Henri Lepage:Économiste non conventionnel

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Henri Lepage
né en 1941
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Auteur minarchiste
Citations
« L'Etat n'est pas, comme on a trop tendance à le voir, une construction divine, dotée du don d'ubiquité et d'infaillibilité ... Il faut démystifier la notion d'intérêt général qui n'est bien souvent qu'un alibi cachant un phénomène d'"exploitation" du reste de la société par une caste privilégiée de fonctionnaires et bureaucrates. »
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Henri Lepage:Économiste non conventionnel
Henri Lepage, un économiste non conventionnel


Anonyme
Analyse de Jean-Luc Migué


Lorsque Henri Lepage publiait Demain le capitalisme il y a 25 ans, il s'adressait à un monde francophone imbu de la tradition collectiviste. L'occasion de la célébration de cet ouvrage nous invite à réfléchir sur le sens de cette philosophie encore dominante. Dans son aboutissement pratique, la vision collectiviste du monde repose essentiellement sur la foi dans la politisation de la société, et sa conséquence indissociable, le redistributionnisme par la coercition d'État. Dans ses principes méthodologiques, elle découle d'une démarche discréditée en analyse, et troublante en morale.

Vision de l'homme

L'homme « sociologique » qu'on retrouve encore dans la conception courante est un homme déterminé. Il est le produit exclusif de son environnement. Au sein de la société, il est comme l'abeille dans la ruche. Il ne fait pas de choix, il ne s'adapte pas. Son environnement ne fait pas que le contraindre comme chez l'homo oeconomicus; il le détermine. La société impose le comportement individuel, non pas l'inverse. L'individu est incapable de régler ses choix sur les « opportunities » (les occasions d'agir) qui se présentent. Il est passif.

Aux antipodes de cette vision se retrouve l'homme que propose la méthodologie économique et qui s'affirme dans Demain le capitalisme et dans les autres écrits d'Henri Lepage. Dans cette perspective, l'individu est le seul agent moteur de la vie collective. Il assume un rôle actif dans la poursuite de son bien-être. Il est un évaluateur qui pèse les alternatives par le calcul des bénéfices et des coûts de ses actes, et il choisit celle qui lui paraît la meilleure. Il n'est pas une simple machine à calculer, cependant. Il innove et prend des risques dans son souci de s'épanouir. Il maximise sous contraintes, dont celle de son information imparfaite dans un monde de rareté et d'incertitude. Il réagit aux incitations qui se révèlent dans le prix monétaire et psychologique de ses options.

Vision de la société

La contrepartie de cette vision de l'homme se retrouve dans la conception de la société. Si le postulat collectiviste de l'homme tient, l'individu n'est ni source de droit, ni d'action, ni de morale. Dans la perspective collectiviste de la société, l'individu n'existe pas, ni comme source de décision ni comme critère d'efficacité ou de justice. La société n'est pas le regroupement d'individus. Elle possède plutôt une âme distincte, une volonté abstraite, au-dessus des individus qui la composent. C'est la société animiste, dotée de qualités humaines, qui possède le pouvoir de faire des choix.

Le mal et l'injustice qu'on observe dans la société sont alors inhérents à l'ordre social capitaliste. Les disparités de revenus, d'occupations et d'éducation incarnent des injustices engendrées par le système. La recherche de l'épanouissement de soi, l'intérêt personnel, le mobile du profit n'appartiennent pas à la nature de l'homme aux prises avec la réalité de la rareté. Le mal est imposé à l'individu par la culture. Il disparaîtra, comme le self-interest, sous un nouvel ordre social. L'homme est malléable et perfectible. Le « bon sauvage » de Rousseau reprendra sa place après l'avènement du grand soir collectiviste.

Pour l'analyste formé à la discipline économique au contraire, la société, qui s'identifie au marché, est l'aboutissement, non intentionnel, des actions individuelles. Les organisations politiques et sociales constituent des systèmes, involontaires sans doute, mais engendrés par les individus. Seuls agissent et choisissent des individus. La « main invisible » d'Adam Smith n'est pas conçue par l'homme, mais elle est le fruit non intentionnel des comportements de chacun. La réalité sociale est objective, bien qu'involontaire, mais elle résulte des actions individuelles impersonnelles.

Vision de l'État

C'est sur cette conception organique de l'homme et cette vue animiste de la collectivité que s'inscrit la vision rousseauiste courante de l'État, comme incarnation d'une volonté sociale abstraite. Puisque c'est la société, non les individus, qui possède une finalité, l'État devient le gardien, le garant, l'incarnation de la culture et du bien-être. Par quel processus s'élabore cette volonté collective et comment elle se transmet au décideur public, à travers le mécanisme de scrutin ou autrement, la démarche collectiviste ne l'explique pas. Elle la postule. Bien entendu, le corollaire politique universel dégagé par les adeptes de l'animisme social est que l'activisme politique et l'interventionnisme sont la voie unique du progrès de ceux que le revenu défavorise, de ceux que la « représentation paritaire » n'inclut pas dans les occupations et les institutions désirables, ou qui, en général, souffrent de quelque désavantage visible. En sciences sociales on range cette approche dans la catégorie des pseudosciences au même titre que l'astrologie, la parapsychologie et les autres sciences occultes.

Les corollaires politiques et institutionnelles de l'une et de l'autre approche se distinguent aussi profondément. Si l'État est le seul mécanisme d'organisation et d'intégration sociale par son pouvoir d'exprimer la volonté et l'intérêt supérieur de la collectivité, alors la prospérité et le bien-être social commandent l'alourdissement fiscal, l'élargissement des budgets publics et la multiplication des réglementations à toutes les facettes de la vie personnelle et professionnelle. Le redistributionnisme au service de l'ordre juste dicté par l'élite politico-bureaucratique s'impose aussi, puisque les individus ignorent ce qui est bon et mauvais pour eux.

Aux antipodes de ce programme, si le commerce libre entre individus et organisations décentralisées est seul capable de créer la richesse et le bien-être suivant les préceptes de la méthodologie économique, alors l'État minimal s'impose au profit d'un régime de récompenses et de sanctions qui laisse libre cours au dynamisme des décideurs décentralisés. Corollaires: minimisation du poids fiscal, surtout sur les plus productifs; compression des contraintes réglementaires sur la vie active des gens au profit de l'effort productif et de l'entrepreneurship; surtout priorisation de la création de richesse et recul du redistributionnisme destructeur de richesse. En un mot, liberté, entrepreneurship, prospérité par la dépolitisation de la société. Tel est l'enseignement essentiel de Demain la capitalisme.

Un économiste non conventionnel

Le paradoxe est qu'Henri Lepage n'a jamais été ce qu'il est convenu d'appeler un économiste conventionnel. L'expression économiste conventionnel qu'on emploie dans la profession n'est d'ailleurs pas essentiellement péjorative. Elle désigne ce qu'elle exprime, c'est-à-dire l'exercice du métier tel qu'on l'enseigne dans la plupart des facultés, et qu'on le pratique dans les ministères, dans les médias, souvent avec grand succès. Dans sa version la plus productive, cette méthodologie s'incarne le plus clairement au Canada, à côté des départements d'économique, dans le C.D. Howe Institute ou même le Conference Board. Sa démarche consiste à appliquer la définition que donnait Lionel Robbins de la discipline dans les années 1930: l'étude de l'allocation des ressources rares à usages multiples.

Étrangère à cette définition est l'approche qui identifie la science économique: l'individualisme méthodologique. L'économique est une vision du monde fondée sur la dynamique d'individus qui maximisent. À ce titre, la discipline s'applique, non pas exclusivement à la tranche matérielle ou monétaire de l'activité, mais à toutes les dimensions de la vie en société. C'est à la diffusion de cette vision riche et impérialiste vis-à-vis les autres disciplines de science sociale que les efforts d'Henri Lepage se sont déployés.

Un autre paradoxe est apparu en conséquence de cette assignation des tâches. Tout en écartant implicitement la tradition analytique collectiviste et marxienne, les économistes conventionnels n'en ont pas moins réinséré l'État au coeur de la recherche du bien-être social. Il leur fallait cependant une autre rationalisation. Qu'à cela ne tienne. Les déficiences omniprésentes d'un marché décrété imparfait feraient l'affaire. Et c'est ainsi que les concepts d'économies externes et d'économies d'échelle se sont imposés. Cette façon de voir fonde le rôle social que la profession des économistes ne demandait pas mieux que de s'arroger: celui de conseiller du Prince. En postulant un État omniscient et bienveillant, face à un marché défaillant, l'enseignement conventionnel justifiait l'étatisme.

À la racine de cette démarche, on distingue une méthodologie profonde: la tradition néo-classique conventionnelle (marshallienne), qui dépeint une économie statique où, comme des comptables, les offreurs de biens et services identiques s'ajustent passivement au prix imposé de l'extérieur. Pigou en avait saisi le sens et appliqué la consigne étatiste il y a près de 3/4 de siècle, ouvrant ainsi la voie à la mission salvatrice de l'État. Étaient exclues de cette vision les dimensions dynamiques de l'économie et de la croissance, exprimées dans la tradition des Bastiat, Mises, Kirzner, Hayek, et que retient Demain le capitalisme.

Le parallèle entre le régime de santé français et canadien offre l'illustration concrète et moderne de ce contraste. Le régime français, comme celui du Canada, est essentiellement un régime étatiste. La France, par contre, retient le principe de la tarification partielle à l'usager et de l'initiative privée circonscrite. Corollaires: Les files d'attente sont pratiquement inexistantes en France. « Markets clear » dans un monde néoclassique. Mais en France comme au Canada, le processus de « destruction créatrice » a été banni de l'industrie de la santé. Dans les deux pays, le régime public centralisé a écarté la logique de l'entreprise novatrice qui nous a valu notre niveau de vie actuel. Les inventeurs, les innovateurs et les entrepreneurs n'ont pas leur place dans le schéma en place. Le régime attend de l'administrateur qu'il gère le rationnement. Or les entrepreneurs ne sont pas des administrateurs. On a supprimé les choix individuels et l'esprit d'entreprise; on a supprimé le profit qui est la récompense de l'innovation; on a écarté le capital privé, et on déplore ensuite que le régime de santé manque de fonds et d'investissement, qu'il ne soit pas novateur.

L'analyse et l'histoire ont pourtant démontré que le « command and control » d'une industrie entière, à la façon de l'ex-Union soviétique, relève de ce que le lauréat Nobel Hayek appelait l'illusion, la prétention fatale. La prétention toute cartésienne de croire qu'une organisation centrale, fût-elle démocratique, soit capable d'obtenir toute l'information nécessaire pour intégrer les milliards de relations que cette tâche comporte. La prétention de croire qu'on peut par des directives centrales aux administrateurs reproduire le dynamisme de l'entreprise novatrice.

L'illusion de la foi dans l'État

Pages correspondant à ce thème sur les projets liberaux.org :

Voilà le mythe contre lequel Henri Lepage se bat depuis vingt-cinq ans. Comme le suggère l'évolution de la pensée populaire depuis la parution de Demain le capitalisme, l'ampleur de la tâche ne garantit pas le succès. On comprend que les hérauts et artisans de la mise en place de l'appareil bureaucratique opposent une résistance farouche à cette collection de sacrilèges. Malgré le poids écrasant de la pensée reçue, tout espoir n'est pas interdit dans le reste de la population. Sans doute par l'effet de la concurrence globale, la résistance à l'appesantissement fiscal et au micro management de nos vies par l'État-providence s'éveille, même en pays latin. Au plan idéologique, l'élite intellectuelle et bureaucratique qui a conçu et bâti la machine reste à peu près seule à colporter l'illusion des années 1960, de la foi dans l'État.

C'est avec la plus grande spontanéité que je rends cet hommage au scholar et à l'ami qu'est Henri Lepage.

Note

Jean-Luc Migué est Senior Fellow de l'Institut Fraser et auteur de Le monopole de la santé au banc des accusés, Montréal, Éditions Varia, 2001.

wl:Henri Lepage

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