Le chômage français présente une particulairité très frappante, à savoir qu'il a constamment augmenté au cours des vingt-dernières années (en dehors d'un certain palier au cours des années 1986-90), contrairement à la situation de la plupart des autres pays, où l'on constate une plus grande variabilité du taux de chômage. Ceci signifie très probablement que ce chômage n'est pas fondamentalement de nature conjoncturelle - même si les fluctuations de l'activité économique et le taux d'intérêt ont pu jouer un rôle au cours des années récentes - mais de nature structurelle. Ce sont donc ces causes structurelles qu'il convient de rechercher si l'on souhaite pouvoir mettre un terme à la croissance, apparemment inexorable, du chômage ou même pouvoir le réduire. Pour nous, sa cause essentielle, en dehors des rigidités institutionnelles sur le marché du travail, provient du système des prélèvements obligatoires. Mais pour s'en convaincre il convient d'abandonner une approche globale, généralement utilisée en France, comme nous le rappelons tout d'abord, et de s'interroger sur la détermination des incitations productives. Nous serons alors à même de présenter des propositions pour résoudre le problème du chômage et pour critiquer les solutions qui sont fréquemment appliquées ou suggérées .
Remarques liminaires sur l'analyse du chômage en France
Le chômage peut se définir comme l'écart entre le niveau effectif de l'emploi et un certain niveau d'emploi que l'on peut appeler le plein-emploi. Or, les économistes savent bien que l'on ne peut pas définir le plein-emploi de manière univoque (celui-ci dépendant en particulier du salaire réel) ni par conséquent mesurer le niveau du chômage de manière indiscutable. Mais on peut dire qu'il y a du chômage si, pour les conditions existantes, la demande de services de travail est inférieure à l'offre de services de travail. Il est généralement admis en France que le retour au plein emploi n'est pas possible sans une croissance "suffisante" et l'on ajoute d'ailleurs qu'il existerait des caractéristique spécifiques de la France (non explicables) telles que la croissance serait particulièrement peu créatrice d'emplois. Seule un croissance très forte permettrait donc le retour au plein-emploi. Cette vision est erronée. Elle repose en effet sur une conception non-économique du problème de l'emploi, car elle suppose implicitement une relation de type technique entre productioi et emploi : il existerait une sorte de coefficient technique fixe entre le niveau de la production et la quantité de main-d'oeuvre nécessaire pour obtenir ce niveau de production. Or le problème de l'emploi est un problème économique, c'est-à-dire un problème humain. La question qu'il convient de se poser consiste à savoir pour quelles raisons des offreurs de travail (demandeurs d'emploi) et des demandeurs de travail ne se rencontrent pas et n'arrivent pas à signer un contrat de travail. Quels comportements permettent d'expliquer pourquoi des hommes et des femmes qui ont les capacités et l'âge de travailler ne travaillent pas ? Ce peut être parce qu'ils ne désirent pas travailler (chômage volontaire), ce peut être parce qu'on ne désire pas les embaucher (chômage involontaire). Et la réalité est sans doute souvent un mélange des deux types d'explications, à savoir qu'un accord n'est pas réalisé entre un travailleur potentiel et un employeur potentiel parce que l'un et l'autre ne sont pas suffisamment satisfaits de ce que l'autre propose. Pour chaque individu, les déterminants de l'offre ou de la demande de travail peuvent être extrêmement nombreux (intérêt du travail, proximité du lieu de travail par rapport au domicile, prestige du travail, etc.). Mais il existe un élément commun à tous : la rémunération du travail. Pour simplifier le raisonnement, nous allons donc d'abord prendre en considération le seul salaire direct (en supposant, par exemple, que c'est la responsabilité propre du salarié que de choisir et de payer tel ou tel montant d'assurance-maladie, d'assurance-chômage ou de cotisations de retraite, contrairement au système actuel).
Un économiste explique nécessairement le fonctionnement du marché du travail comme il le fait pour le fonctionnement de n'importe quel marché, parce qu'il part de l'hypothèse fondamentale que les problèmes économiques résultent des choix conscients d'êtres rationnels. Or, on ne peut pas parler de marché sans parler de prix, le prix du travail portant un nom spécifique, à savoir le salaire. Si, à un moment donné du temps, il y a chômage, c'est-à dire que, pour les conditions de salaire existantes, l'offre de travail est supérieure à la demande de travail, c'est que le salaire réel est trop élevé par rapport à la productivité (marginale) du travail : dans un certain nombre d'activités, le rendement obtenu par l'emploi d'un salarié supplémentaire est inférieur au coût de ce salarié.
De ce point de vue, par conséquent, il existe un lien très étroit entre l'emploi et le salaire réel, mais il n'existe aucune relation entre l'emploi et la croissance. Ainsi, dans une économie sans croissance, c'est-a-dire, en particulier, une économie où la productivité du travail reste constante, le plein emploi est assuré, à condition, bien sûr, que le salaire réel ne soit pas trop élevé par rapport à la productivité du travail. Or, imaginons que dans une économie sans croissance on impose un salaire minimum dont le niveau soit supérieur à la productivité marginale d'une partie de ceux qui sont effectivement employés. Ces salariés seront mis au chômage, l'accroissement de pouvoir d'achat de ceux qui conservent un emploi se faisant donc aux dépens de ceux qui perdent le leur.
Passons maintenant à l'hypothèse où il y a croissance. Celle-ci résulte nécessairement de processus par lesquels les hommes innovent. Ils modifient les processus de production, ils proposent de nouveaux biens qui satisfont les besoins de manière plus efficace, etc. En termes simples on peur dire que la croissance implique nécessairement une augmentation de la productivité des facteurs de production "primaires" : une même quantité de travail permet d'obtenir une plus grande quantité de biens.
Ce sont donc les processus d'innovation qui déterminent à la fois la croissance de la productivité des facteurs de production et le taux de croissance global. Quant à la croissance du salaire réel, elle est déterminée par la croissance de la productivité du travail. Comme dans le modèle stationnaire examiné ci-dessus, il n'existe aucune relation entre le taux de croissance global et le niveau de l'emploi. Si le salaire réel n'augmente pas "trop" vite par rapport aux progrès de la productivité du travail aucun chômage n'apparaît. Si le chômage se développe (ou si la croissance est incapable d'alléger le chômage) c'est que l'adaptation du salaire réel se fait mal, par exemple parce qu'il existe une détermination exogène du salaire réel ou d'une partie de celui-ci. L'exemple du salaire minimum peut être à nouveau cité. Si, comme cela a été le cas pour la France, le pouvoir politique décide arbitrairement une croissance du salaire minimum réel plus rapide que la croissance de la productivité du travail non qualifié, il en résulte évidemment du chômage (une grande partie du chômage des jeunes s'explique probablement ainsi).
Mais il est maintenant nécessaire de ne plus limiter le raisonnement à la seule considération du salaire direct. En effet, ce qui intéresse l'employeur c'est le coût global du travail. (la distinction entre les cotisations du salarié et les cotisations de l'employeur étant, de ce point de vue, purement illusoire). Dans la mesure où la croissance du salaire indirect n'est pas compensée Par une baisse suffisante du salaire direct (réel) de manière à maintenir les coûts du travail dans la limite de la croissance de la productivité, il y a chômage. Mais nous verrons ci-dessous que, même dans le cas où la baisse du salaire direct compense exactement l'augmentation du salaire indirect, le système d'ilicitations en est modifié et le chômage augmente. Les relations qui existent entre croissance, amélioration de la productivité, salaire réel et emploi paraissent donc claires. Mais examinons pourtant ce qu'en dit le rapport Choisir l'emploi du Commissariat général au Plan (janvier 1993). D'après ce rapport, il existerait une relation entre le niveau de l'emploi et le taux de croissance global, pour des raisons qui ne sont pas explicitées. Mais, d'après ce même rapport, pour une croissance donnée du revenu global, le croissance de l'emploi serait d'autant plus forte que la productivité du travail serait plus faible. Autrement dit, me raisonnement implicite du rapport du commissariat au Plan serait le suivant : l'amélioration de la productivité signifie que l'on produit une unité de produit avec moins de travail. La croissance détruirait donc d'autant plus d'emplois que la productivité du travail augmenterait plus vite. On aboutit alors à cette conclusion difficile à accepter que la diminution du chômage impliquerait une croissance forte accompagnée d'une faible amélioration de la productivité du travail.
L'idée très généralement admise en France selon laquelle la croissance française serait peu productrice d'emplois provient d'une erreur méthodologique grave, à savoir que l'on se contente du simple examen de séries statistiques choisies "au hasard" sans théorie sous-jacente : on constate que, dans les années récentes, il y a eu une certaine croissance du revenu global et simultanément une augmentation du chômage. On en déduit que la croissance française - pour quelque raison mystérieuse - est peu créatrice d'emplois. Par ailleurs, l'illusion statistique se traduit par l'observation d'une "trop" forte augmentation de la productivité du travail pour permettre le financement de la croissance - en partie exogène - du cooût réel du travail. Ceci impliquerait une accumulation du capital plus rapide, donc une épargne plus forte, et un taux d'innovation plus élevé, c'est-à-dire une politique économique exactement inverse de celle qui a été pratiquée au cours des années récentes et de celle qui est préconisée par le rapport Choisir l'emploi : la seule véritable solution consisterait à supprimer les mesures désincitatives à l'égard de ceux qui épargnent, qui innovent et qui travaillent. Mais il est incohérent de vouloir à la fois une augmentation rapide du salaire direct et des prélèvements obligatoires, une faible augmentation de la productivité du travail et un taux de chômage faible.
Que se passe-t-il en réalité dans le modèle "de type français", c'est-à-dire celui où la croissance du coût du travail est largement indépendante des progrès de productivité ? Comme toujours seule une vue micro-économique peut noux éclairer. Tous les entrepreneurs ont en effet une série de projets impliquant une plus ou moins grande amélioration de la productivité. On peut d'ailleurs noter au passage que le but d'un entrepreneur est à juste titre d'économiser du travail, c'est-à-dire d'obtenir un produit donné en utilisant le moins possible de travail et, plus généralement, de facteurs de production. C'est parce que, depuis des décennies ou des siècles les entrepreneurs ont eu pour but de détruire des emplois que nos sociétés modernes sont prospères et qu'elles peuvent offrir au plus grand nombre de très nombreux emplois à des conditions de rémunération exceptionnelles. Lorsqu'on augmente de manière exogène le coût du travail, on fait comme si le travail était plus rare qu'il ne l'est en réalité. On incite donc les entrepreneurs à retenir seulement ceux de leurs projets qui économisent beaucoup de travail et à abandonner les projets pour lesquels l'amélioration anticipée de la productivité du travail est la plus faible. Si les travailleurs ainsi "économisés" dans les entreprises les plus performantes ne trouvent pas à s'y recaser parce que l'élargissement de la production n'y est pas suffisant, ils ne trouvent pas d'emplois dans les autres entreprises où l'amélioration de la productivité est trop faible par rapport à l'augmentation du coût du travail.
Autrement dit, ce n'est pas parce que l'on a recours à des techniques impliquant une substitution "excessive" de capital au travail qu'il y a du chômage, mais le fait que l'on impose une augmentation "excessive" du coût du travail a la conséquence suivante : parmi tous les projets qui pourraient, sinon être réalisés, seuls sont séléctionnés ceux qui impliquent la plus forte substitution de capital au travail. L'augmentation exogène du coût réel du travail fait donc naître une illusion statistique : au lieu d'attribuer la montée du chômage à l'augmentation du coût réel du travail, on l'attribue à l'amélioration de la productivité. Les projets des entreprises pour lesquels l'augmentation de productivité n'est pas suffisante pour compenser l'augmentation du coût réel du travail - ou pour compenser la faiblesse des incitations productives et le coût du risque de production - ne sont tout simplement pas réalisés : il n'y a pas une substitution "excessive" (et non expliquée) du capital au travail, mais il se trouve simplement qu'on ne voit plus les projets à faible substitution, car ils ne sont pas décidés.
La croissance des prélèvements obligatoires, cause essentielle du chômage
Le véritable problème du chômage en France ne réside donc pas dans une mytérieuse alchimie par laquelle la « croissance ne produirait pas suffisament d'emplois », par exemple parce que la productivité augmenterait trop vite. Il réside dans le fait que tout le système des incitations productives est bouleversé par les mécanismes de l'interventionnisme étatique. Ainsi, si un employeur potentiel demande des services de travail, c'est dans la mesure où le profit qu'il peut espérer, par exemple en embauchant un travailleur supplémentaire, n'est pas nul, c'est-à-dire que le coût du travail n'est pas supérieur à la productivité marginale (après impôts) de ce salarié. On peut alors montrer que l'un des facteurs explicatifs essentiels de la baisse régulière de la demande de services de travail en France est constitué par la croissance continue des prélèvements obligatoires au cours des années récentes. La cascade des prélèvements qui frappent toute création de richesses (T.V.A., cotisations sociales, taxe professionnelle, impôt sur le revenu, etc.) est telle que la plus grande partie du bénéfice potentiel de l'employeur qui serait dû à l'embauche d'un travailleur supplémentaire est transférée à la puissance publique. Dans certains cas il ne reste au producteur que 10 à 20 % de la valeur qu'il a créée par ses efforts. L'incitation à embaucher des travailleurs supplémentaires en est donc considérablement réduite. La croissance des réglementations (qu'elles concernent directement l'emploi de la main-d'oeuvre ou qu'elle concerne plus généralement l'activité de l'entreprise) joue un rôle similaire en diminuant la rentabilité de l'effort de création de valeur et en accroissant le risque de l'activité productive (crainte de réglementations futures, difficultés d'interprétation de réglementations complexes). Or, il est un personnage trop généralement oublié, l'entrepreneur. Pour que des emplois soient créés il faut pourtant que des entrepreneurs soient incités à les créer. Si l'on veut bien voir que l'ensemble du système français décourage l'entrepreneur, punit la création de richesses et l'effort productif, on comprend mieux l'importance du chômage.
Il ne faut pas oublier par ailleurs que l'entrepreneur - ou, plus précisément, le propriétaire de l'entreprise, c'est-à-dire le capitaliste - a un rôle essentiel qui consiste à prendre le risque en charge. Or, aux risques normaux de l'activité économique - dont une partie est d'ailleurs réduite à notre époque par le fait qu'un nombre croissant de risques peuvent être assurés - s'ajoute le risque qu'une réglementation nouvelle ou une augmentation d'impôts réduise la rentabilité de l'activité entrepreneuriale et ce risque-là, contrairement au précédent, n'est pas assurable! Le caractère particulièrement progressif et désincitatif du système français de prélèvements obligatoires doit donc être placé en tête de la liste des obstacles à l'emploi. Et il est vain d'attendre une amélioration notable de la situation de l'emploi sans une réforme radicale des prélèvements obligatoires.
Un phénomène du même genre se produit du côté de l'offre de services de travail. L'augmentation des cotisations sociales, par exemple, est supportée par les travailleurs et par les propriétaires d'entreprises dans des proportions qu'il est impossible de déterminer de manière générale, mais qui n'en est pas moins incontestable.
Cette remarque est importante pour la raison suivante. Un certain nombre de travaux effectués récemment en France tendent en effet à montrer qu'une augmentation des prélèvements obligatoires est compensée par une diminution correspondante du salaire direct. Ce résultat serait le même que l'augmentation concerne la part censée être payée par les travailleurs ou la part censée être payée par les employeurs, la compensation s'effectuant cependant moins rapidement dans ce dernier cas. L'identité de nature entre les cotisations "travailleurs" et les cotisations "employeurs" est conforme à ce que le raisonnement permet d'affirmer. Mais, en prétendant que l'augmentation des cotisations sociales est parfaitement et rapidement compensée par une diminution équivalente du salaire direct (ou une moindre progression de ces salaires directs), les travaux en question font une affirmation excessive, car on ne sait pas ce qu'aurait été le salaire direct en l'absence de cette augmentation des prélèvements. Or, il y a là un point extrêmement important. En effet, si l'on croit à la thèse de la compensation intégrale, on peut en déduire que l'augmentation des prélèvements obligatoires en particulier des cotisations sociales, a peu de conséquences sur l'emploi. En effet, elle affecterait le structure du coût du travail mais pas son niveau.
Or cette conclusion est logiquement fausse. Et de prétendues "évidences empiriques" qui vont à l'encontre de ce que la logique permet d'affirmer ne peuvent être obtenues que par des méthodes erronées (par exemple le fait de laisser croire que l'on sait ce que serait le salaire direct en l'absence d'une augmentation des prélèvements obligatoires). En effet, le salarié est sensible à son salaire direct, car le niveau de ce salaire détermine le pouvoir d'achat dont il pourra bénéficier. Par contre, le niveau des prestations sociales qu'il obtient est indépendant du montant des cotisations qu'il paie. Il ne lui est donc pas indifférent que le coût de son travail lui revienne sous forme de salaire direct ou de salaire indirect. Si l'on augmente la part du salaire indirect, il y aura certes une pression à la baisse du salaire direct, mais il y aura surtout une moindre incitation des salariés à travailler et des empoyeurs à embaucher. Il en résultera donc une diminution du niveau d'emploi. C'est pourquoi l'on peut dire que l'augmentation du coût du travail due à l'augmentation des cotisations sociales est un obstacle essentiel à l'emploi. Elle réduit à la fois l'incitation à travailler et l'incitation à employer. Bien entendu, l'existence d'allocations-chômage et de revenus de substitution - même si on la considère comme parfaitement justifiée - réduit aussi l'incitation des gens à travailler et accroît donc le chômage. Le problème du chômage en France ne résulte donc pas d'une croissance trop rapide de la productivité du travail dans les services, d'une insuffisance de demande globale, d'une croissance globale trop faible, ou d'une des nombreuses causes que l'on invoque souvent. Le problème du chômage en France résulte du système d'incitations des employeurs et des salariés qui dépend lui-même essentiellement du système des prélèvements obligatoires.
On peut présenter les raisonnements ci-dessus d'une manière plus synthétique. Comme nous l'avons en effet souligné, le salaire naît de l'échange entre deux partenaires et il est la contrepartie des services de travail rendus par le salarié. Un impôt (cotisations sociales ou impôt sur le revenu, par exemple), qui est censé représenter un prélèvement sur une ressource (le salaire) est en réalité un impôt sur l'acte d'échange qui donne naissance au salaire. C'est donc en réalité la création de valeur due à l'échange qui est frappée par l'impôt. Comme on le sait bien à partir de la théorie économique générale, une taxe sur l'échange est supportée par les deux partenaires de l'échange, dans des proportions qui dépendent de leurs caractéristiques propres. C'est le cas avec un droit de douane qui est supporté aussi bien par l'exportateur que par l'importateur. De la même manière, pour le problème qui nous intéresse, un impôt qui est payé du fait de l'existence du paiement d'un salaire est supporté aussi bien par celui qui reçoit le salaire que par celui qui le paie. C'est pourquoi il est erroné de dire, par exemple, que les cotisations sociales représentent uniquement un impôt sur le travail (et les travailleurs). Les cotisations sociales constituent aussi un impôt sur l'activité entrepreneuriale. Et inversement, on pourraît montrer que l'impôt sur le bénéfice des sociétés est peut-être payé en partie par les salariés.
Nous ne savons pas exactement dans quelles proportions chacun des partenaires paie "l'impôt sur l'échange". Mais nous savons une chose avec certitude : plus l'échange est taxé, moins il est désiré. Le système fiscal et social actuel qui punit dans des proportions considérables la création de valeur due à un échange contractuel entre un employeur et un salarié est le phénomène destructeur de l'emploi.
Il est écrit dans le rapport de la Commission sur l'emploi: « Tant que les salariés acceptent les cotisations comme substitut au salaire net, il n'est pas certain que les hausses de cotisation aient un impact sur le coût global du travail à moyen terme ». Passons sur l'idée étrange selon laquelle tous les salariés "accepteraient" les cotisations comme substitut au salaire net, alors qu'ils se trouvent dans un système de monopole obligatoire. personne n'a le moyen d'exprimer son souhait éventuel d'avoir un salaire direct plus élevé et un système de protection différent. Il n'en reste pas moins que ce n'est pas seulement le coût global du travail qui importe, mais sa structure : la substitution d'un salaire indirect à un salaire direct est une cause de chômage, car elle modifie les incitations productives des salariés et de leurs employeurs. A la limite, si le salaire indirect constituait l'intégralité du coût du travail, plus personne ne serait incité à travailler : ce qu'il obtiendrait serait totalement indépendant de ses propres efforts. Ce serait la mise en pratique de la grande utopie marxiste dont il faut reconnaître quelle est déjà largement mise en pratique dans notre pays. On a découvert avec surprise, au cours des années récentes, le total écroulement du système soviétique, pourtant facilement imaginable, puisque le système était presque complètement destructeur des incitations productives. Mais il faudrait maintenant réaliser que la France se trouve exactement sur le même chemin : l'effort productif est peu récompensé et il est d'ailleurs d'autant moins récompensé qu'il est plus productif, la collectivisation des ressources créées par les efforts individuels a progressé de manière continuelle et l'habillage statistique du chômage - qui consiste à appeler stagiaires ou pré-retraités ceux qui sont en réalité des chômeurs - est exactement le parallèle de la technique des sur-effectifs qui permettait de masquer le chômage en Union soviétique, comme dans tant d'autres pays centralisés.
Il apparaît donc que les chiffres du chômage s'expliquent non seulement par l'affaiblissement des incitations des employeurs à embaucher, mais également par le comportement des offreurs de travail. C'est ce que l'on doit accepter d'appeler le "chômage désiré". De même que certains facteurs institutionnels expliquent la croissance exogène du coût du travail et la mauvaise régulation qui en résulte, des facteurs institutionnels expliquent la modification du comportement des offreurs de travail. De manière parfaitement rationnelle, si l'on modifie de manière exogène le prix relatif entre le travail et le non-travail, les individus modifient leur offre de travail. Or, dans le système institutionnel actuel, le gain marginal que l'on obtient en passant d'une situation de non-travail à une situation de travail est peu incitatif dans beaucoup de cas. Aussi justifiées soient-elles, il faut bien reconnaître que les allocations-chômage accroissent le chômage, d'autant plus que les allocataires peuvent avoir recours au travail au noir. Mais l'encouragement au « non-travail » résulte aussi de beaucoup d'autres mesures, par exemple le fait qu'il existe un grand nombre d'allocations fournies indépendamment des efforts faits par les bénéficiaires. Il existe aussi une caractéristique du système d'assurance obligatoire jamais soulignée, mais pourtant importante, à savoir que les cotisations dites de sécurité sociale sont assises sur le revenu. Ainsi, une femme qui ne travaille pas reçoit des prestations du fait que son mari travaille et paie des cotisations et elle est « punie » de choisir une situation de travail parce quelle doit alors payer des cotisations élevées (en même temps que d'éventuels frais de garde pour ses enfants). Il est tout à fait étonnant qu'une femme mariée qui décide de ne plus travailler - et qui reçoit même peut-être des allocations-chômage pendant un certain temps - obtienne exactement les mêmes prestations sociales qu'auparavant sans payer aucune cotisation.
Le chômage et la faible croissance viennent en grande partie de ce que l'on se trouve dans un système de collectivisation des gains, mais d'individualisation des coûts : les satisfactions obtenues sont indépendantes de l'effort, les prix payés sont proportionnels ou plus que proportionnels aux efforts. En renforçant quelque peu ce système on arriverait à une situation de collectivisation totale et d'irresponsabilité généralisée : tout serait fourni « gratuitement », et l'on dépendrait de la bonne volonté de certains (ou de la contrainte) pour créer les richesses.
Ainsi la croissance du chômage s'explique-t-elle essentiellement par l'intervention de l'Etat dans le contrat de travail, par une détermination directe du coût du travail (cas du salaire minimum) ou par une croissance volontariste du salaire indirect qui provoque deux effets : elle peut diminuer la rentabilité à court terme d'un salarié si cette croissance exogène du salaire indirect n'est pas compensée immédiatement par une diminution équivalente du salaire direct ; elle modifie en tout état de cause la structure du coût du travail entre le salaire direct et le salaire indirect, ce qui modifie les incitations productives et crée donc du chômage.
Le rapport de la commission sur l'emploi, reprenant des idées souvent émises, minimise le rôle du coût du travail pour expliquer le chômage français en affirmant que ce coût serait « internationalement compétitif ». Or, le problème est un problème intérieur français et non un problème de compétitivité internationale. S'il y a chômage c'est parce que la hausse du coût du travail est trop forte par rapport à l'amélioration de la productivité et parce qu'elle se traduit essentiellement par une augmentation du salaire indirect. La référence à la "compétitivité internationale" est caractéristique d'un mode de raisonnement très répandu en France. Lorsqu'on souhaite étudier un problème quelconque on commence par établir des comparaisons internationales et on se demande si la France se trouve dans une situation exceptionnelle par rapport à la « moyenne des pays considérés ». Mais, comme le dit un dicton plein de sagesse méthodologique, "comparaison n'est pas raison". Les faits, par eux-mêmes, ne peuvent d'ailleurs rien dire. Or, quelle est l'analyse implicite qui peut justifier de telles comparaisons internationales du coût du travail ? Elle n'existe tout simplement pas. Si, par exemple, la productivité est plus faible dans un pays que dans un autre et si le coût du travail y est identique, le chômage y sera plus élevé. La simple comparaison de coûts de travail ne nous donne aucune information utile.
Pour les mêmes raisons, la concurrence des pays à bas salaire qui provoque tellement d'inquiétude, ne doit pas être considérée comme une des causes du chômage français. En important certains produits de ces pays, on améliore l'efficacité de l'économie française et la satisfaction des consommateurs français. Certes, cette concurrence peut être fatale à certaines entreprises ou à certains secteurs, mais elle ne constitue pas un problème global. Le progrès passe toujours par des changements de structures productives. En voulant s'y opposer on ne peut que freiner la croissance et donc empêcher les améliorations de productivité qui aideraient à surmonter le problème du chômage.
Propositions pour diminuer le chômage
Ces propositions sont une conséquence logique de l'analyse des causes du chômage que nous avons esquissée et il n'est donc pas nécessaire de les développer longuement.
* La réforme du système des prélèvements obligatoires
Si - comme je le pense - la nature même du système de prélèvements obligatoires est la cause essentielle du chômage, proposer des remèdes à la situation de l'emploi revient évidemment à proposer une réforme de ce système. Sans vouloir entrer dans le détail d'une réforme des prélèvements obligatoires, je voudrais en souligner deux lignes essentielles.
- Il est tout d'abord indispensable de réintroduire les techniques de l'assurance dans le domaine de la protection sociale de manière à responsabiliser les assurés et à leur permettre d'évaluer et de choisir la couverture des différents risques. En d'autres termes, il conviendrait de modifier progressivement le système de façon à ce que les cotisations payées soient fonction des risques, la solidarité - à l'égard, par exemple, des handicapés, des plus démunis, des familles - étant financée par des mécanismes de type fiscal.
- Il faut par ailleurs atténuer les effets désincitatifs du système des prélèvements obligatoires. La progressivité de l'impôt sur le revenu et la multiplicité d'impôts et de cotisations qui portent sur une même assiette fiscale détruisent profondément les incitations à travailler, à produire t à épargner. Il est donc impossible d'enregistrer une résorption significative du chômage, quelles que soient les mesures prises, si une modification profonde de ce système n'est pas amorcée.
* L'assurance chômage
Le fonctionnement de l'assurance-chômage est un exemple particulier de ce système général d'irresponsabilité que nous avons évoqué. Ainsi, tout le monde sit pertinemment qu'il existe des abus considérables dans le système français d'assurance-chômage. Certaines personnes optimisent leur situation en faisant alterner des périodes de travail et des périodes de chômage pendant lesquelles elles travaillent au noir et sont dispensées d'une grande partie des paiements qui sont imposés à ceux qui travaillent. Ils vivent ainsi, dans une large mesure, aux dépens des autres et ils refusent éventuellement les emplois qui leur sont proposés. Mais il y a là un tabou qu'on n'a pas le droit d'ébranler. Pourtant, la défense du statu quo conduit à maintenir la rente de situation dont bénéficient les moins scrupuleux aux dépens des plus honnêtes et des plus actifs. La société française est ainsi minée par une multitude de phénomènes de parasitisme qui portent atteinte à la prospérité de tous, qui créent frustrations et rancoeurs et qui détruisent le sens moral. Mais il ne suffit pas de dénoncer ou de lutter contre les abus. Il faut changer de système pour que les "abus" soient plus difficiles à réaliser.
Le système actuel est un système d'irresponsabilité car le gain marginal que l'on peut obtenir en acceptant un emploi est faible par rapport à ce que l'on peut obtenir sans travailler grâce aux allocations-chômage. Il est évident que l'incitation à travailler en est réduite d'autant. Symétriquement une entreprise peut avoir davantage intérêt à licencier un salarié qu'à le garder à temps partiel. Mais la première solution est évidemment plus coûteuse pour l'ensemble des cotisants que la seconde. Autrement dit, il serait préférable d'avoir un système plus nuancé que le système actuel, c'est-à-dire un système qui offrirait certaines garanties de ressources (qu'il s'agisse d'un chômage total ou d'une simple réduction d'activité), mais qui permettrait par ailleurs de réintroduire la responsabilité individuelle.
On sait bien que, par nature, un système d'assurances présente toujours cet inconvénient d'inciter les assurés à faire supporter les conséquences de ce qu'ils font par l'ensemble des assurés et donc à créer des dommages et à prendre des risques. Mais il n'en reste pas moins qu'il est toujours possible de trouver des moyens de limiter le recours à un tel comportement. C'est précisément ce que l'on pourrait attendre d'une privatisation de l'assurance-chômage qui permettrait d'imaginer des systèmes beaucoup plus variés et mieux adaptés aux situations particulières. A titre d'exemple, que le système reste public ou qu'il soit plus ou moins privatisé, on pourrait s'inspirer des techniques du « bonus-malus » qui sont facilement entrées dans les moeurs en ce qui concerne l'assurance automobile. Elles consistent à élaborer des "profils de risque" individuels en fonction des événements enregistrés au cours d'une période passée. Ainsi, il serait logique que la cotisation d'assurance-chômage soit plus élevée pour ceux qui choisissent périodiquement de se mettre au chômage afin d'optimiser leur situation, pour ceux qui refusent un emploi qui leur est proposé ou pour ceux'qui choisissent délibérément un métier à activité très irrégulière (mais qui peut éventuellement leur rapporter beaucoup au cours des phases de travail). On pourrait également imaginer que la part de la cotisation payée par l'entreprise soit modulée en fonction de son comportement (recours à la flexibilité interne on externe). Il n'est en tout cas pas possible de maintenir le système actuel en l'état et de se contenter de négocier périodiquement des augmentations de taux de cotisation.
Un problème spécifique : le salaire minimum
Comme il a été écrit dans le rapport de la Commission sur l'emploi « l'existence d'un salaire minimum s'analyse comme une barrière d'entrée sur le marché du travail légal ». S'il en est ainsi, il conviendrait évidemment que le salaire minimum soit supprimé. Mais il faut en préciser les raisons, car ce type de proposition peut être mai interprété et être considéré comme une atteinte aux moyens d'existence des travailleurs les plus démunis. Quelles sont donc les justifications d'une suppression du salaire minimum ?
- Tout d'abord, il n'est pas justifié de faire prendre en charge au niveau du versement du salaire une politique de transfert qui peut être prise en charge par d'autres mécanismes. Nous l'avons déjà dit, les victimes du salaire minimum sont d'abord les travailleurs peu qualifiés qui, de ce fait, se trouvent au chômage. Il serait donc bien préférable que le salaire soit déterminé par le marché, qu'il permette ainsi de fournir un emploi au plus grand nombre et que, par ailleurs, des filets de sécurité soient mis en place, mais de la manière la plus personnalisée possible.
- Ensuite, il convient d'adopter une vision réaliste, c'st-à-dire une vision dynamique, de l'emploi et du travail, et non une vue statistique. La vue statistique consiste à imposer un salaire minimum donné à un moment donné, quel que soit l'apport effectif d'un travailleur à la production. Cette pratique - évidemment inspirée par la démagogle politique - a pour conséquence d'exclure du marché du travail, parfois pour une très longue période, des hommes et des femmes qui, à ce montent-là, ne peuvent pas apporter une contribution suffisante à la production pour qu'une entreprise soit incitée à les embaucher.
Or les capacités des êtres humains se modifient dans le temps, parfois de manière extraordinaire et imprévisible. A titre d'exemple, un jeune qui cherche un emploi a nécessairement une faible productivité du fait de son manque d'expérience et de savoir. En imposant à une entreprise de lui payer un salaire et des charges sociales top élevés par rapport à sa productivité, on l'empêche d'entrer sur le marché du travail et de développer ses capacités de manière telle qu'au bout d'un certain temps il pourrait obtenir un salaire réel au moins égal au salaire minimum ou même supérieur. Et ce qui est vrai pour un jeune est également vrai, par exemple, pour quelqu'un qui effectue une conversion d'activité. Ainsi, lorsqu'il a créé sa firme de services informatiques - qui devait devenir la première au monde - Ross Perot a embauché des gens sans qualification en informatique, mais il les a formés lui-même, en leur donnant évidemment un salaire relativement faible pendant un certain temps. Son entreprise n'aurait jamais existé et ses employés n'auraient jamais connu les mêmes perspectives de carrière si le salaire minimum avait existé. Autrement dit, l'existence d'un salaire minimum a pour conséquence non seulemnt d'empêcher l'entrée des individus sur le marché du travail, mais également d'empêcher la création d'entreprises (et de conduire à la destruction de celles qui existent).
La prospérité - c'est-à-dire des revenus élevés et des emplois abondants - est le résultat d'une multitude de processus d'essais et d'erreurs. En imposant aux hommes (entrepreneurs ou salariés) de faire comme si un résultat certain était déjà obtenu (salaire élevé), on empêche ces processus de découverte de se développer. Bien entendu, on ne peut pas avoir la certitude que toutes les entreprises pourront prospérer si on les laisse libres de fixer les salaires par des procédures contractuelles individuelles; on n'est pas non plus certain que tous les salariés connaîtront une hausse continue de leurs salaires. On peut par contre avoir la certitude qu'en introduisant des rigidités dans ces processus, on freinera la création d'emplois bien rémunérés.
On pourrait certes dire que l'allègement des charges sur les bas salaires, que nous critiquons par ailleurs, est en fait le moyen de compenser un salaire minimum qui est trop élevé. Autrement dit, il existerait deux systèmes équivalents : dans le premier - le système qui se met actuellement en place - le salaire minimum est « trop » élevé, mais les charges sont réduites d'autant. Dans le deuxième le salaire minimum est à son niveau "normal" (et les charges adaptées à ce niveau), mais les titulaires de bas revenus reçoivent éventuellement des transferts compensateurs (qu'il faut bien financer, de la même manière qu'il faut bien financer les allégements de charges). Il existe pourtant une différence essentielle entre ces deux systèmes, à savoir que dans le second on peut adapter les transferts aux circonstances spécifiques de ceux qui en bénéficient. Ainsi, il ne serait pas justifié de donner la même allocation à un jeune sans expérience, à faible productivité, qui vit chez ses parents et qui reçoit un salaire (temporairement) faible et à un père de famille qui reçoit le même salaire. L'allégement des charges sur les bas salaires est un mécanisme totalement aveugle, parce qu'il réalise des transferts implicites qui peuvent fort bien n'être justifiés à aucun point de vue.
Les fausses solutions
Il évident que, dans la mesure où le chômage est explicable par les causes que nous avons soulignées précédemment, la plupart des solutions fréquemment préconisées ne peuvent pas permettre de le réduire. C'est le cas, par exemple, du développement des "petits boulots", du recours au travail à temps partiel, de la diminution de la durée du travail ou de l'abaissement de I"'âge de la retraite. Certes, la réglementation du temps de travail constitue un obstacle à l'épanouissement individuel, et la liberté de choix doit être rendue aux individus pour cette raison (liberté de choisir l'âge de la retraite, la durée du travail, etc-). Mais les mesures de ce genre n ont qu'un lointain rapport avec les véritables obstacles à I'emploi.
Une grande partie des suggestions qui sont fréquemment faites pour résoudre le poblèrne du chômage risquent alors d'aggraver le mal au lieu de le guérir. Il ne suffit pas, en effet, de "créer des emplois", encore faut-il que ces emplois soient eux-mêmes créateurs de richesses. Si, par exemple, le coût d'un ernploi (salaire direct et salaire indirect) est supérieur à la valeur de ce qu'il permet de produire, la création et le maintien de cet emploi ne sont possibles qu'à condition de prélever des ressources créées par d'autres, au risque de rendre les emplois correspondants non rentables. Autrement dit, ce que l'on appelle bien souvent la politique d'emploi risque fort d'aboutir au contraire de ce qu'elle est censée obtenir. En voici quelques exemples.
Le partage du travail est souvent invoqué comme l'une des mesures de lutte contre le chômage. Cette idée repose sur une erreur fondementale, celle qui consiste à penser qu'il existe un nombre d'emplois limité en France et qu'il faut donc répartir les emplois existants le plus équitablement possible. En réalité, les possibilités d'emploi sont illimitées, à condition, précisément, qu'on n'impose pas à la société française les rigidités qui ont été mentionnées ci-dessus. Il ne sert à rien de répartir la pénurie. Mieux vaut supprimer les causes de la pénurie.
Or, si l'on veut véritablement financer toutes les charges de type collectf, c'est une augmentation de la durée du travail qui serait nécessaire. Et de toutes façons, on peut se demander pourquoi il doit exister une définition légale de la durée du travail, par jour, mois ou année, ou de la durée de la vie active (âge de la retraite). C'est aux personnes concernées de le décider par voie contractuelle.
C'est aussi cette idée d'un nombre limité d'emplois qui inspire ceux pour lesquels les immigrés "prennent du travail aux Français". Cette idée est fausse, dans la mesure où les immigrés créent des richesses. Le seul problème qui se pose est de savoir s'ils reçoivent plus que leur apport productif. Or, le système de protection sociale français a pour conséquence de subventionner vigoureusement ceux qui sont les moins productifs. Il constitue donc une puissante incitation à l'immigration de ceux dont la productivité est la plus faible et décourage au contraire les autres. Et le coût des transferts correspondants repose évidemment sur d'autres personnes qui voient s'amoindrir la rentabilité de leurs efforts. Ce n'est donc pas l'immigration par elle-même qui crée des problèmes pour le marché du travail, mais plus généralement le système d'irresponsabilité que nous avons précédemment dénoncé.
Le développement du travail à temps partiel ou l'accroissement de la flexibilité du temps de travail sont des objectifs souhaitables par eux-mêmes dans la mesure où ils peuvent permettre une meilleure adaptation du temps de travail aux besoins des salariés ou de leurs employeurs. Ce faisant, ils permettent peut-être d'accroître la productivité et donc d'alléger la contrainte qu'un coût excessif du travail fait peser sur l'emploi. Mais il n'y a aucune raison de subventionner ceux qui ont recours à ces formules, car les ressources ainsi transférées sont nécessairement retirées à d'autres dont le coût du travail augmente et dont les incitations productives sont amoindries.
L'allègement des charges sur les bas salaires donne le sentiment de résoudre le problème spécifique du chômage qui frappe particulièrement le main-d'oeuvre la moins bien formée. Notons au passage qu'il est d'ailleurs étrange de constater que, bien souvent, ceux qui prétendent que le coût du travail ne permet pas d'expliquer le chômage, sont favorables à une mesure qui diminue le coût du travail et qui, d'après eux, doit permettre de diminuer le chômage ! Nous ne nions évidemment pas que la diminution du coût du travail, par exemple par l'allégement des charges, permet de diminuer le chômage. Mais comment va être financé cet allégement de charges ? Bien évidemment par un accroissement des charges prélevées par ailleurs. Il se peut qu'une partie en soit finalement même supportée par les titulaires de bas salaires du fait de phénomènes d'incidence fiscale que l'on connait mal. Et dans la mesure où elles seront supportées par les autres, elles diminueront d'autant leurs incitations productives ou elles les conduiront tout simplement à la faillite. C'est l'intérêt des titulaires de bas revenus qu'il y ait le plus grand nombre possible d'employeurs. Mais ce n'est évidemment pas en taxant ces derniers de manière croissante qu'on les incitera à créer des emplois.
Le développement des services - et plus particulièrement de certains d'entre eux, les « services de proximité », les services destinés à répondre à une demande peu solvable, etc. - est un thème à la mode dans les discussions sur l'emploi. On peut se demander pourquoi. Il n'existe en effet aucun moyen de savoir si la création d'emplois dans certains secteurs de services est préférable à la création d'emplois dans d'autres secteurs. Le volontarisme qui inspire les propositions faites à ce sujet rappelle celui qui a inspiré pendant des décennies de prétendues politiques de développement dans des pays pudiquement appelés « pays en Voie de développement », mais qui sont restés ou devenus des pays sous-développés précisément à cause de ce volontarisme. La priorité à l'industrialisation, la création de pôles de développement, l'auto-suffisance, tels sont quelques uns des mots d'ordre du passé, auxquels il faudrait donc ajouter, pour la France, la « priorité aux services ».
Il paraît d'autant plus dangereux de s'orienter dans cette voie qu'on semble vouloir privilégier les services à faible productivité. Nous retrouvons là une conséquence logique de l'idée - erronée - selon laquelle le chômage français s'expliquerait par une croissance trop rapide de la productivité. Des travaux statistiques élaborés, des modèles même, donnent une apparence scientifique à ces propositions, en prétendant prévoir le nombre d'emplois qui pourraient être créés dans tel ou tel secteur de service. Mais reposant sur une analyse erronée, ces travaux ne peuvent donner que des résultats faux. Si, véritablement, le problème consistait à "créer des emplois", il suffirait, par exemple, d'interdire l'usage des grues dans la construction pour créer des milliers ou des millions d'emplois (puisqu'on utiliserait des hommes et des femmes pour transporter les matériaux sur leur tête ou dans leurs bras..). Le problème n'est pas de créer des emplois, mais de savoir à quel coût et pour quel bénéfice. Un économiste - parce qu'il rejoint heureusement la manière d'agir concrète des gens - ne se demande jamais s'il faut produire, mais si la production permet de créer plus de valeur qu'elle n'en absorbe. Il se demandera de même comment rechercher l'efficacité dans l'utilisation de la main-d'oeuvre, de telle sorte que la meilleure politique d'emploi ne consiste pas à créer des emplois dans n'importe quelle condition.
Les difficultés actuelles en France viennent de l'excès des prélèvements, de leur caractère désincitatif, des règlementations et des privilèges qui figent les situations. Vouloir les surmonter par la création volontariste d'emplois à faible productivité, c'est nécessairement créer un chômage supplémentaire. Ainsi, si l'on prélève des impôts sur certains Français pour aider le développement de "services de proximité", on diminue d'autant la demande de ces contribuables et donc des emplois. Et il se peut fort bien que l'on supprime ainsi des emplois à forte productivité pour les remplacer par des emplois à faible productivité. On ne fait donc qu'aggraver les difficultés du marché du travail. Comme le soulignait volontiers F. Bastiat, il y a ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas. Ce qu'on voit ce sont les emplois créés, ce qu'on ne voit pas ce sont les emplois détruits... Le protectionnisme est très vigoureusement réclamé comme un instrument de défense de l'emploi, parfois sous la forme d'une préférence communautaire, comme si les frontières de l'Europe avaient un aspect magique tel que les échanges à l'intérieur de la Communauté seraient bénéfiques, alors que les échanges avec le reste du monde seraient dangereux pour l'emploi !
Or, il existe dans ce domaine des propositions absolument incontournables, en particulier la suivante : il est illusoire de penser que l'on peut protéger toutes les activités productives d'un pays. La protection d'une activité dans un pays se fait toujours aux dépens des autres activités de ce même pays. Le pouvoir de contrainte étatique réserve certains marchés aux producteurs nationaux, mais le gain obtenu par ceux qui sont protégés est plus faible que la perte subie par les autres, de telle sorte que l'économie dans son ensemble est moins efficace. Parce qu'on raisonne généralement de manière partielle, on « voit » les emplois sauvegardés dans l'activité qui bénéficie d'une protection, mais on ne voit pas ceux qui disparaissent dans les activités qui supportent nécessairement une protection négatives.
Quelles sont alors les conséquences du protectionnisme sur J'emploi ? Le salaire réel moyen doit diminuer puisque l'économie est moins efficace. S'il ne diminue pas, pour une raison ou une autre (par exemple la rigidité à la baisse des salaires), il en résulte du chômage. Contrairement à l'opinion trop généralement acceptée actuellement, le protectionnisme ne peut, en aucun cas, protéger l'emploi, bien au contraire. En résumé, aucune politique économique ne peut être créatrice d'emplois qui soient eux-mêmes créateurs et non destructeurs de richesses. Tout ce que l'on peut donc demander c'est la suppression de tous les obstacles qui empêchent les employeurs potentiels et les salariés potentiels de se rencontrer et de produire des richesses.