1. Qui est Alan Greenspan ?
(ou Sur la manière, randienne ou non, dont le président du Fed exerce son mandat) selon Georges Lane dans un exposé à une réunion de "Raison, Individu et Liberté" - the French Ayn Rand Society -, 17 mars 1998 ; ALEPS, 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris.
A. Introduction.
Si, en France, les médias parlent aujourd'hui de Alan Greenspan, c'est certes qu'il exerce la fonction de Président de la Banque centrale des États-Unis d'Amérique (plus connue sous la dénomination "Fed") et qu'à ce titre il mène la politique monétaire du pays (il est en effet par là même Président du Federal Open Market Committee - "FOMC"). C'est aussi qu'il en est à son troisième mandat comme président et que ce mandat lui a été renouvelé par Bill Clinton, Président démocrate des USA alors que Ronald Reagan lui avait confié le premier et George Bush le deuxième, tous deux étant Présidents républicains. Il avait succédé alors à Paul Volker, en 1987, qui lui même avait effectué deux mandats, le premier lui ayant été confié par Jimmy Carter, Président démocrate, le second par ... Ronald Reagan, et avait averti qu'il en refuserait un troisième... A cette date, les médias considéraient que Volker était irremplaçable et, en particulier, au début, par Greenspan (cf. annexes). C'est surtout qu'il a fait un "sans faute" à tous égards comme on va le voir.
Greenspan est aujourd'hui président du Fed depuis onze années - et pour rester dans le chiffres, je remarquerai que son âge est de douze années inférieur à celui du Fed lui-même (créé seulement en 1913) -. Greenspan est en effet né en 1926 et a obtenu un PhD de l'Université de New-York en 1977 (d'après Michaël Prowse, 1995) après avoir, dans un temps plus lointain, entrepris le cursus d'un PhD à l'Université de Columbia (d'après Bradford, 1997). Plutôt que d'achever ce dernier alors, il semble qu'il ait préféré créer une entreprise de "conseil et prévision" à Washington, après avoir été économiste dans ce qu'on appelle aujourd'hui un "think tank" et être devenu "partner" dans une firme de prévision de Wall Street.. Selon Murray Rothbard (1987), sa firme s'appelle "Townsend-Greenspan". Il créera aussi une firme de gestion d'un fonds de pension, mais ce sera un échec ! Selon Antony Harris (1988), il était consultant à New-York... Mais il sera aussi, en particulier, à compter de 1974, président des conseillers économiques de Gérald Ford qui lui-même succèdera à Richard Nixon comme président des États-Unis après que celui-ci aura été contraint de démissionner. Il aurait refusé quelques années auparavant d'être conseiller de Nixon... Et sur la proposition de Ronald Reagan, il sera président d'une commission de réforme de la "Social Security", début de la décennie 1980.
a. Ayn Rand et Alan Greenspan: la question de la justice.
En ce qui me concerne aujourd'hui, dans le but de répondre à la question posée en titre "Qui est Alan Greenspan ?", je retiendrai d'abord que, selon Bradford (1997), Greenspan est la personne qui a envoyé une lettre en 1957 - il a donc alors 31 ans - au rédacteur en chef du New York Times Book Review pour louer Atlas Shrugged, le dernier best-seller de Ayn Rand. Selon lui, ce livre est la "célébration de la vie et du bonheur" (en anglais "happiness"), il témoigne de "l'implacabilité de la justice", il fait apparaitre que "les individus créateurs qui poursuivent leurs desseins sans déviation (avec intransigeance...), étant donné leur rationalité, atteignent le bonheur (en anglais "joy") et connaissent leur accomplissement". Et, ce fut le point de départ de ses relations avec Ayn Rand, de 21 ans son ainée - en les développements de la pensée de laquelle, soit dit en passant, certains (comme Prowse, 1993) voient un exemple de "darwinisme social" ! -. Il devint membre du cercle de discussions philosophiques, dénommé "Collective", de Ayn Rand. Selon Bradford (1997) : "The Collective had no formal membership, so the question who was and who was not a member is somewhat nebulous. Some members casually refer to Murray Rothbard as a former member, while others bristle at the notion".
b. " Antitrust": la question de la concurrence
A coup sûr, cela lui a permis de voir un article - qu'il avait intitulé "Antitrust" - être publié en 1962 par l'Institut de Nathaniel Branden, un ami intime de Rand ... un temps. Pour donner un parfum de l'esprit et de la lettre de la philosophie de Greenspan sur le sujet, rien n'est plus approprié que de citer la première phrase du texte : "The world of antitrust is reminiscent of Alice's Wonderland : everything seemingly is, yet apparently isn't, simultaneously". Puisque l'article sera réédité dans le livre de Ayn Rand intitulé Capitalism : the Unknown Ideal (1967), il faut admettre que Rand était en total accord avec ce qu'il y est développé. Selon Greenspan, il convient de distinguer :
- a) the historical roots of the antitrust laws (pp.64-) and
- b) the economic theories upon which these laws were based" (pp.66- ).
S'agissant de b), il remarque que le concept concurrence des "classical economists" est ambigu et conduit à la confusion. Selon lui, "concurrence" est un nom "actif" et non pas "passif". Il convient aussi de l'appliquer non seulement à la production, mais encore à l'échange.
L'erreur des économistes du XIXè siècle a été de restreindre la "concurrence" à une abstraction. Elle a été de ne pas arriver à se demander si la concurrence "active" mène inévitablement à l'établissement de monopoles coercitifs ou si une économie du laissez-faire et de concurrence "active" a un régulateur qui la protège et la préserve. Un monopole coercitif est toujours un projet d'affaires qui peut fixer des politiques de prix et de production indépendantes du marché. La précondition nécessaire d'un monopole coercitif est une entrée fermée aux autres firmes. En cela, Greenspan apparaît comme "économiste autrichien". Mais il y a d'autres raisons pour le classer ainsi.
Selon Alan, le régulateur ultime de la concurrence dans une économie libre est le marché des capitaux ou, si on préfère, le marché financier. Ce marché agit comme un régulateur des prix et non pas des profits. En résumé du texte, il délimite sa position de la façon suivante: "the entire structure of antitrust statutes in this country [les États-Unis] is a jumble of economic irrationality and ignorance. It is the product : a) of a gross misinterpretation of history, and b) of rather naive, and certainly unrealistic, economic theories."
c. "The Assault on Integrity": la question de la réputation.
L'année suivante, en 1963, dans le périodique de Rand, The Objectivist Newsletter, il publie un article intitulé "The Assault on Integrity". L'article sera réédité dans Capitalism ... (pp.118-121). Là encore, il faut admettre qu'il est en total accord avec Rand. Greenspan y met en perspective la protection du consommateur, la réputation de l'homme d'affaires et la règlementation étatique. La notion de "réputation de l'homme d'affaires" me semble une notion explicative à la fois originale et essentielle si on veut comprendre l'action de Greenspan. La "réputation de l'homme d'affaires" n'est pas donnée. Elle s'acquiert difficilement et prend la forme d'un actif comparable aux autres actifs. Elle est en fait l'incitation de l'homme d'affaires et cette dernière, en concurrence, est la vraie protection du consommateur. A l'opposé, la règlementation étatique est imposée par la force : "sous la pile de papiers dont elle prend la forme, il y a toujours un fusil" (p.119). Même quand elle se veut protection du consommateur, elle décourage les hommes d'affaires car elle leur fait perdre les récompenses de la réputation et le repère de cette dernière. La protection se retourne ainsi contre consommateurs et hommes d'affaires.
d. "Gold and Economic Freedom".
Quelques années plus tard, en 1966, dans le même périodique, Alan publie un article intitulé "Gold and Economic Freedom" (voir traduction dans l'article Étalon-or). L'article sera réédité dans Capitalism... (pp.97-101). Selon Greenspan, or et liberté économique sont inséparables, l'étalon-or est un instrument du laissez faire et chacun implique et exige l'autre. En cela, il est en parfaite harmonie avec les économistes autrichiens que sont Menger (1892) ou Mises (1949), des économistes pour lesquels l'"échange indirect" et son "moyen nécessaire, la marchandise monnaie", renvoie l'un à l'autre, tout comme, avant ce merveilleux progrès, l'"échange direct" ou le "troc" et son moyen nécessaire, la "double coïncidence des besoins" renvoyaient l'un à l'autre.
Mais surtout, il considère que l'abandon de l'étalon-or a permis aux étatistes du bien être d'utiliser le système bancaire pour accroître sans limites le crédit. C'est ainsi qu'il signale que, d'abord, il a pu y avoir davantage de créances en circulation que d'actifs réels. Puis l'épargne a été confisquée par l'inflation. Enfin, les possesseurs de richesses se sont vus expropriés par la politique financière. En l'absence d'étalon-or, il n'y pas de moyen de protéger l'épargne de la confiscation qu'occasionne l'inflation.
e. A propos d'un article de "Liberty"
Cela étant, en novembre 1997, R.W. Bradford a écrit dans Liberty un article où il se pose la question suivante : "Does anything [Alan Greenspan] learned from Rand mean anything to him now ?".
Et sur la base de ce qu'il considère être des critères de "philosophie randienne", il subdivise la question en deux :
Q.1. : Est-il moral de diriger une "agence centrale de planification " ?
Q.2. : Est-il possible de faire avancer ainsi la (cause de la) liberté ?
Il apporte deux réponses, une précise, une floue.
R.1. : Greenspan est mieux que tout autre... à la tête du Fed.
R.2. : la réponse est floue car Bradford introduit, pour répondre, une alternative qu'il ne tranche pas. L'alternative est la suivante : "... the Murray-Leninist approach or the Greenspan-accommodationist approach ? Et la réponse devient une question : "Which is better ... ? Et concurremment il fait intervenir deux considérations supplémentaires : - une "practical perspective" : la "credibility"... de l'action menée ; - un point de vue moral : la "credibility" au prix de la souffrance humaine... Et tout son développement est parsemé de piques et de propos acides envers Greenspan... En passant, je m'étonnerai de la référence à la "crédibilité", notion guère randienne ; Bradford ne semble pas avoir compris la notion essentielle de "réputation", ligne d'action en particulier de Greenspan !
B. Que répondre ?
Ma démarche sera différente. Je laisserai de côté l'opinion sévère de Rothbard (1987) sur Greenspan qu'il juge:
- - keynésien conservateur ;
- - son comportement est de ne pas faire de vagues,
- - bien introduit chez les Républicains (membre de la "trilatérale" de Rockfeller, directeur de J.P. Morgan & Co. et Morgan Guarantee Trust) ;
- - philosophiquement, partisan du laissez faire et même de l'étalon-or ;
- - mais en pratique, il est centriste comme chacun car il est pragmatique...
pour lui, le laissez faire est une curiosité ... il est pour le laissez faire et l'étalon-or si les conditions sont bonnes (cf. p.64), il n'applique pas ses principes philosophiques.
Je laisserai aussi de côté l'opinion de Branden (citée par Bradford) selon laquelle il serait:
- - positiviste logique ;
- - keynésien ;
- - prévisionniste (ce qui le situe à l'opposé de la doctrine de Mises...)
Cette opinion tranche avec l'éloge qui transparaît des essais qu'il avait écrits en 1962 et qui sont réédités dans Capitalism ... sous l'intitulé "Common Fallacies about Capitalism". Mais Branden n'en arrive-t-il pas à rappeler ce qu'écrit Greenspan sur le rôle crucial du marché des capitaux dans une économie libre. (p.74) Ne cite-t-il pas la "métaphore inestimable" de Greenspan : "If, under laissez-faire, the banking system and the principles controlling the availability of funds act as a fuse that prevents a blowout in the economy - then the government, through the Federal Reserve System, put a penny in the fuse-box. The result was the explosion known as the Crash of 1929" (p.80) Enfin, ne reprend-il pas l'argument d'Alan selon lequel ce que fait de plus nuisible l'Administration, c'est d'engendrer une atmosphère générale d'incertitude (p.82)
C. "Ma" réponse.
Ma démarche sera fondée à la fois sur les trois articles de Greenspan réédités dans Capitalism ... que j'ai mentionnés et sur l'actualité de ses onze années de mandat comme Président du Fed, elle va consister dans le rapprochement des uns et des autres. Le rapprochement est, bien évidemment, à éclairer par les événements qui ont fait que le cadre de sa période de présidence n'a pas été un long fleuve tranquille :
- - trois présidents successifs différents des États-Unis (deux républicains : Ronald Reagan II, puis en 1988 George Bush et enfin, en 1992 - puis en 1996 - un démocrate, Bill Clinton) et trois périodes de réélection de ceux-ci ;
- - la réputation de son prédecesseur au Fed, Paul Volker, qui avait refusé un troisième mandat et était adulé par le marché des capitaux au point que :
- "When Mr Alan Greenspan took over from Mr Paul Volker as Chairman of the Federal reserve Board just under a year ago, there were some unkind jokes about small men filling large shoes" (Harris, 1988b)
- ou encore :
- "watching the Greenspan Fed is about as exciting as watching a tree grow" (Harris, 1988a)
- - la crise boursière du 19 octobre 1987 (première grande baisse des prix des actions sur le marché de New-York depuis 1929) :
- "des rumeurs faisaient hier état de son éventuel départ, et d'un retour de Paul Volcker" (Gravière, 1987);
- - le mur de Berlin (construit en 1961 par l'URSS sous les yeux de l'Occident inerte) est franchi et détruit fin 1989 ;
- - l'invasion du Koweit par les troupes irakiennes à partir de août 1990 ;
- - la réunification de l'Allemagne au prix de 1 mark de l'ouest pour 1 de l'est ;
- - la récession économique de fin 90-début 91 aux USA ;
- - la disparition de l'URSS (construite en 1917 par Lénine et les bolcheviques) ;
- - l'avénement en 1994 d'une majorité républicaine au Congrès (après trente années de majorité démocrate).
Précisément, les points que je vais évoquer pour répondre à la question "Qui est Alan Greenspan ? (ou de la manière, randienne ou non, dont le président du Fed exerce son mandat)" sont fondés sur les écrits de Alan Greenspan repris par Ayn Rand dans Capitalism … Selon moi, son action est une application des principes développés dans ces écrits. Il y a :
- 1°) en relation avec "Antitrust", la réforme du "Glass-Steagall Act" du 16 juin 1933.
- 2°) en relation avec "Gold and Economic Freedom", le rythme d'augmentation du niveau général des prix aux États-Unis.
- 3°) en relation avec "Assault on integrity" et "Gold and Economic Freedom", l'action du Fed et de son Président - qui se construit une réputation -.
- 4°) Enfin, en relation avec ces articles et la philosophie randienne, l'expression utilisée par Greenspan fin 1996 : "l'exubérance irrationnelle des marchés".
1°) La réforme du "Glass-Steagall Act" du 16 juin 1933.
Greenspan appuie l'abrogation du "Glass-Steagall Act" du 16 juin 1933. Cela n'a rien d'étonnant. La loi en question a pour point de départ la crise de 1929. Il ne faut pas qu'elle se produise de nouveau. Elle sépare les activités de banque commerciale de celles de banque d'affaire (ou d'investissement) et de compagnie d'assurance. Elle empêche aussi l'installation de filiales de banque dans d'autres États des États-unis que l'État "d'origine". Elle interdit aux banques commerciales de procéder à des échanges dans tous les types de titres pour leur propre compte (seulement des prêts à court terme). Greenspan insiste en particulier, en 1988, sur l'argument selon lequel les grandes banques commerciales, qui n'ont pas en principe le droit d'entrer dans la banque d'affaires, pourraient, en le faisant, stabiliser la profession au moment où les fluctuations des marchés financiers les rendent plus vulnérables (Cf. Grapin, 1988). En 1989, selon Riddell :
- "On legislative changes, Mr Greenspan urged Congress to return promptly to legislation which would have removed the restrictions of the Glass-Steagall act on the operations of US banks in securities markets".
En 1996, selon Sengès, le Fed a décidé d'
- "élargir la capacité des filiales des banques à émettre des titres, ce qui a donné le coup d'envoi des grandes manœuvres de concentration dans le secteur de courtage". (Sengès, 1998)
Il n'en reste pas moins qu'en mars 1998, la loi n'est toujours pas réformée. Soulignons aussi en passant les efforts de Greenspan pour que la règlementation financière ne soit pas accrue aux États-Unis. Miller les décrit ainsi :
- "And Allan Greenspan, representing Bank Team - a team that might normally have been expected to support the further hobbling of its Broler/Dealer rivals - backed away from the General Accountubg Office report completely.
- Greenspan, concerned that Congressional meddling with regulation might drive business abroad - the only antiregulation argument they ever take seriously in Washington these days, incidentally - declared that the existing regulatory structure was more that adequate, thank you." (Miller, 1997, p.64)
2°) Le rythme d'augmentation du niveau général des prix aux États-Unis.
Greenspan a eu, comme objectif, dès le départ, de réduire le rythme d'augmentation du niveau général des prix aux États-Unis. Merton Miller, prix Nobel 1990 de sciences économiques en témoigne :
- "But, you'll say, Alan Greenspan, our current Fed Chairman, has stated repeatedly in recent months that price stablity is the Fed's overriding goal, not unemployment goal.(Miller, op.cit., p.164)
Dans ce but, Greenspan en est arrivé à s'appuyer sur les informations produites par le compartiment à terme du marché organisé de l'or, autant que sur les indices de prix construits par les organismes traditionnels :
- "So what was Fed Chairman Alan Greenspan doing on Feb. 22, when he told a House banking subcommittee that gold prices have become an important factor in settling short-term interest rates ? Greenspan took care to stress that gold is just one of several measures that are used to guide the central bank's inflation watcher." (Ullmann, 1994)
Toujours en relation avec le marché de l'or, il y a ses déclarations reprises par Bradford (en particulier, de 1995 et de 1994). Bradford rappelle en 1997 que, quelques mois auparavant..., au sénateur Paul Sarbanes qui lui disait :
- "Now my question is, is it your intention that the report of this hearing should be that Greenspan recommends a return to the gold standard ?'
Greenspan responded, "I've been recommending that for years, there's nothing new about that... It would probably mean there is only one vote in the FOMC for that, but it is mine".
3°) L'action du Fed et de son Président - qui se construit une réputation.
Il faut rappeler qu'aux États-Unis, le Trésor veille sur le marché des changes (et, par conséquent, sur le prix du dollar) et passe par le Fed pour faire exécuter ses ordres. Le Fed veille uniquement sur les taux d'intérêt ou sur la quantité de monnaie : c'est la politique monétaire... Et, pour la mener, Greenspan a fait en sorte de "se tailler une réputation"... :
- "As everyone knows, Mr Greenspan established his own claims within two months, with his management of the October shock" (Harris, 1988b)
Rappelons à cet égard l'analyse de Miller :
- "So what can a poor central bank head like Alan Greenspan do to make the Fed's price stability promise credible ? Not much in the short run, I fear. To gain credibility, you have to do in the old-fashioned way : your havec to earn it. You have to show by your actions that you will focus on controllling inflation [...] earning that kind of reputation can be done, though it's not easy and takes time" (Miller, op.cit., p.165)
- "So that's the problem facing your average central banker. He's damned if he does and damned if he does not. How can he establish credibility as an inflation hawk without precipitating a depression ?
- For a country like United States, I'm afraid he probably can't. The best he can hope for is to get a reputation of being sufficiently quick to start tapping the brakes before the inflation party gets under way. That's clearly what Greenspan is trying to do but hasn't succeeded yet in convincing all the skeptics [...]" (ibid., p.167)
a) La politique monétaire du FED (trés exactement, du F.O.M.C.) :
- - action sur la quantité de monnaie ; ou
- - action sur les taux d'intérêt ?
Si action sur quantité de monnaie, quel indicateur (M3) ? Un taux de croisssance de la masse monétaire (M3), la variation du taux de change ou la variation des prix ? Si action sur taux d'intérêt, action sur les taux d'intérêt en harmonie ou en opposition avec le marché financier ? Par exemple, en février 1988, devant la commission bancaire du Sénat, Alan Greenspan a annoncé les objectifs de progression de la masse monétaire : entre 4% et 8% pour M2. Il recherche la stabilité dans un environnement incertain, soulignant qu'il y a autant de raisons d'augmenter les taux d'intérêt que de les diminuer. En février 1994, Greenspan explique :
- "The Federal Reserve's moves to increase short-term interest rates this year are most appropriately understood in an historical context.
- In the spring of 1989, we began to ease monetary conditions as we observed the consequence of balance-sheet strains resulting from increased debt, along with significant weakness in the collateral underlying that debt".
- [...] Because we at the Fed were concerned about sharp reactions in markets [...] we chose a cautious approach to our policy actions, moving by small amounts at first. [...] many of us [FOMC] were concerned that a large immediate move in rates could create too big a dose of uncertainty, which could destabilize the financial system".
Selon Ullmann :
- "His predecessor, Paul A.Volker, used rigid money-growth targets to rationalize his squeeze on inflation. And before Volker, Arthur F. Burns pulled a new money-supply measure out of his pipe to justify Fed policy. Now, Greenspan may likewise use gold as cover his actions." (Ullmann, 1994)
Selon Baker :
- "There have been, broadly, two distinct phases to the Greenspan years. Both demonstrate, in different ways, the centrality of the Fed's role in US economic performance of the past decade.
- The first, between 1987 and 1992, was a time of almost continuous crisis management as the domestic US economy reeled from stock market crash to recession to banking crisis.
- The second period, beginning in 1992, has been one of greater stability, though arguably it has posed even more of a test for the chairman" (Baker, 1997)
b) La question de l'indépendance du Fed vis-à-vis des autres institutions politiques.
En 1989, Greenspan était allé faire en URSS un plaidoyer en faveur d'une banque centrale indépendante "à l'abri des pressions politiques, qui ignorent les effets à long terme de la politique monétaire".(Grapin, 1989). Bradford rappelle en 1997 que, quelques mois auparavant..., au sénateur Paul Sarbanes qui lui demandait :
- "whether he favored a sunset provision in the authorization of the Fed.
Greenspan coolly answered that he did. Do you actually mean, demanded the senator, that the Fed 'should cease to function unless affirmatively continued ?' 'That is correct, sir', Greenspan responded". Entre ces deux dates, on soulignera qu'un conflit a, semble-t-il, émergé à la veille de l'élection de Clinton pour un second mandat... D'autres conflits sont latents : le Fed serait trop secret, Greenspan prendrait les décisions seules… En passant, on remarquera qu'un des vice-présidents, W. Angell, démissionnera car il jugera qu'il n'est pas assez payé … (l'augmentation de revenu qui devait avoir lieu a été reporté).
4°) "L'exubérance irrationnelle des marchés".
Cette expression de "exubérance irrationnelle des marchés", utilisée par Greenspan fin 1996, l'a fait en définitive connaître du grand public, lui a donné une notoriété, avant de lui conférer une "réputation", a fait curieusement couler beaucoup d'encre et aurait été la cause de la baisse de Wall Street un temps…. Elle n'a pourtant rien de surprenant. Pour la comprendre, il suffit d'être familier, d'abord, avec la philosophie randienne : seul l'être humain est rationnel. La raison et l'individu ne font qu'un, ils sont inséparables. La raison est l'instrument de l'être humain et chacun implique et exige l'autre. Ce qui n'est pas être humain n'est pas doté de raison et ne peut qu'être irrationnel. Un marché ne peut qu'être irrationnel.
Elle aurait du faire couler beaucoup d'encre parmi les randiens si, au contraire, Greenspan avait parlé d'"exubérance rationnelle des marchés" à l'image des économistes qui parlent du "marché rationnel".
Ensuite, il faut connaître ce qu'a écrit Greenspan, en particulier, dans "Antitrust". Je ne saurai trop insister sur le passage suivant :
- "The capital act as a regulator of prices, not necessarily of profits. [...]
- The present worth of the discounted expected future profits of a given industry is represented by the market price of the common stock of the companies in that industry. If the price of a particular company's stock rises, the move implies a higher present worth for expected future earnings.
- Statistical evidence demonstrates the correlation between stock prices and capital outlays, not only for industry as a whole, but also within major industry groups." (Greenspan, op.cit., pp.68-69)
Passage d'ailleurs sur lequel avait insisté Branden (Branden, 1962, p.74)…
Cela signifie que, mis en parallèle avec les profits attendus avec incertitude par les individus et avec les variations d'anticipations de ceux-ci, les marchés donnent lieu à des variations de prix qui peuvent être jugées importantes, excessives. Mais ces variations de prix ne font jamais que reflèter, d'abord, les ajustements ondoyants que produit le régulateur ultime de la concurrence dans une économie libre, à savoir le marché financier, le marché des capitaux :
- "The ultimate regulator of competition in a free economy is the capital market [en italiques dans le texte]. So long as capital is free to flow, it will tend to seek those areas which offer the maximum rate of return" (cf. ibid., p.68)
Et je ne saurai trop conclure ce point sur la citation déjà donnée ci-dessus :
- "the entire structure of antitrust statutes in this country [les États-Unis] is a jumble of economic irrationality and ignorance."
Dans une économie où la concurrence est entravée par des lois antitrusts, il ne peut qu'y avoir une exubérance irrationnelle des marchés car l'ajustement est fait par "sauts", par "paquets".
D. Conclusion
Plus généralement, et pour répondre précisément à la question posée en titre "Qui est Alan Greenspan ?", je dirai que Alan Greenspan a une manière d'exercer son mandat de Président du Fed qui n'aurait pas déplu à Ayn Rand pour autant qu'il met en application les principes qu'il avait développés par écrit et qu'elle avait agréés.
Seulement, cette manière ne semble pas être comprise par les commentateurs honnêtes englués, parfois à leur corps défendant, dans les cadres de théorie économique (néo)keynésien ou (néo)monétariste. En effet, elle va de pair avec l'"approche autrichienne" de la théorie économique qu'ils ignorent et dont une hypothèse essentielle est que l'être humain est un individu qui vit dans l'ignorance de son extérieur (mais aussi de son intérieur…) ou, si on préfère, qui vit dans l'incertitude. Une deuxième hypothèse tout autant essentielle est que son extérieur est balisé par des règles de droit naturel qui contribuent à la réduire par rapport à ce qu'elle pourrait être si elles n'existaient pas. Dernière hypothèse que je retiendrai : les actions que l'individu choisit de mener tendent à réduire encore son ignorance ou, si on préfère, à la transformer en connaissance partielle. Et il en est ainsi qu'on soit président du Fed ou non.