placée immédiatement au-dessus des deux précédentes, courbe qui représente en trait plein les variations de l'indice du chômage, on remarque que c'est précisément à partir du moment où l'indice des prix de gros diminue en Angleterre que le chômage augmente, et qu'il ne cesse d'augmenter tant que s'accroît l'indice des salaires.

Puis la courbe qui représente cet indice se rapproche de celle des prix, le chômage commence à diminuer, jusqu'au moment où au début de l'année 1925, il se reprend à croître lorsqu'augmente à nouveau l'écart des deux courbes.

Nous sommes ainsi naturellement conduits à cette hypothèse que les variations du chômage pourraient présenter quelque rapport avec celles de l'écart existant entre le niveau des salaires et celui des prix, augmentant lorsqu'augmente cet écart, diminuant dans le cas contraire. Ce n'est là, toutefois, il convient d'y insister, qu'une première hypothèse, suggérée par l'examen superficiel des faits, hypothèse dont il convient de rechercher si elle permet ou non d'interpréter d'une manière rigoureuse la succession des phénomènes.

Or, l'élément qu'il s'agit de préciser, pour tenter cette vérification, c'est la variation des salaires relativement à celle des prix. Si les deux indices variaient de la même façon, autrement dit si le niveau des salaires, accompagnant constamment le niveau des prix, lui restait toujours égal, le rapport des valeurs trimestrielles du premier aux valeurs correspondantes du second, ou, ce qui revient au même, le quotient de l'une par l'autre serait constamment égal à l'unité.

Lorsque, au contraire, l'indice des salaires sera supérieur à l'indice des prix, égal, par exemple à 300, dans un moment où l'indice des prix ne serait que de 200, leur rapport 300/200 soit 1,5, se trouvera supérieur à l'unité. De plus, ce rapport, on le voit immédiatement, prendra des valeurs croissantes lorsque le niveau des salaires augmentera plus vite ou diminuera moins vite que le niveau des prix, c'est-à-dire lorsque l'écart entre la courbe des salaires et celle des prix augmentera.

Il ira au contraire en décroissant lorsque le niveau des salaires se rapprochera au niveau des prix, s'exprimant par des valeurs inférieures à l'unité lorsque les salaires auront moins augmenté que les prix. Ceci étant, si nous calculons pour chaque trimestre la valeur du rapport de l'indice des salaires à l'indice des prix et si nous traçons la courbe des variations de ce rapport, nous obtiendrons la représentation graphique du mouvement des salaires relativement à celui des prix (1).

La courbe obtenue — cela résulte de ce qui vient d'être dit — serait une droite horizontale si les salaires variaient comme les prix. Elle sera constituée d'une ligne ascendante lorsque les salaires augmenteront plus vite ou diminueront moins vite que les prix, d'une ligne descendante dans le cas contraire. C'est cette courbe du rapport indice des salaires /indice des prix qui est tracée dans la partie supérieure de notre diagramme, immédiatement au-dessus de la courbe du chômage.

Il suffit alors de considérer simultanément ces deux courbes pour constater, sans que le doute soit possible, l'entier synchronisme de leurs mouvements respectifs. L'indice du chômage varie en général en même temps que le rapport salaires/prix sauf en quelques points (1er trimestre 1920, 1er trimestre 1924) où les variations du premier font suite immédiatement à celles du second. Si l'on entre dans le détail de leur examen, on constate les faits suivants :

Pendant toute l'année 1919 et le début de l'année 1920, en période de hausse des prix, les salaires augmenteront moins vite que les prix et le rapport salaires/prix, en voie de diminution constante, reste inférieur à l'unité. Dans le même moment, le chômage des ouvriers ne dépasse pas 2,4% de leurs effectifs, valeur sensiblement égale à celle de 1913 (2,05%) et qui peut être considérée comme répondant aux mouvements inévitables dans l'emploi de la main d'œuvre.

[Tableau : valeurs trimestrielles moyennes des indices utilisés]

A partir du 1er trimestre 1920, le rapport salaires/prix augmente. Dès le 2è trimestre, le chômage commence à augmenter et le mouvement se poursuit simultanément pour les deux courbes jusqu'au 2è trimestre 1921 où le rapport salaires/prix et l'indice du chômage passent en même temps par un maximum. Du 1er au 2è trimestre 1921 on observe une baisse simultanée des deux courbes, puis dans la suite un palier avec tendance à la hausse, le rapport salaires/prix et l'indice du chômage passant tous deux par un nouveau maximum pendant le 1er trimestre 1922.

A partir de ce moment les prix, pratiquement, cessent de décroître en Angleterre,alors que le niveau des salaires, au contraire, continuant à baisser, se rapproche de celui des prix. De ce fait le rapport salaires/prix décroît, toujours et en même temps que le coefficient du chômage. Du 2è au 3è trimestre 1923, les prix subissent une baisse supérieure à celle des salaires. Le rapport salaires/prix augmente quelque peu et simultanément on observe dans la courbe du chômage un arrêt de la baisse avec même légère tendance à la hausse.

Au premier trimestre 1924, de même, les prix en Angleterre tendent à baisser et les salaires, au contraire, à augmenter. Le rapport salaires/prix augmente, suivi dès le second trimestre par le coefficient de chômage. Par suite d'une légère hausse des prix du 2è au 3è trimestre 1924, le rapport salaires/prix diminue, ce qui, au trimestre suivant, tend à arrêter l'augmentation du chômage (palier du 4è trimestre 1924 au 1er trimestre 1925), mais aussitôt, une baisse marquée des prix survenant pendant le second et troisième trimestres 1925, le rapport salaires/prix recommence à augmenter, provoquant dès le trimestre suivant et d'une manière extrêmement nette l'augmentation du chômage.

Ainsi, l'observation des faits permet d'affirmer que pendant toute la période 1919-1925, il a existé en Angleterre, entre le nombre des chômeurs et le rapport du niveau des salaires au niveau général des prix, une relation permanente, toute variation de la valeur de ce rapport entraînant sans délai une variation concomitante de l'indice du chômage.

On est, par là, fondé à penser que la cause immédiate du chômage généralisé – non la cause profonde dont nous parlerons tout à l'heure – consiste dans le défaut d'adaptation des salaires au niveau général des prix. S'il a sévi en Angleterre une crise sans précédent dans l'histoire, c'est que la baisse des prix n'y a été suivie que tardivement par la baisse des salaires – et qu'après stabilisation, à la fin de 1921, le pourcentage d'augmentation des salaires par rapport à l'avant-guerre, est resté trop élevé relativement au pourcentage d'augmentation des prix (2)

Aussi nous bornons-nous à affirmer ici que, le chômage diminuant quand diminue le rapport moyen salaires/prix, l'existence en Angleterre de plus d'un million de chômeurs indique que ce rapport n'a pas assez diminué pour que l'indice du chômage revienne aux environs de sa valeur d'avant-guerre.

Cette conclusion, quant au fond, n'est pas pour nous surprendre. Elle se dégageait déjà de nombreuses études qualitatives, antérieurement consacrées au problème qui nous occupe. Ce qui, en elle, toutefois, est extrêmement inattendu, c'est la précision même des vérifications que l'expérience fournit. Nous pensions qu'il devait exister une relation de la nature de celle qui a été énoncée ; nous ne pouvions pas croire qu'elle régirait les phénomènes d'une manière aussi apparente et avec tant de rigueur. Ce qui nous étonne donc, ce n'est pas que cette relation soit, vraie, c'est que, dans le chaos des réactions individuelles dont la résultante constitue le phénomène économique, elle le soit à un tel point.

Il y a là croyons nous, un enseignement précieux, autant sur la nature des lois économiques que sur les méthodes à l'aide desquelles on peut tenter de les mettre en lumière. En particulier la possibilité de trouver une liaison aussi nette que cela qui vient d'être énoncée entre des indices essentiellement différents, tels celui du chômage d'une part, ceux des salaires et des prix d'autre part, constitue, croyons-nous, l'un des meilleurs arguments en faveur de l'emploi, dans l'étude des phénomènes, de la méthode représentative, méthode qui conduit à rechercher dans le calcul de moyennes, tirées d'une certain nombre de caractéristiques élémentaires, la connaissance de phénomènes "statistiques" dont on ne peut embrasser l'étendue tout entière.

Ce n'est pas, toutefois, à de pareilles considérations théoriques que nous voulons nous arrêter, cherchant à dégager les conséquences économiques que l'on peut tirer de la relation dont nous venons d'obtenir la vérification expérimentale.

2. Le délai d'ajustement des salaires aux prix et le rôle des syndicats.

Si l'on admet que le chômage en Angleterre s'est trouvé provoqué par le défaut d'adaptation des salaires aux niveau général des prix, il reste à expliquer comme ce phénomène a pu se prendre naissance, et surtout comment i l a pu subsister.

A cet effet, il est essentiel de remarquer que c'est à peu près au moment où le niveau général des prix passait par un maximum (début de 1920) que le rapport salaires/prix lui, atteignait sa valeur minimum. Autrement dit, dans la période de hausse des prix, les salaires ont augmenté moins vite que les prix, le rapport salaires/prix a diminué. Dans la période de baisse des prix, au contraire, les salaires ont baissé moins vite que les prix ; le rapport salaires/prix a augmenté.

Et ceci s'explique aisément. En période de dépréciation monétaire, c'est sous l'effet de la hausse constante des prix que les ouvriers réclament la hausse de leurs salaires, et ils ne l'obtiennent, de toute évidence, qu'avec un retard appréciable. Au moment, par exemple, où le niveau des rix rapporté à la base 100 pour l'année 1913, atteignait son maximum, soit 324 (plus de trois fois le niveau d'avant-guerre), le niveau des salaires rapporté à la même base ne dépassait pas 250 (deux fois et demie le niveau d'avant-guerre). C'est là une situation qui paraît générale et caractéristique de toutes les périodes de hausse des prix.

Dans les périodes où les prix, au contraire, sont en voie de diminution, l'ordre relatif des deux grandeurs est l'inverse du précédent. On observe, en effet, sur le diagramme inférieur de notre figure, que si le niveau des prix diminue à partir du second trimestre de 1920, le niveau des salaires continue à augmenter, pour lui devenir supérieur à partir du premier trimestre 1921. Dès ce moment, il commence à baisser à son tour, mais en restant constamment supérieur au niveau des prix.

Et ce ci s'explique encore dès que l'on considère que la baisse des prix seule peut provoquer la baisse des salaires, à laquelle tendent à s'opposer, bien naturellement il est vrai, les ouvriers eux-mêmes et leurs organisations syndicales.

Dans les deux cas, en somme tout se passe comme si le phénomène moteur était la variation de prix, suivie tardivement seulement par une variation de salaire.

On voit ainsi comment il peut exister dans la baisse ou dans la hausse des prix une influence susceptible de régir le marché du travail. En période de hausse des prix, les salaires ne suivent qu'avec un retard appréciable ; le chômage se trouve réduit au minimum. En période de baisse, au contraire, la même inertie des salaires rend inévitable l'augmentation du chômage avec toutes les souffrances qu'il traîne derrière lui. Il est essentiel, toutes les fois qu'on se propose de décider d'une politique monétaire, de ne pas perdre de vue cette conclusion, à savoir qu'on ne saurait espérer sans chômage temporaire une baisse appréciable des prix.

Là n'est pas toutefois le seul enseignement que nous apporte l'enseignement l'expérience anglaise. Elle nous montre, en effet, que pendant les années 1923,1924 et 1925 l'indice des salaires et l'indices des prix ont été sensiblement stabilisés dans une période où le nombre des chômeurs restait élevé en Angleterre, variant entre les limites extrêmes de 1 002 000 en mars 1924 et 1 354 000 en août 1925. Il est très curieux, et en apparence contraire à toutes les lois économiques, que le niveau des salaires ait pu rester stable, alors que l'offre de travail dépassait aussi sensiblement la demande de main d'œuvre. L'anomalie, toutefois, n'est là qu'apparente, et l'explication s'en trouve immédiatement dans les conditions mêmes dans lesquelles elle a pris naissance.

La discipline des trade-unions en premier lieu est, en Angleterre, exceptionnellement puissante et le régime du contrat de travail collectif plus généralise que partout ailleurs. La tradition, toutefois, eût été insuffisante à maintenir la résistance des ouvriers sans travail aux inévitables mouvements de salaires si une politique de subsides aux chômeurs, aussi généreuse que coûteuse pour le pays, n'avait permis à ceux-ci de rester indéfiniment inoccupés plutôt que de transgresser les instructions syndicales.

On est ainsi conduit à cette conclusion, qu'à partir du moment où les prix ont été stabilisés en Angleterre, c'est d'une part la puissance traditionnelle des syndicats anglais, obstacle à l'adaptation des salaires aux conditions nouvelles nés de l'appréciation monétaire, d'autre part la politique de secours aux chômeurs, condition nécessaire du maintien de la discipline syndicale, qui ont été la cause profonde de la subsistance en Angleterre d'une crise qui ne paraît pas en voie d'atténuation.

On peut affirmer, en outre, qu'il n'est dans les circonstances actuelles que deux remèdes possibles: ou une hausse des prix sans hausse des salaires, éventualité que le retour de l'Angleterre au régime de la circulation métallique ne rend vraisemblable qu'en cas de hausse des prix mondiaux, ou une baisse des salaires sans baisse nouvelle des prix. Que l'une ou l'autre de ces conjonctures vienne à se réaliser, que le gouvernement anglais prenne le parti d'en provoquer ou seulement même d'en rendre possible la réalisation et l'on peut être assuré, de la manière la plus formelle, qu'à moins de révolution ou de désordre violent, la proportion des chômeurs reprendra dans le Royaume-Uni la valeur très faible qu'elle avait avant-guerre.

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Telle est la conclusion qui se dégage inévitablement de l'étude des faits. Nous avons négligé d'en présenter ici la théorie, impossible, croyons-nous, si on ne l'incorpore pas à l'étude générale de l'équilibre économique. Pas davantage nous n'avons voulu l'accompagner de considérations sentimentales ou politiques. Si cruelle qu'elle puisse être, elle est telle qu'elle nous est apparue. Et ce n'est pas en ne l'exprimant point qu'on éviterait qu'elle régisse les phénomènes dans son implacable rigueur. Il n'en faudrait pas déduire, toutefois, que dans notre régime économique le niveau des salaires est fixé ne varietur – l'expérience du siècle dernier montre qu'il n'en est pas ainsi — mais seulement que l'on ne peut par voie d'autorité réaliser la hausse si souhaitable et universellement espérée de la rémunération du travail humain.

Notes

(1) Ou, ce qui revient au même, la courbe des variations du salaire réel exprimé non en valeur nominale, mais en pouvoir d'achat, étant entendu que le pouvoir d'achat de l'unité monétaire varie en raison inverse de l'indice des prix de gros. >

(2) On pourrait être tenté de tirer argument du fait que le pourcentage d'augmentation des salaires, relativement à l'année 1913, est restée pendant toute la période 1923-1925 supérieur au pourcentage d'augmentation des prix (indice moyen des salaires pendant cette période: 175, soit 75% d'augmentation par rapport à l'avant-guerre ; indice moyen des prix pendant la même période: 162, soit 75% d'augmentation par rapport à l'avant-guerre). Cette explication supposerait qu'on attribue un sens non seulement aux variations des indices mais à leurs valeurs absolues, ce qui peut être légitime, mais n'apparaît pas indiscutable dans l'état actuel des études statistiques.


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