Ce texte est tiré des leçons de Guizot sur l' "histoire de la civilisation en europe", deuxième leçon. Guizot y définit l'europe par la diversité des principes politiques, moraux, artistiques qui l'habite. Il montre que cela la distingue des autres civilisations et que cette diversité est la source de la liberté présente en europe .
j'aborde aujourd'hui l'histoire de la civilisation européenne; mais avant d'entrer dans le récit proprement dit, je voudrais vous faire connaître d'une manière générale la physionomie particulière de cette civilisation; (...)
quand on regarde aux civilisations qui ont précédé l'europe moderne,soit en asie, soit ailleurs, y compris même la civilisation grecque ou romaine, il est impossible de ne pas être frappé de l'unité qui y règne.elles paraissent émanées d'un seul fait , d'une seule idée;on dirait que la société a appartenu à un principe unique qui l'a dominée, et en a determiné les institutions, les moeurs, les croyances, en un mot tous les développements. (...)
il en a été tout autrement de la civilisation de l'europe moderne. sans entrer dans aucun détail, regardez-y ,
recueillez vos souvenirs;elle vous apparaîtra sur-le-champ variée,confuse,orageuse; toutes les formes tous les principes d'organisation sociale y coexistent:les pouvoirs spirituel et temporel, les éléments théocratique, monarchique, aristocratique, democratique, toutes les classes, toutes les institutions sociales se mêlent, se pressent; il y a des degrés
infinis dans la liberté, la richesse, l'influence. et ces forces diverses sont entre elles dans un état de lutte continuelle, sans qu'aucune parvienne à etouffer les autres et à prendre seule possesion de la société.dans les temps anciens, à chaque grande époque, toutes les sociétés semblent jetées
dans un même moule: c'est tantôt la monarchie pure, tantôt la théocratie ou la démocratie qui prévaut; mais chacune prévaut à son tour complètement. l'europe moderne offre des exemple de tous les systèmes, de tous les essais d'organisation sociale; les monarchies pures ou mixtes, les théocraties, les républiques plus ou moins aristocratiques, y ont vécu simultanément, à coté les une des autres; et , malgré leur diversité, elles ont toutes une certaine ressemlance, un certain air de famille qu'il est impossible de méconnaître.
dans les idées et les sentiments de l'europe, même variété, même lutte. les croyances théocratiques,monarchiques, aristocratiques, populaires, se combattent, se croisent, se limitent, se modifient.ouvrez les plus hardis écrits du moyen âge: jamais une idée n'y est suivie jusquà ses dernières conséquences.les partisan du pouvoir absolu reculent toutà coup et à leur insu devant les résultats de leur doctrine; on sent qu'autour d'eux il y a des idées, des influences qui les arrêtent et les empêchent de pousser jusqu'au bout.les démocrates subissent la même loi. nulle part cette imperturbable hardiesse, cet aveuglement de la logique qui éclatent dans les civilisations anciennes.les sentiments offrent les mêmes contrastes,la même variété;un goût d'indépendance trés energique à côté d'une grande facilité de soumission;une rare fidélité d'homme à homme, et en même temps un besoin impérieux de faire de sa volonté, de secouer tout frein, de vivre seul, sans s'inquiéter d'autrui.les âmes sont aussi diverses, aussi agitées que la société. (...)
partout donc se retrouve ce caractère dominant de la civilisation moderne.il a eu sans doute cet inconvenient que, lorsqu'on considère isolément tel ou tel développement particulier de l'esprit humain dans les lettres, les arts, dans toutes les directions où l'esprit peut marcher, on le touve en général, inférieur au développement correspondant dans les civilisations anciennes;mais, en revanche, quand on regarde l'ensemble, la civilisation européenne se montre incomparablemnt plus riche qu'aucune autre; elle a amené à la fois bien plusde déve loppements divers. aussi voyez: voilà quinzes siécles qu'elle dure et elle est dans un état de progression continue(...) elle entrevoit devant elle une immense carriérère et, de jour en jour, elle s'y élance plus rapidement, parce que la liberté accompagne de plus en plus tous ses mouvements.tandis que, dans les autres civilisations, la domination exclusive ou du moins la prédominance excessive d'un seul principe, d'une seule forme, a été une cause de tyrannie, dans l'europe moderne la diversité des éléments de l'ordre social, l'impossibilité où il ont été de s'exclure l'un l'autre, ont enfanté la liberté qui régne aujourd'hui. faute de pouvoir s'exterminer, il a bien fallu que les principes divers vécussent ensemble,qu'ils fissent entre eux une sorte de transaction.chacun a consenti à n'avoir que la part de développement qui pouvait lui revenir; et tandis qu'ailleurs la prédominance d'un seul principe produisait la tyrannie, en europe la liberté résulté de la grande variété des éléments de la civilisation, et de l'état de lutte dans lequel ils ont vécu.
c'est là messieurs, une vraie, une immense supériorité;(...) la civilisation européenne est entrée,s'il est permis de le dire, dans l'eternelle vérité,dans le plan de la providence;elle marche selon les voies de dieu.c'est le principe rationnel de sa superiorité.