François Guillaumat : la secte des adorateurs du marché

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François Guillaumat : la secte des adorateurs du marché
La Secte des adorateurs du marché


Anonyme
François Guillaumat


Quelles qu’aient été leurs dénonciations mutuelles, communistes et socialistes nationaux hitlériens n’en étaient pas moins adeptes du même socialisme, principe véritable de leur mimétique criminalité. De fait, rien n’était plus facile que de devenir nazi quand on était communiste, et réciproquement. Au plus fort donc des condamnations et des insultes que s’échangent deux ennemis déclarés, l’esprit libre doit toujours chercher l’erreur qui leur est commune. Il découvrira souvent que cette erreur-là est bien plus intéressante que le motif de leur haine réciproque. Ainsi Marianne, hebdomadaire pour zombis du régime, décrivait récemment Alain Madelin (le politicien démocrate-social tendance libérale bien connu), comme "le chef de la secte des adorateurs du marché". De l’autre côté de la barricade, dans son dernier livre La Grande trahison, le pseudo-conservateur américain Patrick Buchanan écrivait :

"Ce qui ne va pas dans l'économie globale est ce qui ne va pas dans notre politique ; elle est fondée sur le mythe de l'homo oeconomicus[1]. Elle met l'économie au-dessus de tout. Mais l'homme ne vit pas que de pain. L'adoration du marché est une forme d'idolâtrie, pas moins que l'adoration de l'état. Il faut que le marché soit mis au service de l'homme, et non l'inverse[2]

Patrick Buchanan, ancien rédacteur des discours du Président Reagan et esprit libre à défaut d’être bien informé, serait certainement classé à l’"extrême-droite", éventuellement "antisémite" (pour avoir critiqué les excès du sionisme) par les voyous de presse de l’hebdomadaire précédemment cité, et lui-même les jugerait "vendus au mondialisme".

Erreurs commises de concert

C’est commode de désigner ses adversaires par des termes qu’on ne comprend pas soi-même

Cela fait déjà un certain temps que les démocrates-sociaux essaient de faire passer pour des extrémistes les partisans de la liberté naturelle. Le terme d’ultra-libéral vise à cela, qui n’ose pas tout à fait dire "extrémiste" mais le suggère fortement. On emploie déjà le mot de secte pour désigner des libéraux réels (Contribuables Associés) ou supposés (le socialiste Balladur).

Si les étatistes ont besoin de faire passer leurs adversaires pour des cinglés[3], c’est qu’ils n’ont plus d’autre argument que cette insinuation-là :

Les étatistes passent leur temps à voler les autres tout en reconnaissant verbalement la propriété d’autrui. Quiconque leur oppose des principes démontre le caractère indéfendable de cette pratique pillarde. Le démocrate-social, c’est pire encore : quand il vole, c’est au nom de croyances absurdes (l’égalité, la représentation démocratique, les droits à) dont vous ne pouvez dénoncer la folie intrinsèque sans exposer par là-même son incapacité à lui en tant qu’être pensant. Vous ne combattez pas seulement son intérêt, vous démontrez son impuissance à saisir le réel. C’est donc forcément vous qui êtes fou, vous qu’il faut exclure, vous qui êtes un danger public, un ennemi du peuple, ou comme dit Jean Madiran, une vipère lubrique. En somme, un extrémiste. Un extrémiste, à savoir quelqu’un qui n’est pas dupe des croyances absurdes de la démocratie sociale.

Le marché est-il un concept normatif ?

C’est pourquoi les étatistes, pour dénoncer les partisans de la liberté naturelle, se gardent bien de les désigner par le critère de l’acte juste qui est le leur ; "que personne ne vole personne" et tout ça, c’est bien trop parlant, ça rappelle trop de choses ; d’ici à ce qu’on s’imagine qu’ils ont raison. Heureusement, on a entendu dire qu’ils étaient "pour une économie de marché".

Alors va pour l’économie, va pour le marché : voilà des termes assez abstraits pour que leurs partisans mêmes — a fortiori leurs adversaires — ne les comprennent pas toujours ; on pourra donc y associer les sous-entendus que l’on veut, de manière à en faire des sortes d’épouvantails, de fétiches grimaçants qu’adorerait une bande de fous.

Or, le marché ne désigne que l’ensemble des relations à la fois volontaires et potentielles entre les personnes.

Volontaires, cela veut dire que tout le monde y entre exprès en relation, et c’est une preuve suffisante qu’elles y trouvent toutes leur intérêt. L’autre terme de l’alternative volontaire-involontaire, c’est la relation forcée, où les uns s’imposent aux autres et en profitent à leurs dépens.

Potentielles, cela veut dire qu’il y a marché tant qu’il y a choix. Quand le choix est fait, et le marché conclu, ce choix-là n’est plus disponible et tout un pan du marché s’évanouit. Si l’échange est à long terme, on entre alors dans un contrat, et quand les contrats sont multiples, dans une organisation. Marché et organisation ne s’opposent donc que dans ce sens-là. Autrement, c’est le premier qui fonde normalement la seconde.

Dans toute organisation, il y aura toujours un marché résiduel : des relations possibles, ou dont on découvre la nécessité, qu’il faudra négocier ou renégocier. A l’inverse, sur un marché, tout contrat à long terme engendre une forme d’organisation.

Quel lien avec la norme politique ? Du marché, d’après sa propre définition, il y en aura toujours : dans l’état le plus autoritaire, le plus follement (le plus socialistement) réglementé, il restera toujours un certain choix d’entrer ou non en relation avec d’autres. On choisira toujours des amis, un conjoint, des alliés politiques. Toute société humaine est donc une économie de marché, et ne peut pas ne pas en être une.

Alors où se trouve la norme, quel lien avec la liberté naturelle ? En quoi peut-on "prôner" le marché ? Il est indiscutable qu’on peut défendre la justice naturelle sans jamais en parler. Cependant, on peut lier les deux si le marché en question est libre, car il correspond alors à la seule définition rationnelle de la Justice : la propriété naturelle, qui interdit l’agression et le vol, et qui voudrait de ce fait que, marché ou organisation, toutes les relations soient volontaires dans la société. En somme, le concept normatif n’est pas le marché mais le marché libre et ce qui importe dans le marché libre, c’est la liberté.


Erreurs commises de conserve

Le matérialisme démocrate-social

Marianne recrute ses lecteurs parmi ceux dont le monopole communiste de l’"éducation nationale" a définitivement atrophié la capacité de penser la norme politique. Son idéologie, comme tout ce qui est aujourd’hui "républicain", "de gauche", "socialiste" est donc la démocratie sociale ; en l’occurrence, la démocratie-sociale tendance communiste.

Quand il est de bonne foi, le démocrate-social se prend — tenez-vous bien — pour un rationaliste. Il sait que la société doit être organisée, régulée. Mais comme il ne sait rien d’autre, il se trompe à deux titres sur le marché :

— il l’oppose à l’organisation, comme si le contrat n’était pas la façon normale de constituer celle-ci : comme si une société fondée sur les seules relations volontaires ne pouvait être faite que de rapports fugaces, en somme comme si on ne pouvait organiser la société que par la force[4] ;

et surtout, le démocrate-social s’imagine que la violence des hommes de l’état pourrait instituer une forme de "rationalité supérieure", alors que la violence c’est l’irresponsabilité, et qu’elle détruit forcément l’information pertinente. Il méconnaît entièrement que la responsabilité est nécessaire et suffisante pour que la société soit régulée.

— le matérialisme scientiste joue évidemment tout son rôle dans cette erreur typiquement socialiste. Si le démocrate-social est incapable de raisonner sur l’organisation sociale, c’est parce qu’il n’a jamais appris que la théorie du même nom (la théorie sociale) est une science morale. Il croit qu’avec des statistiques, on peut en principe manipuler rationnellement la richesse parce qu’il imagine la valeur comme mesurable. Or, cette valeur-là ne se trouve jamais que dans la tête des gens, et les prix qui l’expriment perdent leur sens s’ils ne sont plus formés librement par des propriétaires subissant personnellement les conséquences de leurs choix.

Et surtout, il croit que la production est matérielle, alors qu’on ne produit jamais que de l’information. Il croit qu’on peut voler la richesse à ceux qui l’ont produite, c’est-à-dire détruire sa raison d’exister, sans détruire sa capacité à servir l’homme. Il croit que recevoir de l’argent ou des services volés par les hommes de l’état n’est pas différent de gagner honnêtement sa vie et de payer les services que l’on reçoit.

En somme, le démocrate-social est un infirme moral, et il ne sait pas que l’étatisme est tout entier empoisonné par la malédiction de l’argent volé. Il croit que la redistribution politique socialiste est bonne et même nécessaire, alors qu’elle détruit deux fois : là où elle vole, et là où elle distribue son butin.

C’est pour cela qu’il prend pour des fous les partisans de la liberté naturelle : eux savent à quelles conditions on peut résoudre les problèmes de la société alors que lui ne comprend même pas la nature de ces problèmes. Eux connaissent la responsabilité personnelle comme la seule manière de produire et d’utiliser le maximum d’information pertinente, alors que lui-même s’imagine que seuls les hommes de l’état — qui ne font que détruire l’information — en seraient capables. Il idolâtre les hommes de l’état, et croit ses contradicteurs idolâtres du marché.

Le pseudo-moralisme de droite

La confusion pseudo-conservatrice, au moins, n’est pas matérialiste et n’idolâtre pas les hommes de l’état. Mais elle n’en traduit pas moins un amalgame délétère de la morale, du droit et de la science.

Lorsque le pseudo-conservateur Patrick Buchanan dit que la société américaine met l'économie au-dessus de tout, on peut le croire en train de critiquer ses concitoyens qui ne pensent qu’à l'argent. Mais il n'écrit pas pour prêcher la morale : c’est une politique qu’il prône, et son propos réel est d'attaquer la liberté personnelle. Et par quels actes concrets se traduit cette norme politique, qu’il a le culot d’appeler "idolâtrie du marché ?" Cela vaut la peine de le rappeler :

— tu ne voleras pas,

— tu ne désireras pas injustement le bien d'autrui,

— tu n’assassineras pas,

— tu ne mentiras pas.

C’est cela, la propriété naturelle : c’est tout cela, et rien que cela. Présenter comme une "idolâtrie" la Justice ainsi définie par le Décalogue, qu'il a sûrement enseignée à ses enfants et sans doute pratique lui-même quand il ne se prend pas pour un penseur social, c'est le comble du contresens.

Ce qui manque aux pseudo-conservateurs à la Buchanan c’est la lucidité — ou l’honnêteté — qui les contraindrait à admettre qu’interdire aux autres de choisir leurs fournisseurs, les décrétant brutalement mariés de force à certains producteurs (sous prétexte qu’ils sont ses voisins), c’est tout aussi sûrement les voler que par l’impôt ou toute autre forme de racket.

Mais il n’y a pas que cette confusion-là : car ce qu’il vitupère nommément, ce n’est pas le matérialisme pratique de ses concitoyens, mais l’économie. Or, l’"économie" en tant que telle n’est rien d’autre qu’une science. Et une science ne peut être que vraie ou fausse. Cela n’a aucun sens de la dénoncer, a fortiori quand ne la maîtrise pas. En outre, l’économie n’est pas une science de la richesse matérielle mais une logique générale de l’action humaine : elle intéresse toute action humaine quel qu'en soit le motif, et elle est donc vraie pour toute valeur, y compris spirituelle.

Consciemment ou non, le discours pseudo-conservateur de Patrick Buchanan est donc une double confusion : on croit qu’il rappelle une règle morale, alors que c’est au Droit des autres qu’il s’en prend. Il croit traiter de normes sociales, mais les mots dont il se sert relèvent de la seule science ; probablement parce que cette science, justement, il ne la maîtrise pas.

Où est la secte ?

Il n’y a donc pas de secte des adorateurs du marché. Il n’y a qu’une règle de justice universelle : "personne ne vole personne", que tout le monde connaît et que tout le monde pratique, même ceux qui la dénoncent, quand ils ne se rêvent pas en hommes de l’état.

N’ont "le marché" à la bouche que ceux justement qui cherchent à falsifier ou à diffamer cette règle évidente de conduite.

Et la seule folie en la matière se trouve dans les arguties, qui prétendent en exempter les hommes de l’état. Folie dont la mystique étatiste et la mystique démocratique sont les avatars contemporains.

Ce sont donc leurs adeptes qui adhèrent à des croyances ridicules, soit qu’ils aient l’esprit confus, soit qu’ils prêtent aux hommes de l’état des qualités qui n’appartiennent qu’à Dieu.

Notes et références

  1. L'homo œconomicus est une aberration des économistes britanniques du siècle dernier, qu'Adam Smith avait engagés sur la voie de garage de l'étude des seuls phénomènes pécuniaires. Aux politiciens et aux philosophes qui ont négligé d'apprendre l'économie politique, cette erreur vieille d'un siècle et demi donne encore des prétextes pour continuer à l'ignorer, en laissant entendre que l'"économie" ne ferait qu'exprimer un intérêt exclusif pour un domaine secondaire, voire méprisable de celle-ci. Dénaturation d'autant plus plausible qu’ils la connaissent moins bien. Aux falsificateurs de la norme politique, l'homo œconomicus fournit une occasion de faire croire que la liberté personnelle ne bénéficierait qu'aux obsédés de l'enrichissement matériel : dans ce cas, les puissants qui exploitent les autres ne feraient qu'incarner une sorte de morale supérieure. C'est le thème rebattu du sale égoïste qui refuse de se laisser voler sans doute par de purs esprits.
  2. On dirait que, pour Buchanan, le marché serait une sorte d’entité, d’être vivant qui aurait des intérêts propres. Or, il n’a pas d’autres intérêts que ceux de ses participants. De tous ses participants. Alors, qu'est-ce qui l'assure le mieux, ce fameux service de l'homme ?
  3. Quand il ne voit pas des éléphants roses (alors qu’en fait ce sont des rats noirs qui sont en train de passer), vous avez deux bonnes raisons pour traiter quelqu’un de fou : soit vous ne comprenez pas ce qu’il dit (mais ce n’est pas forcément de sa faute à lui), · soit vous ne le comprenez que trop bien, et ce qu’il vous dit vous gêne terriblement alors que vous ne pouvez pas le réfuter parce que c’est vrai.
  4. On trouve cette extravagance chez John Rawls, "penseur" à la mode chez les démocrates-sociaux français. Anthony de Jasay rend ainsi compte de cette faute de logique : "[Rawls suppose] qu'une distribution [des revenus] non seulement spontanée, mais délibérée, [pourrait produire] une plus grande quantité de biens primaires, par rapport à celle qui s’est déjà faite spontanément [Mais] le fait que cela n'ait pas déjà eu lieu et que [les] contrats ne comportent pas déjà ces meilleures conditions, suffit à prouver que le contrat social, conçu comme une redistribution en échange d'une meilleure coopération sociale, ne peut pas correspondre à la préférence unanime d'êtres rationnels qui coopéreraient déjà pour une distribution naturelle." (L’état, Paris, les Belles-Lettres, 1993, ch. 3 "Les Valeurs démocratiques", section : "où la justice sociale foule aux pieds les contrats".) En somme, une coopération spontanée est déjà une coopération délibérée ; et une société organisée par les seuls accords volontaires est déjà parfaitement organisée. D’ailleurs c’est la seule qui puisse l’être.

Article paru initialement sur Liberalia

wl:François Guillaumat