Robert Nozick:In Memoriam Robert Nozick

Robert Nozick
1938-2002
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Auteur minarchiste
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« L'imposition est sur un pied d'égalité avec les travaux forcés. »
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Robert Nozick:In Memoriam Robert Nozick
In Memoriam Robert Nozick


Anonyme
Henri Lepage


28 janvier 2002

Le philosophe Robert Nozick, professeur à Harvard, est décédé le 23 janvier 2002. C'est largement l'écho fait à son livre "Anarchy, State and Utopia" qui, dans les années 1970, avaient relancé l'intérêt pour l'étude de la philosophie morale du libéralisme, avant que nous ne redécouvrions l'oeuvre d'Hayek, un peu plus tard, au début des années 1980.

Même s'ils ne sont pas toujours totalement d'accord avec lui, Robert Nozick est un homme dont les travaux ont joué un rôle décisif dans l'engagement d'un grand nombre de ceux qui, depuis trente ans, tant en Europe qu'aux Etats-Unis, ont consacré leur vie à faire progresser les idées libérales et libertariennes.

Ci-suivent deux textes pour nous rappeler qui était Robert Nozick et le sens de son oeuvre. Le premier a été écrit il y a dix ans pour figurer dans une mini-encyclopédie de la pensée libérale contemporaine. Mais le livre n'est jamais paru, l'éditeur ayant fait faillite entretemps.

Le second est un commentaire que Marc Grunert, Professeur à Strasbourg, vient de diffuser par mail sur le Forum du Cercle Hayek.

H.L.


Avec John Rawls (dont le livre "Une Théorie de la Justice" était paru trois ans plus tôt avant son propre "Anarchy, State and Utopia"), Robert Nozick est celui qui a relancé aux Etats-Unis le débat de philosophie morale sur la théorie des droits; ou, tout au moins, qui lui a permis de sortir du cénacle académique de quelques initiés auxquels il était jusque là réservé.

Publié en 1974, son ouvrage Anarchy, State and Utopia (traduit en français sous le titre "Anarchie, Etat et Utopie", et publié aux P.U.F) réalisera en quelques mois un score tout à fait inhabituel pour un livre philosophique dont la lecture est loin d'être aisée. Son succès contribua à révéler l'existence du mouvement libertarien qui,à l'époque, faisait ses premiers pas sur la scène politique américaine ( le "Parti Libertarien" a été fondé en 1971).

Sachant que ce qui définit l'Etat est le monopole de la violence, est-il possible d'imaginer une forme d'état compatible avec le principe que les gens ont des droits qu'il n'est permis à personne , sous quelque prétexte que ce soit, de violer ? Telle est la question centrale que pose le livre.

Oui, répond en un mot Robert Nozick, mais à condition que cet état ne dépasse pas les fonctions qui seraient celles d'un état "ultra minimal", sorte de veilleur de nuit collectif. Classé par son livre comme un auteur "libertarien", Nozick réplique à son ancien professeur de Harvard, John Rawls, en lui démontrant que ses critères de justice violent les droits fondamentaux des gens, et sont donc en réalité immoraux (réfutation de l'Etat social-démocrate); mais en même temps il s'oppose aux "anarcho-capitalistes" du mouvement libertarien pour qui tout état est nécessairement illégitime (David Friedman).

Ses arguments consistent à démontrer que l'une des agences de protection privée existant dans l'état de nature peut se transformer en monopole sans que cela se traduise par une violation des droits des agences ainsi éliminées du marché, et de leurs clients. Pour cela, il invoque deux idées . D'abord l'idée qu'en profitant de sa force pour établir son monopole, l'agence dominante rend en réalité un service à tout le monde car, dit-il, cela réduit "le risque" de voir les autres agences recourir à des techniques d'auto-défense "dangereuses" pour tous. Ensuite l'idée que personne ne doit se plaindre de la nouvelle situation dans la mesure où l' agence gagnante offre en quelque sorte une compensation aux clients des autres agences en leur apportant désormais de façon gratuite un service identique, mais plus efficacement produit.

Les limites de cette argumentation ont été démontées par les réponses d'un certain nombre d'auteurs "libertariens" comme Rothbard, Roy Childs et Maurice Goldsmith. Son argument sur le risque ressemble beaucoup à ceux qui expliquent que l'agriculture est un secteur spécial où les risques du temps sont tellement aléatoires qu'il n'y a que l'état qui puisse les prendre en charge (avec le résultat que les agriculteurs ont aujourdhui à supporter, en matière de prix ,une incertitude politique qui s'avère en définitive d'amplitude plus importante encore que le risque naturel et , surtout, qui est non assurable). Quant au mécanisme de la compensation, il se heurte bien sùr à la non comparabilité des préférences, et donc à l'impossibilité pratique de jamais pouvoir en évaluer le montant.

Par ailleurs, le défaut de Nozick est de ne jamais expliquer d'où viennent précisément ces "droits" que les gens sont supposés avoir. Bien qu'il reprenne le principe de non-agression , commun à tous les libertariens, il n'y a dans son livre aucune théorie de l'origine des droits. Pour cela, il faut se tourner vers des auteurs comme Ayn Rand, Murray Rothbard, Tibor Machan, Douglass Rasmussen, Erick Mack.

Cela dit, il ne fait aucun doute que, par les arguments qu'il développe notamment pour contester la validité des "droits sociaux", Anarchy, State and Utopia est un ouvrage très représentatif de ce que représente actuellement sur le plan intellectuel l'émergence d'un mouvement "libertarien".

H.L. (1988)


DES ATOMES ET DU VIDE par Marc Grunert

On a pu parler d'équilibre cosmique lorsque disparurent, la même semaine, deux philosophes, Robert Nozick et Pierre Bourdieu, défendant des conceptions du monde radicalement opposées. En restant dans le registre métaphysique et du jeu de mot, j'ai bien envie de me laisser aller à une métaphore inspirée par la cosmologie de Démocrite. Nozick, Bourdieu : des atomes et du vide.

Du côté "atomes", Robert Nozick, théoricien de la liberté, initiateur d'un libéralisme éthique fondée sur la propriété de soi, usant

d'arguments parfois difficiles mais ayant toujours le souci de la clarté et le respect de l'intelligence du lecteur. Robert Nozick a connu une renommée mondiale grâce à son ouvrage "Anarchie, Etat et utopie" publié en 1974.

Les arguments de Nozick visaient à réfuter les thèses de "Théorie de la justice" de John Rawls, le plus important théoricien de la social-démocratie. Le livre de Rawls prétendait justifier la possibilité d'un accord unanime raisonnable pour une société dans laquelle les ressources seraient redistribuées de manière équitable, en conciliant un principe de liberté et un "principe de différence" destiné à justifier certaines inégalités. Cette construction théorique ne pouvait déboucher sur rien d'autre que la pérpétuation d'un État redistributeur soumis aux chantages des groupes de pression. Mais du moins, elle fournissait aux élites de l'Etat, une nouvelle justification de leur pouvoir. Avant Hayek, Nozick, critiqua la conception de "justice sociale" ou "distributive" car il n'existe pas un état de la société que l'on pourrait qualifier de "juste en soi". "Toute chose, écrit Nozick, quelle qu'elle soit, qui naît d'une situation juste, à laquelle on est arrivé par des démarches justes, est-elle même juste".

Depuis Nozick, le libéralisme n'est plus seulement une théorie économique mais une théorie politique fondée sur le principe de justice, sur une une théorie du droit. Les libéraux pouvaient enfin s'appuyer sur une oeuvre qui ne cantonnait plus le libéralisme dans l'efficacité du marché. Simultanément, l'école autrichienne d'économie, et principalement Rothbard, accomplissait le même travail théorique d'une autre manière. Le libéralisme se dotait d'un volet éthique en cohérence parfaite avec la théorie économique. On ne peut plus dire depuis Nozick et Rothbard : le libéralisme c'est utile en économie mais il ne vaut rien, ou ne dit rien, en matière d'éthique et de justice.

Comme vient de l'écrire Pierre Lemieux, Nozick a montré combien il était difficile de justifier l'Etat. Dans "Anarchie, Etat et utopie" (PUF, libre-échange), Nozick tente de montrer qu'un Etat minimal pouvait naître à partir d'un marché libre où une multitude d'agences privées de sécurité conduirait sans violence à un monopole dont l'unique fonction légitime serait la protection des droits individuels, qui sont des droits de propriété. Toute extension de l'Etat minimal par le financement obligatoire de services dont certains ne veulent pas serait illégitime car nécessiterait l'usage de la force. Nozick, c'était le côté "plein" de l'univers, celui de l'épanouissement personnel par la minimisation de la violence de l'Etat.

De l'autre côté, avec Bourdieu, nous avons une science crypto-marxiste, prétentieuse et verbeuse, parfaitement adaptée aux fabriques de politiciens, sciences-po, ENA, et autres panthéons de la critique du capitalisme (école supérieure de journalisme de Paris) et marchepieds vers le pouvoir. L'oeuvre de Bourdieu, hypercritique, traquant les rapports de domination et expliquant les mécanismes de leur reproduction a débouché sur une théorisation de la pratique du "mouvement social" comme un moyen, pour les dominés, éclairés par un bon guide (Lui), de se "libérer". Le verbiage bourdivin a dégénéré en un soutien "théorique et pratique" aux grandes grèves et manifestations "prolétariennes" qui existent encore parfois en France (celles des routiers, des chômeurs, des "exclus" en tous genres...).

En voulant croire que les gémissements des victimes de l'Etat-providence en faillite étaient autant de signes de l'Histoire annonçant la fin du capitalisme, ou du moins sa nocivité, Bourdieu a simplement pris ses désirs pour des réalités. Enrober la contestation et la "misère du monde" dans le verbiage de la révolution permanente contre "la dictature du marché" et se mettre soi-même en avant pour révéler le Sens de l'Histoire, c'était l'opportunisme et le charlatanisme incarnés en une seule personne.

Après avoir élaboré "une version distinguée du marxisme", Bourdieu a trouvé le temps long et s'est jeté lui-même dans la bataille en participant aux manifestations et en théorisant "le mouvement social". Il a fondé une collection de petits ouvrages militants (Liber raisons d'agir) qui devaient servir de bréviaires à la classe des intellectuels, elle-même ayant pour mission de guider et d'éclairer les "prolétaires".

Dans un recueil de textes intitulé "contre-feux" et sous-titré "Propos pour servir à la résistance contre l'invasion néo-libérale", Bourdieu démontre son ignorance totale et volontaire de l'aspect éthique du libéralisme, tel que Nozick, Rothbard ou Pascal Salin, en France, l'ont justifié. Selon Bourdieu, et l'intelligentsia française, le libéralisme est impossible sans la complicité de l'Etat et du pouvoir politique. C'est le mythe du complot capitaliste qui renaît sous une forme plus digeste que celle du marxisme vulgaire. Mais au delà de tout ce gâchis de mots consacré à l'analyse des rapports sociaux, on peut retenir que la solution de Bourdieu est dans l'Etat, un autre Etat, qui ne serait plus complice des financiers et des capitalistes. Ainsi écrit-il, "une des raisons majeures du désespoir de tous ces gens tient au fait que l'Etat s'est retiré, ou est en train de se retirer, d'un certain nombre de secteurs de la vie social qui lui incombaient et dont il avait la charge: le logement public, la télévision et la radio publique, les hôpitaux publics etc." (p.10). Bourdieu n'était pas pour le statu quo, il était contre le capitalisme, il diabolisait le "néo-libéralisme", notion inventée à l'usage des militants trop bêtes pour réfléchir. Quelle société désirait Bourdieu ? Eh bien vous ne le saurez jamais. Disons qu'elle aurait comme un petit goût de paradis. Un paradis où toute "domination" serait abolie. Cela nécessiterait juste un peu de contrainte, pour forcer l'Histoire. La chute du mur de Berlin n'était, pour Bourdieu, qu'une simple...vue de l'esprit. C'était le côté "vide" de l'univers.

Marc Grunert



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