Que se passe-t-il dans l’université française ? Un puissant mouvement de révolte agite les facultés. Nous ne parlons pas des professionnels de la grève, de l’UNEF au Snes-sup, qui ont participé massivement à la grève nationale du 29 janvier [2009]. Nous parlons de l’agitation qui s’est emparée des enseignants, professeurs en tête. Ce qui est étonnant cette fois, c’est que l’agitation a commencé dans les facultés de droit ou d’économie, réputées moins agitées que les lettres ou les sciences. Et surtout que, à coté des mouvements syndicaux contestataires, la puissante fédération autonome de l’enseignement supérieur, qui regroupe plutôt les professeurs « modérés » de rang magistral et qui, comme elle le reconnaît elle-même, n’a pas l’habitude d’appeler à la grève, est entrée dans la danse.
Ce qui est en cause, c’est le projet de décret concernant le statut des enseignants-chercheurs. C’est une conséquence de la loi LRU de Valérie Pecresse. Il est vrai que le statut des enseignants n’avait pas bougé depuis la loi de 1984. Ce qui est contesté dans ce projet de décret, c’est que l’essentiel du pouvoir en matière de gestion des carrières, géré jusqu’à maintenant avant tout au niveau central (par des organismes comme le CNU, conseil national des universités) et par les règles strictes et uniformes, serait décentralisé.
Et c’est là que les ambigüités commencent. En effet, en pleine logique avec la loi LRU, l’essentiel des pouvoirs passe dans les mains du président de l’université et accessoirement de son conseil d‘administration, qui lui est étroitement lié. En effet, le système électoral absurde mis en place, qui prévoit au maximum 7 professeurs et 7 maîtres de conférences dans le conseil d‘administration, ne peut qu’aboutir à 6 élus d’une tendance et 1 d’une autre (système mi-majoritaire, mi proportionnel), et donne en fait largement le pouvoir à ceux qui peuvent déposer des listes transdisciplinaires (les syndicats) qui élisent des présidents à leur image, sauf exception (Il y a pire, lorsque l’on trouve 6 professeurs et un maitre de conférences d’une tendance et 1 professeur et 6 MCF d’une autre : dans ce cas, l’arbitrage est fait par les élus du personnel administratif (CGT en tête) ou étudiant (UNEF en tête) !
Le projet de décret prévoit donc que le déroulement des carrières (changement de classe, promotions), les primes diverses et surtout la modulation des services dépendrait pour l’essentiel des décisions des présidents et de leur CA. En particulier, tous les professeurs ne seront plus soumis au même service d’enseignement (la recherche constituant l’autre pan de leurs activités), mais celui-ci pourrait être alourdi pour les uns (si le président juge qu’ils ne font pas assez de recherche) ou diminué pour les autres, qui auraient moins de cours à faire, étant « de bons chercheurs ». Les universitaires ont peur de ce pouvoir exorbitant des présidents et du risque d’arbitraire ou de copinage personnel ou syndical, même si l’évaluation de l’activité serait faite tous les quatre ans au niveau national (CNU).
Où est l’ambigüité ? Elle réside dans le fait que la plupart de ceux qui protestent contre le décret le font non seulement par peur de l’arbitraire des présidents, mais aussi de ce qu’ils appellent (y compris pour le syndicat autonome) la « dérégulation de l’institution » et « la dérégulation des statuts ». Et le syndicat autonome, à notre grande déception, d’affirmer que « l’excès de dérégulation a montré où il conduisait dans le domaine financier, économique, mais aussi social : le gouvernement attend-il l’implosion que ses dérégulations préparent dans l’université ? ». Au fond, il y a ici la peur de tous les conservatismes (de droite comme de gauche) contre tout changement et a fortiori contre toute remise en cause d’une règle nationale uniforme.
Et les libéraux dans cette affaire ? Logiquement, ils devraient donc bondir de joie. Et ce n’est pas le cas. Pourquoi ? Parce que la réforme proposée n’est pas libérale. Ce n’est pas de la décentralisation, encore moins de la mise en concurrence, tout au plus de la déconcentration et encore au profit de présidents, en général prisonniers des syndicats. Dans un système universitaire libéral, comme aux USA, il est vrai que chaque professeur passe un contrat avec son université. Les niveaux de salaires, les avantages matériels, les obligations de service changent d’une personne à l’autre. Et il est bien logique de ne pas traiter le prix Nobel comme le professeur débutant.
Mais il y a une logique d’ensemble : les universités sont en concurrence ; il n’y a pas de statut national des professeurs ; si l’on n’apprécie pas un contrat, on peut en chercher un autre meilleur ailleurs ; bien entendu, si les universités sont libres de choisir leurs professeurs, elles sont libres de recruter et donc de sélectionner leurs étudiants et de trouver leurs financements où elles l’entendent, y compris en faisant payer les étudiants. Dans ces conditions, un étudiant, comme un professeur, d’une université réputée n’est pas traité comme quelqu’un d’une université de seconde catégorie. Enfin, dans de telles universités, les présidents de département sont eux-mêmes sous le contrôle d’un conseil d’administration tout à fait indépendant, qui juge de la qualité des résultats de l’université, suivant des critères de rentabilité (c’est le cas de la plus grande université américaine, celle de l’Arizona) ou de renommée scientifique (nombre et qualité des publications) ou des deux.
En France, comme toujours, les réformes sont des demies-réformes. Certes, les libéraux savent bien l’arbitraire du système actuel centralisé : le poids des syndicats ou des réseaux existe aussi au niveau du CNU ; mais transférer les choses au niveau du président, sans rien modifier fondamentalement d’autre dans le système, n’a pas de sens. Que pourra faire un professeur que le président traite mal ? Va-t-il démissionner ? Qui peut dire qu’il y a concurrence avec l’existence de diplômes nationaux ? Que signifie le fait de pouvoir choisir ses professeurs, mais pas ses étudiants ?
Au fond, les libéraux se trouvent face à ce projet un peu comme face à la décentralisation à la française (ils sont contre, car il n’y a pas de vraie décentralisation fiscale, mais ils se retrouvent contre en même temps que les vrais jacobins) ou comme face au traité européen (ils sont contre parce qu’il est trop bureaucratique et se retrouvent contre en même temps que tous les socialistes, qui le trouvent trop libéral). Concernant le statut des universitaires, les libéraux trouvent le décret actuel mauvais sur certains points essentiels, mais pas pour la même raison que les contestataires professionnels ou les jacobins centralisateurs partisan d’un égalitarisme accru. Pour l’instant on nous donne le choix entre l’arbitraire national et l’arbitraire local. Le libre contrat, c’est quand même autre chose que l’arbitraire.