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Ludwig von Mises
1881-1973
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Auteur minarchiste
Citations
« Le marxisme et le national-socialisme ont en commun leur opposition au libéralisme et le rejet de l'ordre social et du régime capitaliste. Les deux visent un régime socialiste. »
« Les gens qui se battent pour la libre entreprise ne défendent pas les intérêts de ceux qui se trouvent aujourd'hui être riches. »
« À la base de toutes les doctrines totalitaires se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages et d'un esprit plus élevé que leurs sujets, qu'ils savent donc mieux qu'eux ce qui leur est profitable. »
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Ludwig von Mises:La réforme financière en Autriche
La réforme financière en Autriche


Anonyme


Revue économique internationale, octobre 1910, volume IV, 7ème année, pp. 39-59.
Traduction par Hervé de Quengo

— SOMMAIRE. — Le déficit et ses causes.— Vices de l'administration publique et particulièrement de l'administration des chemins de fer de l'État. — Situation financière des pays de la Couronne. — Le projet financier primitif du ministre Bilinski. — Le projet modifié et ses diverses dispositions. — Comparaison entre la réforme douanière autrichienne et la réforme du tarif anglais. — Le mouvement anticapitalistique dans la politique économique autrichienne et sa réaction sur la politique financière.


Après une période plus que séculaire de déficit budgétaire chronique, l'Autriche parvint, il y a environ vingt ans, à rétablir l'équilibre dans les finances publiques. De 1889 à 1908, le règlement des comptes accusa généralement un excédent. La situation se modifia de nouveau en 1908, et, pour l'année 1909, les prévisions annoncèrent déjà un déficit qu'il ne fut possible de transformer en un boni apparent de 60 000 couronnes que par l'introduction d'un poste fictif de 29 millions de couronnes. Le budget de 1910 avoue déjà ouvertement le déficit.

On ne peut déterminer exactement à combien s'élève, dans le budget ordinaire, le déficit qui doit être comblé par de nouvelles augmentations d'impôts. Sur ce point, des divergences d'opinion existeront toujours, les avis étant partagés au sujet de la question de savoir ce qu'il faut entendre par placement et ce qu'il faut considérer comme dépense courante. Un fait est certain, c'est que ce déficit est très grand. Le Ministre des Finances lui-même évalue à environ 70 millions de couronnes la majoration de recettes que l'État devra obtenir annuellement d'un relèvement d'impôts ou de la création d'impôts nouveaux. Il faut y ajouter un déficit d'environ 40 millions de couronnes qui s'est produit dans le budget des différentes provinces autrichiennes ; les provinces n'étant pas en mesure de le couvrir par leurs propres ressources, il devra également être comblé par l'État. Il existe donc, dès maintenant, un déficit budgétaire certain de 110 millions de couronnes, et ce chiffre grossira encore notablement pendant les années prochaines, si l'on ne crée pas de nouvelles ressources en temps opportun. D'énormes dépenses vont, en effet, s'imposer prochainement. L'armée et la flotte sont complètement négligées depuis de longues années. Depuis vingt ans, le chiffre du contingent n'a pas été relevé, alors que, simultanément, tous les autres États européens ont augmenté considérablement leurs effectifs de paix. De plus, l'armement de l'armée laisse beaucoup à désirer, et la réduction du temps de service de trois années à deux années, qu'on ne peut différer plus longtemps, entraînera des frais énormes. La marine aussi devra, à l'avenir, être l'objet d'une attention plus sérieuse. En présence des énormes armements navals de l'Italie, dirigés directement contre l'Autriche, celle-ci sera bien obligée aussi de construire des « Dreadnoughts ».

L'obligation de l'assurance sociale imposera également de lourdes charges à l'État. D'après les calculs du projet du gouvernement, la contribution de l'État à l'assurance sociale s'élèvera finalement à 100 millions de couronnes par an. Comment se procurer les ressources voulues ? Ni le gouvernement, ni le Parlement n'en ont dit mot jusqu'à présent.

On aperçoit ici déjà une différence essentielle entre les causes des embarras financiers de l'Autriche et ceux des autres États actuellement aux prises avec des difficultés financières : l'Allemagne, la France, l'Angleterre. Dans ceux-ci ce sont principalement les charges militaires et sociales qui ont fait gonfler le budget ; par contre, en Autriche, le déficit existe déjà, bien que l'État n'ait rempli jusqu'à présent ses devoirs militaires et sociaux que dans une mesure insuffisante.

Néanmoins, pendant les dix dernières années, les dépenses publiques en Autriche ont passé de 1,5 milliards à 2,3 milliards de couronnes. Si nous recherchons les causes de cette énorme augmentation, nous découvrons immédiatement que, pendant la même période, les crédits pour le payement des intérêts et pour l'amortissement de la dette publique se sont élevés de 345 millions à 411 millions de couronnes — dont 356 pour le payement des intérêts et 55 millions seulement pour l'amortissement. Les impôts directs et l'accise sur la bière produisent ensemble juste assez pour fournir ce montant. Abstraction faite du relèvement des crédits affectés à la dette publique et à la dépense nationale, l'accroissement des dépenses provient en majeure partie du relèvement de celles concernant l'administration intérieure. Ces dépenses se sont considérablement accrues en ces dernières années : pour l'administration des finances, elles sont passées de 61,6 millions à 105,9 millions de couronnes ; pour le personnel des postes, de 48,9 millions à 92,1 millions ; pour l'administration de la justice, de 58,4 millions et à 92,5 millions ; pour les pensions, de 48,6 millions à 91,6 millions de couronnes.

Jusqu'en 1908, l'État a décaissé pour l'acquisition du réseau des chemins de fer environ 4 milliards de couronnes, qu'il s'est procuré par des opérations de crédit. Les intérêts du capital engagé dans les chemins de fer s'élevaient à 173 millions de couronnes. Par contre, en 1908, l'excédent d'exploitation des chemins de fer de l'État n'était que de 95 millions de couronnes. L'État a donc dû faire face à un déficit d'exploitation de 78 millions de couronnes. Pour remédier à cet état de choses, les tarifs des chemins de fer de l'État ont été relevés depuis le 1er janvier 1910 dans une proportion telle qu'on peut compter sur une plus-value de 47 millions de couronnes pour les recettes annuelles. Malgré cela, la régie des chemins de fer sera tous les ans en sérieux déficit et constituera une charge pour le budget. En Autriche, l'administration des chemins de fer de l'État exploite excessivement cher ; de plus, de l'avis unanime de tous les intéressés, elle exploite excessivement mal. Ce déficit ne doit être attribué qu'accessoirement au fait que l'État exploite également — pour des raisons stratégiques et de politique économique en général — certaines lignes qui ne rapportent guère ; il est dû tout aussi peu à la circonstance que la création des chemins de fer de l'État autrichien est très onéreuse, vu les difficultés de la construction en pays montagneux : la cause principale est plutôt l'insuffisance d'une administration à laquelle manque le caractère commercial et économique où tout dépend des points de vue politiques et personnels, tandis que le point de vue économique n'intervient qu'en dernière ligne. Une réforme de l'administration des chemins de fer est souhaitable non seulement dans l'intérêt des expéditeurs et voyageurs, mais aussi dans l'intérêt du Trésor public.

Tout aussi inconséquente est l'organisation de l'administration intérieure. Si ce fait attire moins l'attention générale, c'est uniquement parce qu'on ne peut pas rendre compte des résultats de l'administration intérieure de la même manière que des résultats d'une régie, telle celle des chemins de fer. Il y a quelques années, le ministère Koerber, alors au pouvoir, fit préparer et publier sur la réforme de l'administration intérieure un mémoire qui constitue la critique la plus acerbe de sa propre activité qui fut jamais faite par le gouvernement d'un pays : l'administration autrichienne y est l'objet d'un jugement impitoyable.

L'une des plus importantes mesures préconisées par le ministère Koerber était le renforcement de la productivité des agents de l'État. Cette idée a sombré avec le ministère Koerber, ainsi que d'autres projets grandioses de cet homme d'État.

L'un des maux principaux dont souffle l'administration autrichienne et qui en accroît si considérablement les frais est la coexistence et le co-fonctionnement d'un double appareil administratif. A côté de l'organisation administrative de l'État et des autorités de l'État existent, absolument indépendantes de celles-ci, notamment des autorités autonomes des provinces et des communes. Les organes administratifs d'État sont nommés par le gouvernement et en dépendent. Par contre, les organes administratifs autonomes dépendent uniquement des Diètes (Landtage) et des administrations communales, toutes deux issues de l'élection. Loin de chercher à se soutenir mutuellement, ces deux organes ont souvent une tendance à combattre leurs efforts réciproques. C'est surtout le cas dans tels pays où un parti puissant et énergique détient le pouvoir au Landtag et dans les communes.

Dans ces conditions, et abstraction faite de ce qu'il entraîne des dépenses exagérées, ce dualisme administratif n'apparaît nullement comme un avantage pour la population. Néanmoins une réforme dans ce domaine est d'exécution difficile, les Diètes et les communes ne voulant renoncer à aucune de leurs prérogatives. Et pourtant semblable réforme serait le premier pas vers une diminution du coût franchement excessif de l'administration.


En Autriche, le problème du rétablissement de l'équilibre dans la gestion de la chose publique est particulièrement compliqué par le fait qu'il s'agit d'assainir non pas uniquement la gestion de l'État, mais aussi celle des provinces, et qu'il faut tenir compte, dans cette action, de toute une série de difficultés. La constitution confère aux provinces le droit de percevoir, pour couvrir leurs dépenses, des impôts additionnels aux impôts directs de l'État ; si ces suppléments n'atteignent pas 10 % des impôts d'État, ils ne doivent pas être autorisés par le gouvernement ou par l'empereur ; par contre, s'ils dépassent 10 %, il faut une approbation spéciale de l'empereur. En outre, il est loisible aux provinces d'introduire des impôts indirects propres, moyennant autorisation impériale.

Il y a douze ans, lors de la création du nouvel impôt sur le revenu, on devait craindre que les provinces et les communes ne fissent du droit de percevoir des suppléments au nouvel impôt sur le revenu un usage trop généreux et n'élevassent ainsi le taux de l'impôt à tel point que la tentation de faire des déclarations non sincères devînt très grande.

Le Parlement d'Empire n'avait pas le droit d'interdire aux communes et aux provinces la perception de semblables suppléments à l'impôt sur le revenu ; c'est pourquoi il dut opérer autrement pour libérer de suppléments ledit impôt. Jusqu'à fin 1909, il fut notamment attribué par le Reichsrat une certaine portion du produit de l'impôt sur le revenu à celles de ces provinces qui s'engageraient à affranchir l'impôt sur le revenu de suppléments pour objets relatifs à l'administration provinciale et communale. C'est ce qui s'est produit dans toutes les provinces. Dans l'intervalle, différentes provinces commencèrent à créer personnellement des impôts indirects, ce qui n'était pas le cas antérieurement. Par suite, lorsque, en 1901, l'accise fut relevée, une part du produit de l'accise fut de nouveau attribuée par l'État aux provinces, à condition qu'elles renonçassent de leur côté à toute accise particulière sur l'alcool. Dès lors les provinces et les communes se rabattirent sur l'imposition des bières et les frappèrent de taxes particulières. Trois accises indépendantes coexistent ainsi, en Autriche, sur la bière : celle de l'État, celle des provinces et celle des communes.

Au printemps de l'année 1909, le ministre des Finances Bilinski présenta un projet basé sur les principes suivants. L'État porterait l'accise sur l'alcool de 90 couronnes ou de 110 couronnes respectivement à 140 couronnes ou 164 couronnes par hectolitre d'alcool pur, et la taxe sur la bière de 34 hellers par hectolitre et degré du saccharomètre à 70 hellers. Le produit total de ces deux relèvements de droits était évalué par le gouvernement à 95,5 millions de couronnes. Sur ce total le gouvernement voulait prélever 32,2 millions de couronnes au profit des provinces, à la condition qu'elles renonçassent à leur taxe particulière sur la bière, et leur allouait en outre 40 millions couronnes, à condition qu'elles renonçassent à la taxe particulière sur l'alcool et continuassent à laisser exempt de suppléments l'impôt sur le revenu. Il ne serait ainsi resté à l'État qu'une plus-value de recettes de 22 millions de couronnes.

Dans le public on reprocha d'abord à ce plan financier de ne considérer que les impôts indirects et de faire peser ainsi sur les classes les moins fortunées tout le poids des charges nécessitées par les besoins nouveaux de l'État. Malgré la promesse du gouvernement d'introduire une disposition qui relèverait de plus de 10 millions de couronnes le produit de l'impôt sur les successions, cette réforme fiscale ne put se justifier aux yeux des partis parlementaires. Le gouvernement se vit donc obligé de recourir à d'autres moyens. Il présenta un projet relevant aussi les impôts directs. Dans l'intervalle, le Parlement fut ajourné, et, en automne, le ministre des Finances présenta au Parlement un nouveau projet fiscal. Cette fois, le ministre avait complètement écarté le relèvement de l'accise sur la bière, laissant aux provinces le soin de se procurer par le relèvement de leurs propres taxes sur la bières la portion qui leur fût autrement revenue comme indemnité pour la renonciation du droit d'élever une taxe particulière sur la bière.

Voici les projets d'impôts sur lesquels se base le nouveau plan financier : Relèvement de l'impôt sur les successions et sur les donations. L'impôt successoral autrichien actuel est gradué uniquement d'après le lien unissant le successeur au défunt. Il s'élève à 1,25 % dans le cas de transmission de l'avoir ou de différents objets aux époux, ascendants ou descendants et à 5 % au cas de transmission à d'autres parents jusques et y compris les neveux et nièces. Dans tous les autres cas il est de 10 % ; toutefois, si le successeur est gagé ou salarié par le décédé et si la succession ou le legs ne dépasse pas soit 100 couronnes de rente annuelle — pour la durée de la vie ou pour un nombre d'années déterminé —, soit 1000 couronnes en capital, l'impôt n'est que de 1,25 %. Si l'actif total, dettes non déduites, ne dépasse pas 100 couronnes, la succession est exempte d'impôt, pour autant qu'elle échoie aux époux, ascendants et descendants.

Or, on veut également appliquer le principe de la progression à l'impôt sur les successions. A l'avenir, celui-ci sera doublement différencié : d'abord d'après la situation personnelle de l'héritier par rapport au défunt, puis d'après le montant de la succession. D'une part, on distingue cinq groupes de successeurs. Le premier groupe comprend — comme jusqu'ici — les époux, les ascendants et les descendants ; au deuxième appartiennent les collatéraux jusqu'au troisième degré — contrairement donc aux dispositions en vigueur jusqu'ici —, à l'exclusion des neveux et nièces. Toutes les autres personnes physiques, sauf celles qui étaient gagées ou salariées par le défunt, sont rangés dans le troisième groupe. Dans chacun de ces trois groupes les successions sont traitées d'après leur grandeur. Dans le premier groupe, les successions ne dépassant pas 500 couronnes sont exonérées ; celles supérieures à 500 couronnes sans dépasser 10 000 couronnes payent 1,25 %, le taux s'élevant ensuite, peu à peu et graduellement, jusqu'à 4 %, taux appliqué aux successions de la septième et dernière catégorie, c'est-à-dire celles supérieures à 2 millions de couronnes. Chacun des deuxième et troisième groupes compte neuf échelons. Pour les successions allant 1000 couronnes, le taux est de 5 % dans le deuxième groupe, et de 10 % dans le troisième, et s'élève ensuite, peu à peu, respectivement jusqu'à 13 et 18 % pour les successions supérieures à 2000 couronnes. Les héritages échéant aux personnes qui étaient salariées ou gagées par le testateur sont rangés dans le quatrième groupe. Ils échappent à l'impôt jusqu'à 500 personnes ; de 500 couronnes à 1000 couronnes ils payent 1,25 %. Au delà de cette somme, les héritages échéant à semblables personnes sont imposés d'après la situation personnelle de celles-ci par rapport au défunt. Ceux revenant à des fondations indigènes d'enseignement de bienfaisance ou à des oeuvres humanitaires sont rangés dans le cinquième groupe ; ils sont soumis, quelle que soit leur valeur, à un impôt de 5 %.

Outre l'impôt sur les successions, les héritages immobiliers sont actuellement encore frappés d'une taxe immobilière personnelle, d'après la valeur brute. Cette taxe s'élève à 1 % en cas de transmission aux époux, ascendants et descendants et pour une valeur ne dépassant pas 30 000 couronnes, sinon à 1,5 % ; à 1,5 % en cas de transmission à d'autres personnes et pour une valeur ne dépassant pas 20 000 couronnes, sinon à 2 %. Les taxes immobilières, qui sont exigées en vertu de la loi du 18 juin 1901, sont également maintenues à l'avenir à côté de l'impôt sur les successions.

Le produit de l'impôt actuel sur les successions et donations s'élève annuellement, sans compter le produit des taxes immobilières, à 19 millions de couronnes en moyenne. Le gouvernement attend du relèvement de l'impôt sur les successions une plus-value annuelle de 10,3 millions de couronnes. On ne peut évaluer dès aujourd'hui ce que donnera le relèvement de l'impôt sur les donations. Outre l'impôt successoral d'État, on trouve, en Autriche, un impôt analogue dans toutes les provinces de la couronne et dans mainte commune. En 1905, le produit de l'impôt successoral d'État proprement dit s'élevait à 19,2 millions de couronnes, pour les provinces et les communes à 8,7 millions de couronnes ; pour ces derniers, il s'élevait donc à 45 % environ du produit de l'impôt successoral d'État.

Bien que la taxation des successions doive donc à l'avenir atteindre un niveau élevé en Autriche, les projets de relèvement de l'impôt sur les successions ne soulèvent, en principe, presque pas d'opposition ; et les attaques dirigées contre certaines de ces dispositions ne visent généralement que les dispositions dont l'adoption créerait une inégalité dans la taxation fiscale des différentes classes de la population.

En matière d'impôts indirects, le ministre propose une série de relèvements et l'introduction d'impôts nouveaux.

Le relèvement des droits sur l'alcool doit procurer à l'État une augmentation de recettes d'environ 35 millions de couronnes. Ce relèvement non plus ne rencontre qu'une faible opposition.

D'autre part, on propose la création du monopole des allumettes. Le produit de ce monopole est évalué à 15 millions de couronnes. Pour des raisons tant sociales que financières, l'idée du monopole des allumettes est généralement soutenue.

Par contre, deux autres impôts proposés par le ministre rencontrent une vive opposition, savoir : l'impôt sur les eaux minérales naturelles et l'impôt sur le soda.

Le soda sera soumis à un impôt de 6 hellers par litre. Le produit de cet impôt est évalué à environ 1,8 millions de couronnes. L'opposition violente qu'il rencontre est basée sur le fait que les frais de perception seraient très élevés, le soda étant fabriqué dans de nombreux petits établissements.

Les eaux minérales naturelles payeront 10 hellers par litre. Toutes les eaux minérales non susceptibles de servir de rafraîchissement et de boisson de table et destinées exclusivement à un usage curatif seront exemptes d'impôt. Mais on fait remarquer, à ce sujet, qu'une série d'eaux minérales naturelles servent aussi bien comme médicament que comme rafraîchissement et comme eau de table. Fait particulièrement curieux, le gouvernement veut soumettre également à l'impôt les eaux minérales destinées à l'exportation. La production de l'imposition de l'eau minérale naturelle est évaluée à 2,25 millions de couronnes.

On objecte surtout à la taxation, tant du soda que de l'eau minérale naturelle, que dans de nombreuses localités les habitants se voient forcés, l'eau y étant de mauvaise qualité, de consommer du soda ou de l'eau minérale, et qu'il n'est pas admissible que l'on crée un impôt qui favoriserait dans une certaine mesure la propagation du typhus. Il est peu probable que le gouvernement parviendra à faire admettre ces deux impôts par le Parlement.

Il ne fait pas s'attendre davantage à voir admettre un autre projet du ministre des finances, tendant à supprimer la liberté d'impôt dont jouit la benzine destinée à actionner les automobiles. On fait remarquer que l'automobilisme est encore peu développé en Autriche et qu'il importe, plutôt que d'en créer d'autres, d'écarter tous les obstacles qui sont sur son chemin. La mesure préconisée ne rapporterait d'ailleurs pas plus d'un million de couronnes.

On propose, enfin, de relever l'impôt sur les vins. Il rapporte actuellement 6 millions de couronnes et devra rapporter à l'avenir 12 millions de couronnes. On introduira, en outre, un impôt spécial sur les vins mousseux, qui doit produire 1,5 million de couronnes et un impôt sur les vins en bouteilles, qui rapportera 1,5 millionde couronnes. A l'avenir, la production totale de l'impôt sur les vins s'élèvera donc à environ 16 millions de couronnes.


Un autre projet du gouvernement soulève une attention et une opposition bien plus grandes : il concerne le relèvement des impôts personnels directs. Le projet prévoit d'abord une augmentation du taux de l'impôt sur le revenu pour les contribuables dont le revenu est supérieur à 20 000 couronnes ; alors que le taux le plus élevé n'atteint actuellement pas tout à fait 5 %, à l'avenir il sera de 6,5 %. Ce relèvement produira annuellement 6 millions de couronnes. En outre, le taux de l'impôt sur le revenu sera relevé de 15 % pour les contribuables ne vivant pas en ménage commun avec au moins une personne appartenant à la famille (époux ou enfant) et de 10 % pour les contribuables ne vivant pas avec moins de deux semblables personnes. On évalue à environ 5,2 millions de couronnes le produit du relèvement.

En Autriche les sociétés par actions sont imposées sur la base énorme de 10 % des bénéfices. A cet impôt d'État s'ajoutent des suppléments au profit des provinces et des communes, de sorte qu'il atteint souvent le taux de 20-30 %. Il faut remarquer, de plus, que ce que la loi considère comme bénéfice net imposable de la société dépasse de beaucoup le bénéfice net réel, tel que le commerçant a l'habitude de l'établir. Outre l'impôt général sur les sociétés par actions, celles d'entre elles qui distribuent un dividende supérieur à 10 % du capital-actions versé sont soumises à un impôt supplémentaire particulier sur le montant employé au payement de cet excédent de dividendes. Ce supplément d'impôt s'élevait jusqu'ici à 2 % du montant nécessaire pour distribuer le onzième au quinzième pour cent du dividende, et à 4 % pour le montant distribué au delà de ce chiffre. D'après le projet du gouvernement, l'impôt supplémentaire sur le dividende jouera désormais lorsque les dividendes dépasseront 10 % par rapport au capital-actions versé, mais seulement lorsqu'ils atteindront ce niveau par rapport au capital-actions versé et à la réserve. Par contre, le taux de l'impôt supplémentaire sera considérablement relevé. On prendra 2 % sur le montant nécessaire à former les onzième et douzième pour cent, 4 % sur celui nécessaire aux treizième et quatorzième pour cent, 6 % sur celui nécessaire au seizième pour cent. Le produit de cette aggravation d'impôts serait d'environ 700 000 à 800 000 couronnes.

L'impôt sur les tantièmes doit constituer une innovation. L'impôt autrichien sur les dividendes est visiblement calqué sur celui de l'empire allemand, créé en 1906. Mais, tandis que l'impôt allemand sur les tantièmes n'atteint que les conseils de surveillance des sociétés par actions, l'impôt autrichien sur les tantièmes frappera non-seulement les membres des conseils de surveillance, mais aussi les membres, le gérant, le conseil d'administration et la direction de la société. Le taux de l'impôt sur les tantièmes est progressif et va de 2 % à 8 %. On évalue le produit à un million de couronnes.

Enfin, une dernière disposition du nouveau projet doit être signalée, qui soulève une vive opposition dans les milieux commerçants et industriels : à l'avenir, d'après le projet, les autorités fiscales auront le droit de vérifier les livres des commerçants et des industriels. Les entrepreneurs autrichiens voient avec raison dans cette disposition un renforcement de l'esprit chicanier dont les autorités font montre à leur égard.

Dans les sphères gouvernementales autrichiennes on se complaît à faire des rapprochements entre le projet du ministre des finances autrichien et celui de Lloyd-Georges. De même que le budget anglais, dit-on, le projet autrichien vise les classes fortunées et tend à dégrever les classes moins aisées. Le ministre des finances autrichien, chevalier de Bilinski, a cherché à riposter aux attaques dirigées par les industriels et commerçants contre ses projets fiscaux, en faisant, contre ces milieux, des sorties qui dépassent de beaucoup en âpreté et en violence tout ce qui fut jamais dit par le gouvernement autrichien à charge de n'importe quels milieux. On est involontairement tenté de faire un rapprochement entre ces attaques quasi-personnelles des ministres autrichiens et les procédés oratoires que les ministres anglais employèrent dans la lutte électorale contre les pairs.

Tout cela peut enfin contribuer à ce que dans l'opinion publique on perde de vue les différences essentielles existant entre le projet autrichien et le budget anglais. Considérée dans son ensemble, la réforme fiscale anglaise constitue une surcharge du propriétaire foncier : elle est dirigée avant tout contre les lords propriétaires terriens, qu'ils soient propriétaires fonciers à la ville ou à la campagne. La classe sociale qu'elle vise est l'aristocratie conservatrice et les milieux qui l'entourent immédiatement. Le projet anglais ne porte aucune trace d'hostilité à l'égard de la grande industrie et du commerce.

C'est précisément tout le contraire qui caractérise le projet autrichien. L'Autriche est aujourd'hui un pays devenu, par nécessité, gros importateur de céréales. Ces céréales, elle les importe partie de Hongrie — qui forme, il est vrai, avec l'Autriche une union douanière, mais qui doit cependant, au point de vue autrichien, être considérée sous tous les rapports comme territoire étranger —, partie des autres pays étrangers. L'Autriche doit donc être considérée aujourd'hui comme un pays avant tout industriel, son économie reposant sur la production industrielle. La puissance et l'importance politiques de la population industrielle urbaine ne correspondent cependant pas à cet état de choses. Au Reichsrat les représentants des intérêts agrariens ont la majorité. Grands et petits propriétaires fonciers se donnent ici la main pour combattre les intérêts industriels et urbains. D'autre part, les représentants des villes et des localités industrielles ne sont pas d'accord. Quelques rares députés seulement appartenant à de grandes industries et les députés socialistes sont des partisans résolus de l'évolution économique moderne et de l'industrie moderne. Les autres élus des circonscriptions électorales urbaines représentent principalement les intérêts de la petite bourgeoisie et n'entendent rien aux intérêts d'une industrie en pleine évolution. Ils sont toujours disposés à pactiser contre l'industrie avec les agrariens. Même dans les questions de politique commerciale ils marchent souvent — bien que pas ouvertement — avec les députés agrariens.

Les députés agrariens sont donc ainsi parvenus à obtenir de grands avantages sur le terrain fiscal. On le remarque le plus clairement dans la taxation des profits en ce qui concerne l'impôt sur le revenu et, parmi les impôts indirects, en ce qui concerne l'accise sur l'alcool.

Tandis que tous les autres impôts directs augmentent continuellement, l'impôt foncier est le seul impôt autrichien qui ait diminué pendant les derniers décennats, et ce non seulement par rapport aux autres recettes de l'État, mais aussi de manière absolue. L'impôt foncier est un impôt de répartition et, de 1881 à 1886, le produit de cet impôt fut évalué pour tout l'Empire à 75 millions de couronnes. Depuis lors il est tombé à 59,5 millions de couronnes. Le rendement effectif de l'impôt foncier reste pourtant bien au-dessous de ce chiffre. Tous les ans, notamment, d'importantes réductions sont accordées pour dommages causés par les éléments. C'est ainsi qu'en 1907 l'impôt foncier ne produisit réellement que 54,5 millions de couronnes.

Les privilèges des propriétaires fonciers ne sont pas moindres dans le domaine de l'impôt sur le revenu. Ici, toutefois, les agriculteurs sont favorisés non par la loi, mais par certaines dispositions des prescriptions d'exécution, et surtout par les pratiques qui sont tout différentes à la campagne et à la ville. Voilà comment il se fait que le rendement de l'impôt à la campagne soit si défavorable. En 1908, sur un revenu brut total de 4 268 millions de couronnes soumis à l'impôt, 309 millions seulement, soit 7,24 %, se rattachaient aux revenus de la propriété rurale, résultat désolant, vu l'importance de la production agricole en Autriche.

Bien plus importants sont les avantages que les agriculteurs tirent de la législation sur l'accise-alcool. De même que dans l'empire allemand, l'accise sur l'alcool est actuellement établie sur une double base : 1 017 000 hectolitres d'alcool sont taxés au taux inférieur de 90 couronnes ; le reste, au taux supérieur de 110 couronnes. Les distilleries, entre lesquelles ce quantum de 1 017 000 hectolitres est réparti, jouissent donc d'une rente différentielle de 20 couronnes pour chaque hectolitre vendu ; le système de l'imposition de l'alcool leur rapporte ainsi un bénéfice annuel de 20 millions de couronnes.

Sur le total de 1 017 000 hectolitres — appelé « Alkohol-Kontigent », — 155 000 hectolitres seulement concernent des distilleries appartenant à des industriels, tout le reste étant attribué à des distilleries appartenant à des propriétaires ruraux. Le nouveau projet gouvernemental abaisse encore de 40 000 hectolitres le « contingent » attribué aux distilleries professionnelles, afin de relever le « contingent » des distilleries agricoles. En outre, l'écart entre le taux supérieur et le taux inférieur passe de 20 à 24 couronnes, de sorte que la valeur du droit de contingent sera encore plus grande. Pour chaque hectolitre le distillateur gagnera à l'avenir non plus 20, mais 24 couronnes, et le profit que les distilleries en tireront aux dépens de la collectivité s'élèvera de 20 millions à 24 millions de couronnes.

Comme si cela ne suffisait pas, les distilleries agricoles jouissent encore d'une prime de production, qui, en 1908, se chiffra au total de 7 000 317 couronnes. Cette prime doit toutefois être un peu réduite par la nouvelle loi.

Le ministre des finances, désireux d'accroître les ressources de l'État, devra sans aucun doute commencer par écarter les avantages accordés aux distillateurs propriétaires fonciers par la législation fiscale. Une diminution progressive de l'écart, par le relèvement des taux de l'impôt pour l'alcool de contingent, assurerait finalement à l'État une plus-value d'environ 20 millions de couronnes, sans qu'il en résulte la moindre surcharge pour la population. Telle est la direction que devra suivre une politique financière ayant en vue non pas le relèvement partiel des charges de la population urbaine, mais une répartition équitable de l'impôt.

Toutefois, les conditions politiques et la division des partis à la Chambre des députés ne se prêtent pas à une semblable politique. Bien loin de suivre la voie indiquée plus haut, le gouvernement cherche constamment à réduire les charges de la population agricole. Depuis des années, l'impôt sur les bâtiments urbains est considéré comme écrasant. Le gouvernement ne s'achemine qu'avec peine et crainte vers une réforme, mais en même temps, il abaisse de 6,3 millions de couronnes l'impôt sur les bâtiments situés à la campagne, qui n'est nullement exagéré. En pleine détresse financière, le gouvernement vient en outre de faire voter une loi ouvrant sur ressources de l'État, un crédit annuel de 6 millions de couronnes en faveur des agriculteurs autrichiens et en vue de l'avancement de certaines branches déterminées de la production agricole. Si l'on considère combien difficilement le gouvernement accorde le crédit même le plus insignifiant pour d'autres buts quelconques dont la nécessité est reconnue, on comprend la réprobation que cette politique financière soulève dans les milieux urbains.

Aucun des nouveaux impôts proposés par le ministre des finances ne vise à niveler les inégalités fiscales existantes entre la ville et la campagne.

Les relèvements de l'impôt personnel sur le revenu atteignent le plus durement la population urbaine et industrielle, car c'est celle-ci qui, en première ligne, acquitte l'impôt sur le revenu. L'assiette de l'impôt sur le revenu à la campagne n'est pas modifiée, le renforcement proposé par le Gouvernement visant uniquement la population urbaine industrielle et commerciale. De même, l'introduction de l'impôt sur les eaux minérales et sur le soda, ainsi que la suppression de l'exemption d'impôt pour la benzine d'automobile, n'atteint la population rurale que dans une mesure très minime. En ce qui concerne le nouveau projet d'accise sur le vin, le vin consommé par le viticulteur, les membres de sa famille et ses serviteurs demeurera, comme actuellement, exempt de l'impôt : le relèvement de l'impôt sur le vin frappera donc uniquement les acheteurs, c'est-à-dire presque exclusivement les villes et les milieux industriels.


Le trait essentiel de la politique économique autrichienne en cours est la lutte contre le mode de production capitalistique. En matière de politique industrielle, on essaie de soutenir la classe des artisans et de la préserver de la ruine inévitable. En matière de politique douanière, l'élévation des droits d'entrée sur les céréales et la viande renchérit le coût de la vie des classes laborieuses, diminue ainsi sa capacité de consommation en produits industriels et exerce par là une influence défavorable sur le développement de la grande industrie.

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En Autriche, l'opinion publique est hostile au mode de production capitalistique, à l'encontre de l'opinion dominante de tous les États occidentaux. Il ne faudrait pas comparer ce courant en Autriche à celui qu'on appelle anticapitalistique en Angleterre, aux États-Unis et dans les autres pays occidentaux, car dans les pays de l'ouest de l'Europe et en Amérique, on ne voit sans doute pas de bon oeil les gros bénéfices des entreprises capitalistiques, mais personne n'y voudrait provoquer une régression de l'évolution industrielle. En Autriche, les partis politiques les plus influents sont adversaires résolus du régime économique moderne tout entier. L'industrie déplaît aux partis agrariens, parce qu'elle relève les salaires. La grande industrie et le grand commerce gênent les partis de la petite bourgeoisie — ceux auxquels appartiennent les petits artisans et les petits commerçants —, parce qu'ils ont le dessus dans la concurrence. Mais ces deux partis, petite bourgeoisie et agrariens, ont une majorité énorme au Parlement autrichien : d'une part, des centaines de représentants de l'agriculture et de la petite bourgeoisie ; d'autre part, une vingtaine de députés de la grande industrie. Cet état de choses s'aggrave de ce que la bureaucratie exerce une influence excessive dans l'administration et de ce que la libre initiative de l'individu est constamment refoulée.

Les mêmes tendances dominent la politique financière. La grande industrie et le grand commerce, dont la prospérité est entravée de toutes les manières possibles par la législation et par l'administration, doivent supporter la plus grande partie des charges publiques.

A la longue, une semblable politique ne pourra plus se maintenir. Même en Autriche on devra se résoudre à écarter les obstacles qui s'opposent à l'évolution industrielle et à favoriser ainsi l'épanouissement de l'industrie, pour lequel toutes les conditions naturelles existent. La politique fiscale, elle aussi, devra se modifier : les producteurs agricoles, aujourd'hui presque exonérés, devront être taxés plus fortement, et les privilèges de la grande propriété devront disparaître. Une réforme radicale de l'administration intérieure est d'ailleurs tout aussi nécessaire.

wl:Ludwig von Mises

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