Milton Friedman:Capitalisme et liberté
Milton Friedman | |
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né en 1912 | |
Auteur libéral classique | |
Citations | |
« Difficile de justifier un impôt progressif dont le seul but est de redistribuer les revenus. » | |
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On croit généralement que politique et économie sont des domaines distincts et, pour l'essentiel, sans rapport ; que la liberté individuelle est un problème politique et le bien-être matériel un problème économique ; enfin, que n'importe quel régime politique peut se combiner avec n'importe quel régime économique. [...] Ma Thèse est que pareille opinion est illusoire, qu'il y a un rapport intime entre économie et politique, que seules certaines combinaisons sont possibles entre régimes économiques et régimes politiques, et qu'en particulier, une société socialiste ne peut être démocratique -- si être démocratique, c'est garantir la liberté individuelle.
Dans une société libre, le dispositif économique joue un double rôle. D'une part, la liberté économique est elle-même une composante de la liberté au sens large, si bien qu'elle est une fin en soi. D'autre part, la liberté économique est indispensable comme moyen d'obtenir la liberté politique [...]
Si l'on considère le régime économique comme un moyen destiné à atteindre ce but qu'est la liberté politique, son importance est à la mesure des effets qu'il a sur la concentration ou la dispersion du pouvoir. Le type d'organisation économique qui assure directement la liberté économique, à savoir le capitalisme de concurrence, est en même temps favorable à la liberté politique car, en séparant le pouvoir économique du pouvoir politique, il permet à l'un de contrebalancer l'autre.
L'histoire témoigne sans équivoque de la relation qui unit liberté politique et marché libre. Je ne connais, dans le temps et dans l'espace, aucun exemple de société qui, caractérisée par une large mesure de liberté politique, n'ait pas aussi recouru, pour organiser son activité économique, à quelque chose de comparable au marché libre [...]
Néanmoins, l'histoire, si elle indique que le capitalisme est une condition nécessaire de la liberté politique, ne nous dit pas qu'il en est la condition suffisante. L'Italie et l'Espagne fasciste, l'Allemagne [...] et le Japon avant la Première et la Seconde Guerre mondiale, la Russie tsariste durant les décennies qui précédèrent la Grande Guerre -- voilà autant de sociétés dont on ne peut pas dire qu'elles aient été ou soient politiquement libres. Dans chacune d'entre elles, pourtant, l'entreprise privée était la forme dominante de l'organisation économique. Il est par conséquent fort possible qu'à un régime économique fondamentalement capitaliste ne corresponde pas un régime politique de liberté [...]
Il n'y a fondamentalement que deux manières de coordonner les activités économiques de millions de personnes. La première est la direction centralisée, qui implique l'usage de la coercition : c'est la technique de l'armée et de l'Etat totalitaire moderne. La seconde est la coopération volontaire des individus : c'est la technique du marché. La possibilité d'une coordination assurée grâce à la coopération volontaire repose sur cette proposition élémentaire -- quoique fréquemment niée -- que, dans une transaction économique, les deux parties sont bénéficiaires, pourvu que cette transaction soit bilatéralement volontaire et informée. Une coordination sans coercition peut par conséquent être le produit de l'échange. Le modèle d'une société organisée grâce à l'échange volontaire est l'économie libre de l'échange et de l'entreprise privée, c'est-à-dire ce que nous avons appelé le capitalisme de concurrence [...]
Dans la société moderne, nous disposons d'entreprises qui sont des intermédiaires entre les individus, considérés d'une part en tant que fournisseurs de services et, d'autre part, en tant qu'acquéreurs de biens. De même l'argent a-t-il été créé comme moyen de faciliter l'échange et de distinguer nettement entre l'acte de vendre et celui d'acheter.
Ce qui est fondamentalement indispensable, c'est de maintenir la loi et l'ordre, si bien que la coercition physique exercée par tel individu sur tel autre soit impossible et que les contrats volontairement passés soient respectés ; c'est donc de donner quelque contenu au mot "privé". A part cela, les problèmes peut-être les plus épineux sont posés par le monopole -- qui paralyse la liberté en déniant aux individus la possibilité de choisir --, et par les "effets de voisinage" -- effets sur les tierces parties, à propos desquels il n'est pas possible de pénaliser ou de récompenser ces dernières. Aussi longtemps que l'on maintient une liberté d'échange effective, le trait central du mécanisme du marché est qu'il empêche une personne de s'immiscer dans les affaires d'une autre en ce qui concerne la plupart des activités de cette dernière. Du fait de la présence d'autres vendeurs avec lesquels il peut traiter, le consommateur est protégé contre la coercition que pouvait exercer sur lui un vendeur ; le vendeur est protégé contre la coercition du consommateur par l'existence d'autres consommateurs auxquels il peut vendre ; l'employé est protégé contre la coercition du patron parce qu'il y a d'autres employeurs pour lesquels il peut travailler, etc. Le marché y parvient de façon impersonnelle et sans qu'il soit besoin d'une autorité centralisée.
A vrai dire, c'est précisément et surtout parce qu'elle remplit si bien cette tâche que l'économie libre se heurte à des objections ; car elle donne aux gens ce qu'ils veulent, et non pas ce que tel groupe particulier pense qu'ils devraient vouloir ; ce qui se cache derrière la plupart des arguments contre le marché libre, c'est le manque de foi dans la liberté elle-même.
L'existence d'un marché libre n'élimine évidemment pas le besoin d'un gouvernement. Au contraire, ce dernier est essentiel, et comme forum où sont fixées les "règles du jeu", et comme arbitre qui interprète et fait appliquer ces règles. Le marché, cependant, réduit grandement le champ des questions auxquelles doivent être données des réponses politiques, et par là minimise la mesure dans laquelle il est nécessaire que les pouvoirs publics participent directement au jeu. C'est le trait caractéristique de l'action politique que sa tendance à exiger ou à imposer une certaine conformité ; et c'est, en revanche, le grand avantage du marché que de permettre une large diversité. Pour parler le langage de la politique, le marché est un système de représentation proportionnelle. Chacun peut, si j'ose dire, voter pour la couleur de la cravate qui lui plaît ; il n'a ni à savoir quelle couleur veut la majorité, ni à se soumettre s'il est parmi les minoritaires.
C'est à cette caractéristique du marché que nous faisons référence quand nous disons que le marché assure la liberté économique. Mais cela comporte des implications qui vont bien au-delà. [...] En ôtant à l'autorité politique le droit de regard sur l'organisation de l'activité économique, le marché supprime cette source de pouvoir coercitif ; il permet que la puissance économique serve de frein plutôt que de renfort au pouvoir politique. [...]
Extraits de Capitalisme et Liberté, pages 21 à 31.
Notes
Friedman démontre ensuite que dans une société capitaliste libre, il est naturel que des hommes "puissent ouvertement plaider la cause du socialisme et travailler à sa venue". Alors que, à supposer qu'il puisse exister une société socialiste soucieuse de liberté, l'omniprésence de l'Etat induit "des difficultés très réelles à y créer des institutions qui préserveront efficacement la possibilité de ne pas être d'accord".
Principaux ouvrages de Friedman : Study in the Quanty Theory of Money (Théorie quantitative de la monnaie), 1956 ;
Capitalism and Freedom, 1963 (trad. française Capitalisme et Liberté, Laffont, 1971).
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