Pascal Salin, le Président du dernier jury de l'agrégation d'économie, est connu pour ses idées libérales. Cela lui a valu une campagne de protestations au vitriol à laquelle une certaine presse se fait complaisamment l'écho.
Le dénominateur commun des libéraux est de s'opposer à la croissance de l'Etat qu'il conviendrait, à la limite, de réduire à ses fonctions régaliennes. Voilà ce que n'aiment pas entendre les protestataires quels que soient les arguments qui justifient une telle position.
Or, le libéralisme a des racines intellectuelles solides et lointaines. Il a pris naissance au 18ème siècle, en France, avec les physiocrates appelés aussi à l'époque économistes. Il s'est poursuivi dans notre pays avec les Turgot, Benjamin Constant, Jean-Baptiste Say, Tocqueville et Bastiat et, en Angleterre, avec Hume, Adam Smith, Stuart Mills ou l'école de Manchester.
Remarquons que l'idée fondamentale du libéralisme classique est celle de liberté des échanges. Son application a conduit à de nombreux succès économiques en commençant par l'enrichissement de l'Angleterre à la suite de l'abolition des « corn laws » en 1848 jusqu'au développement du Japon et des « dragons » du sud-est asiatique, développement fondé sur la promotion des exportations. Synonyme pour certains de mondialisation la liberté des échanges est aujourd'hui vivement combattue au nom de l'égalitarisme, faux nez en réalité des groupes qui cherchent à s'enrichir au moyen de subsides et de protections tarifaires.
Le libéralisme a connu un regain intellectuel au 20ème siècle en combattant les idéologies totalitaires, communistes et nazies, fondées sur le contrôle centralisé et la mainmise de l'Etat sur l'économie. Plus précisément, au cours des années 1930, Friedrich Hayek s'opposa à la fois à Keynes et aux théoriciens de la planification. Aux partisans du premier il expliquait que la création de déficits budgétaires systématiques conduirait inévitablement à l'inflation destructrice de la paix civile. Aux seconds il démontrait que la prospérité et la croissance résultaient de l'utilisation de toutes les informations existant dans la société. Or, la planification réduisant l'information utilisable à celle parvenant au centre, il ne pouvait en résulter que l'appauvrissement généralisé.
A la sortie de la seconde guerre mondiale, Hayek trouva un refuge intellectuel à l'université de Chicago, ses idées semblant unanimement rejetées partout ailleurs dans le monde. Pour organiser l'opposition au totalitarisme en marche, il fonda la Société du Mont Pèlerin, association de penseurs déterminée à étudier et diffuser le libéralisme (Société dont Pascal Salin allait être le président pendant les années 1990).
Les événements n'allaient pas tarder à donner raison à Hayek et à ses amis. Dès 1947, Ludwig Erhard, l'un de ses disciples, abolit, au grand effroi des autorités américaines de tutelle, le contrôle des prix en Allemagne. Il s'ensuivit, non la catastrophe prédite à l'époque par des keynésiens influents tels que Kenneth Galbraith, mais une véritable renaissance économique, qualifiée à l'époque de « miracle allemand ».
La combinaison d'inflation et de stagnation ou stagflation sévissant au cours des années 1970, inconcevable dans la théorie keynésienne, confirmait la justesse des thèses de Friedrich Hayek. Il n'est donc pas surprenant qu'en 1974 il ait reçu le prix Nobel d'économie. Sa conception des effets destructeurs de la planification se trouva validée quelques années plus par la chute de l'Union soviétique. Entre temps, cette idée absurde avait ruiné des pays entiers comme l'Inde de Nehru. Dans les pays communistes l'obstination à faire fonctionner de force un système fondamentalement vicié avait coûté des dizaines de millions de vies humaines.
La grande inflation des années 1970 a aussi montré la pertinence des idées de Milton Friedman. Cet autre économiste de l'Université de Chicago (et membre de la Société du Mont Pèlerin) maintenait, à contre-courant des idées keynésiennes, que l'inflation est un problème monétaire ne pouvant être maîtrisé que par le contrôle de la masse monétaire. Au cours des années 1980 toutes les banques centrales adoptèrent des techniques inspirées par les travaux des « monétaristes » et l'inflation cessa d'être un problème. Milton Friedman avait déjà reçu le prix Nobel d'économie en 1976.
La société du Mont Pèlerin réunit aujourd'hui de nombreux économistes du monde entier (mais pas seulement des économistes), dont huit ont reçu des prix Nobel, et un autre est le Président de la république Tchèque. Leurs travaux ont véritablement refondé la science économique que ce soit avec Friedman qui, lorsque triomphait le keynésianisme, a imposé aux banques centrales, comme nous l'avons vu, l'importance du contrôle monétaire, avec aussi Gary Becker initiateur des études sur le capital humain, avec James Buchanan fondateur avec quelques autres de l'économie des choix publics, avec Douglass North inventeur de l'économie des institutions, enfin avec Vernon Smith, l'un des pères de l'économie expérimentale.
Il est pourtant reproché à quatre membres du jury d'agrégation d'appartenir à cet aréopage ! Seraient-ils atteints d'une maladie honteuse ? N'est-ce pas plutôt étrange que des enseignants veuillent interdire les idées contraires aux leurs ? La science n'avance-t-elle pas par le débat plutôt que par la censure ?
Une explication à des résistances si peu dans la tradition académique paraît plausible : le refus de la part des « contestataires » de reconnaître les progrès de la science économique parce qu'ils s'opposent à leur idéologie et à leurs intérêts corporatiste (consistant à réserver l'enseignement de l'économie à la caste des nostalgiques de l'Etat planificateur et monopolisateur). Ce refus se confond avec celui d'analyser les « erreurs » passées des marxistes et des keynésiens, erreurs dont les conséquences ont été l'effondrement des économies planifiées et le sous-développement persistant de nombreux pays africains ou sud-américains.
La raison de l'ostracisme dont a souffert Hayek est un livre, La route de la servitude, qu'il a publié à la sortie de la seconde guerre mondiale. La thèse de ce livre est que nationalisations et planifications, même dans des pays démocratiques, conduisent inévitablement à la disparition des libertés individuelles. Sur cette route là, la France est bien avancée. Les contraintes que nous subissons aujourd'hui ne sont pas exercées par la police mais plus subtilement par d'autres citoyens, le plus souvent des fonctionnaires, qui au nom du bien public font barrage à l'expression d'idées devenues « politiquement incorrectes ».
Je termine avec une remarque. Il est reproché à l'un des membres dits « ultra-libéraux » du jury de l'agrégation d'avoir préconisé la privatisation des trottoirs. Or, le maire socialiste (rouge dit-on) de Londres prélève des péages sur toutes les automobiles circulant dans sa ville. Il a ainsi privatisé la chaussée de la City à la grande satisfaction de ses usagers.
Notes
Florin Aftalion est Professeur à l'ESSEC et membre de la Société du Mont Pèlerin
Article initial : http://www.liberte-cherie.com/article.php?id=301