Jean-Jacques Rosa:Les sophismes de la globaphobie

Jean-Jacques Rosa
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« La mondialisation et les marchés financiers ne sont pas une menace pour la société française

mais au contraire les instruments d'une nouvelle prospérité »

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Jean-Jacques Rosa:Les sophismes de la globaphobie
Les sophismes de la globaphobie


Anonyme


Tribune parue dans Le Figaro du 24 septembre 1999

La mondialisation et les marchés financiers ne sont pas une menace pour la société française mais au contraire les instruments d'une nouvelle prospérité

La tonalité des débats publics de ces dernières semaines laisse penser que les Français se préparent à aborder l'an 2000 avec un sentiment de crainte et d'impuissance. Crainte pour leur identité qui serait menacée, de diverses façons, de se fondre dans une sorte d'homogénéisation globale dissimulant en réalité une dictature américaine et capitaliste, et impuissance de leurs représentants élus à s'opposer à ce processus.

Ainsi, dans ces colonnes, Jean-Pierre Vesperini évoquait, à propos de la bataille boursière BNP - Société générale, la carence des pouvoirs publics qui auraient dû selon lui intervenir activement pour imposer une solution purement française et garantissant notre système bancaire contre des ingérences futures de capitaux internationaux. L'intérêt de ces derniers ne correspondrait pas, en effet, à ceux de notre économie et des citoyens-consommateurs que nous sommes. Les investisseurs sur les marchés de capitaux seraient à la recherche de plus values de court terme ce qui s'opposerait diamétralement à la prospérité de long terme de l'entreprise. Le souci exclusif du profit serait ainsi antinomique de l'intérêt des Français.

"Court termisme"

Cette idée est très répandue dans les milieux politiques et les media. Elle est néanmoins rigoureusement inexacte. En effet le profit boursier, les plus values que recherchent tous les investisseurs et épargnants, français comme étrangers, dépend de l'augmentation du prix des actions. Mais l'action n'est qu'un droit - négociable - sur les profits des entreprises, présents et futurs et pour toute la durée de vie de la firme. En achetant une action PSA ou IBM l'épargnant acquiert le droit de percevoir la part correspondante des profits de l'entreprise, sous forme de dividendes, aussi longtemps que vivra la firme. Ce qui fait que tous les profits attendus, même à horizon lointain, ceux de 2003, 2010 ou 2012, contribuent à déterminer ce que vaut l'action en question aujourd'hui. Le cours de l'action ne peut monter dans le court terme que dans la mesure où la valeur présente de l'ensemble de ces profits futurs anticipés augmente. Il s'ensuit que même si les épargnants ou les fonds de pension qui gèrent leurs capitaux recherchent des plus values à court terme, ils ne pourront les obtenir que si la firme qu'ils choisissent prospère à moyen et long terme. La pression des actionnaires sur les managers pour dégager des résultats boursiers à court terme joue ainsi en faveur d'une politique d'investissement à long terme.

S'il n'en était pas ainsi aucune société cotée ne ferait d'investissement puisque tout investissement se traduit par des coûts supplémentaires dans le court terme et réduit en conséquence les profits courants. On constate en réalité que les sociétés qui annoncent un développement de leurs investissements, et souvent de leurs investissements à rendement très éloigné comme ceux effectués en matière de recherche et développement, bénéficient d'une appréciation positive des marchés boursiers. Le long terme n'est pas l'ennemi des plus values boursières, c'en est au contraire le ressort, le mécanisme de capitalisation étant l'instrument par lequel des perspectives de profit éloignées dans le futur trouvent une traduction immédiate dans le cours actuel. Et il ne s'agit pas ici de confiance aveugle dans les vertus du marché ou de vision théorique éloignée des faits mais de réalités observables et maintes fois constatées dans de très nombreuses études.

Concurrence, erreurs et corrections

C'est en raison de ce souci naturel pour le long terme que les confrontations boursières et les exigences de rendements élevés des détenteurs d'actions, individuels ou collectifs, constituent un élément déterminant de l'enrichissement des entreprises. Les investisseurs encouragent par leurs achats d'actions les entreprises qui apparaissent les plus créatrices de richesse à moyen ou long terme. Et ils vendent celles des autres, dont la stratégie apparaît moins prometteuse. Certes les marchés se trompent dans leurs prévisions, comme tous les acteurs économiques et comme chacun d'entre nous, parce que l'avenir est incertain. Mais ils corrigent en permanence, au jour le jour, leurs erreurs à la lumière des informations nouvelles qui ne cessent jamais d'arriver. C'est un processus de tâtonnement qui consiste à réestimer à chaque instant la valeur la plus probable de chaque entreprise.

Les fonctionnaires d'un ministère des finances ou d'une banque centrale ne peuvent pas faire mieux que les milliers d'opérateurs professionnels qui recherchent, partout dans le monde et à tout instant, la meilleure information sur l'entreprise. C'est pourquoi il importe de laisser les marchés financiers établir les cours et décider de l'allocation du financement et des restructurations d'entreprises.

Le rôle social des actionnaires

S'agit-il de défendre le seul intérêt des capitalistes ? Absolument pas. La création de richesse sur le territoire national est en effet le seul moyen d'enrichir les Français dans leur ensemble, directement par le développement de la production et le versement de salaires et de dividendes, et indirectement par les impôts que les entreprises actives sur le territoire versent à l'Etat. Ces recettes fiscales permettent en effet d'offrir aux résidants des services publics qui concourent à l'élévation du niveau de vie effectif.

Une entreprise qui fait des pertes ne crée pas de richesse mais appauvrit la collectivité nationale, même si elle produit beaucoup et emploie un personnel nombreux. En effet la valeur des biens et services qu'elle met en circulation est par définition inférieure à la consommation qu'elle fait des ressources en travail, des produits intermédiaires et de capital qu'elle accapare pour sa production. Elle détruit ainsi plus de valeur qu'elle n'en ajoute. Une forte production et un fort emploi dans des entreprises déficitaires contribuent ainsi à une réduction du niveau de vie général.

L'intérêt national est donc d'avoir sur le territoire le plus possible d'entreprises créatrices de richesse, c'est-à-dire profitables à moyen et long terme, ce qui se traduit par une hausse des cours boursiers, et d'éliminer les autres.

Le rôle social des investisseurs à la recherche de plus values, est donc de repérer les entreprises qui créent le plus de richesse pour la collectivité et de les pousser à le faire davantage, ce qui va bien au delà de leur intérêt privé. Il faut que les investisseurs recherchent ces plus values si nous voulons que le financement aille aux plus productifs et que le niveau de vie augmente.

Faut-il alors craindre la concurrence sauvage sur les marchés de capitaux et la mainmise éventuelle d'investisseurs de nationalités diverses sur les entreprises françaises ? Bien au contraire. Il est bon pour l'économie française d'attirer les capitaux en provenance de toutes les parties du monde, gage de financement stable parce qu'abondant. Un investisseur japonais ou américain a pour principal objectif, comme un épargnant privé français, de réaliser des plus values et de toucher des dividendes. Il va par conséquent choisir les entreprises exactement selon le même critère de création de richesse à long terme. Il s'ensuit que la pression exercée sur les managers sera exactement la même quelle que soit la nationalité de l'investisseur. Ce ne sont pas les citoyens américains ou le gouvernement japonais qui investissent dans les entreprises européennes pour atteindre on ne sait quel objectif stratégique ou politique de puissance. Ils ont bien d'autres chats à fouetter et d'autres emplois pour les fonds publics. Ce sont des épargnants privés qui cherchent de par le monde les entreprises qui promettent de créer les richesses les plus abondantes.

Et de fait lorsque Axa rachète Equitable aux Etats-Unis ou lorsque Allianz achète la RAS en Italie l'objectif de ces entreprises reste le même: accroître la qualité de la gestion et augmenter les profits en respectant les lois du pays. Il n'y a ainsi aucune différence de comportement effectif entre investisseurs de nationalités différentes. Peu importe que l'acheteur d'une entreprise soit français, américain, russe, japonais ou chinois. Ce qui compte c'est que la concurrence des actionnaires soit la plus ouverte et la plus vive de sorte que les prix des actions reflètent fidèlement la réalité de l'entreprise et que la pression exercée sur les managers pour obtenir l'augmentation de la richesse soit maximale.

Les Etats qui ont fort sagement renoncé, dans les dernières années, à la propriété et la gestion d'entreprises commerciales ne peuvent en rien améliorer le processus par leurs interventions. Ils ont par contre beaucoup d'autres tâches prioritaires qu'ils sont seuls à pouvoir remplir en matière de sécurité des biens et des personnes, d'équipements en infrastructures, de politiques sociales, de politiques monétaire et de change, de politiques fiscales. Et des tâches qu'ils accomplissent de moins en moins bien depuis quelques années.

La souveraineté consiste pour eux à choisir en toute indépendance ces politiques essentielles pour répondre aux attentes des citoyens. Et le rôle des Etats souverains en matière économique ne se mesure pas au degré d'ingérence dans les affaires des entreprises, dirigisme inspiré d'une époque ancienne aujourd'hui dépassée. Il consiste à mettre en oeuvre de bonnes politiques de sécurité, d'aménagement des infrastructures, d'éducation de base, de garanties sociales, de monnaie et de change qui attirent des entreprises plus nombreuses et plus créatives sur le territoire. Ces politiques ne nous sont dictées par personne. Elles correspondent aux choix de la collectivité. Mais elles contribuent de façon déterminante à favoriser la création de richesse par les entreprises sur le territoire national.

Dans ce domaine de la vie sociale comme dans tous les autres, la spécialisation s'avère avantageuse. A chacun son métier, à chacun sa spécialité. Laissons les actionnaires juger les managers et restructurer les entreprises pour créer de la richesse. Et que l'Etat se consacre aux tâches qui lui sont spécifiques. La prospérité d'une nation résulte de cette coopération nécessaire et non planifiée.

wl:Jean-Jacques Rosa