178
modifications
m |
m |
||
Ligne 27 : | Ligne 27 : | ||
Les contraintes qui s'imposent à l'anthropologie étudiant des mythes archaïques ou au phonologue leur interdisent en second lieu d'analyser les mythes ou systèmes phonétiques comme des produits de l'''activité humaine'' (ce qu'ils ''sont'' pourtant à l'évidence). La métaphysique structuraliste, procédant ici encore par généralisation et par réification, tire de ces conditions particulières une proposition méthodologique et une proposition ontologique. ''Proposition méthodologique'' : les phénomènes sociaux sont le produit ou la manifestation de structures et ne sauraient être analysés comme le résultat de l'action des hommes. ''Proposition ontologique'' : seules les structures ont une existence « réelle »; les individus sont de simples apparences ou de purs « supports de structures ». Ils n'ont d'intérêt que dans la mesure où ils permettent aux structures de se manifester. Et lorsque les individus ne sont pas réduits à être des « supports de structures » et sont décrits par le sociologue structuraliste comme étant capables de comportements « stratégiques » (mot souvent abusivement tenu pour synonyme de « intentionnel »), on ne tarde pas à découvrir que ces comportements intentionnels ne sauraient qu'aboutir à la reproduction des structures ou, selon les passions idéologiques du sociologue, à leur évolution dans une direction prescrite par le sens de l'Histoire. Adam Smith et Darwin ne sont, selon Foucault, que des manifestations particulières de la « structure épistémique » de leur temps. Le « moi » qui tenait un rôle fondamental dans la trilogie classique de Freud (''surmoi'', ''moi'', ''ça'') disparaît, comme l'a montré Turkle, dans la version structuraliste que Lacan a donnée de la doctrine psychanalytique. L'individu devient selon Lacan le simple support des structures inconscientes qui l'habitent (le ''ça''). Les agents sociaux de la sociologie d'inspiration structuraliste sont de même, quant à eux, de simples supports ou, au mieux, des truchements consentants ou aveugles, à travers lesquels s'expriment, se réalisent, se reproduisent ou évoluent les structures sociales. Quant aux « structures sociales », elles sont généralement réduites à quelques variables arbitrairement choisies, dont on suppose qu'elles dominent l'ensemble des variables caractérisant le système social. Sur ce point encore il importe de noter le contraste avec un auteur comme Tocqueville : la « centralisation administrative » n'est pas posée ''a priori'' comme une variable essentielle. Son importance est au contraire démontrée ''a posteriori''. Par contraste, les variables de stratification, elles-mêmes condensées dans la distinction sommaire classe dominante / classe dominée, sont ''a priori'' posées par les sociologues structuralistes comme les variables essentielles. On peut par exemple ignorer l'existence de l'État puisqu'il est entendu qu'il est nécessairement au service de la classe dominante. <ref>cf. article '''État''' du ''Dictionnaire ...''</ref>. | Les contraintes qui s'imposent à l'anthropologie étudiant des mythes archaïques ou au phonologue leur interdisent en second lieu d'analyser les mythes ou systèmes phonétiques comme des produits de l'''activité humaine'' (ce qu'ils ''sont'' pourtant à l'évidence). La métaphysique structuraliste, procédant ici encore par généralisation et par réification, tire de ces conditions particulières une proposition méthodologique et une proposition ontologique. ''Proposition méthodologique'' : les phénomènes sociaux sont le produit ou la manifestation de structures et ne sauraient être analysés comme le résultat de l'action des hommes. ''Proposition ontologique'' : seules les structures ont une existence « réelle »; les individus sont de simples apparences ou de purs « supports de structures ». Ils n'ont d'intérêt que dans la mesure où ils permettent aux structures de se manifester. Et lorsque les individus ne sont pas réduits à être des « supports de structures » et sont décrits par le sociologue structuraliste comme étant capables de comportements « stratégiques » (mot souvent abusivement tenu pour synonyme de « intentionnel »), on ne tarde pas à découvrir que ces comportements intentionnels ne sauraient qu'aboutir à la reproduction des structures ou, selon les passions idéologiques du sociologue, à leur évolution dans une direction prescrite par le sens de l'Histoire. Adam Smith et Darwin ne sont, selon Foucault, que des manifestations particulières de la « structure épistémique » de leur temps. Le « moi » qui tenait un rôle fondamental dans la trilogie classique de Freud (''surmoi'', ''moi'', ''ça'') disparaît, comme l'a montré Turkle, dans la version structuraliste que Lacan a donnée de la doctrine psychanalytique. L'individu devient selon Lacan le simple support des structures inconscientes qui l'habitent (le ''ça''). Les agents sociaux de la sociologie d'inspiration structuraliste sont de même, quant à eux, de simples supports ou, au mieux, des truchements consentants ou aveugles, à travers lesquels s'expriment, se réalisent, se reproduisent ou évoluent les structures sociales. Quant aux « structures sociales », elles sont généralement réduites à quelques variables arbitrairement choisies, dont on suppose qu'elles dominent l'ensemble des variables caractérisant le système social. Sur ce point encore il importe de noter le contraste avec un auteur comme Tocqueville : la « centralisation administrative » n'est pas posée ''a priori'' comme une variable essentielle. Son importance est au contraire démontrée ''a posteriori''. Par contraste, les variables de stratification, elles-mêmes condensées dans la distinction sommaire classe dominante / classe dominée, sont ''a priori'' posées par les sociologues structuralistes comme les variables essentielles. On peut par exemple ignorer l'existence de l'État puisqu'il est entendu qu'il est nécessairement au service de la classe dominante. <ref>cf. article '''État''' du ''Dictionnaire ...''</ref>. | ||
Le structuralisme (non au sens où le prend Piaget, celui d'« analyse structurelle », mais au sens où nous le prenons ici de dérapage métaphysique à partir de l'« analyse structurelle »), le structuralisme est, on l'a dit, un mouvement d'idée diffus qui s'est surtout développé en France. Pourquoi ? D'abord parce que le déclin de l'existentialisme vers la fin des années 50 laissait le champ libre à une nouvelle mode philosophique, que le Tout-Paris intellectuel paraît manifester une demande permanente en matière de modes philosophiques, et qu'il n'existe de structure équivalente au Tout-Paris intellectuel ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni en Italie, ni aux États-Unis par exemple (Clark). Ensuite parce que le structuralisme pouvait se parer du prestige scientifique dont bénéficièrent pendant un temps les découvertes de la linguistique et de l'anthropologie. Enfin, parce qu'un certain nombre d'auteurs de talent surent composer d'habiles synthèses verbales (ré)interprétant dans le langage structuraliste les textes sacrés de Freud, de Marx, de Nietzsche et de quelques autres. Mais si le structuralisme est une spécialité locale qui n'a guère fait tache d'huile et a pu être décrit par F. Alberoni, un observateur italien familier de la scène culturelle française, comme une illustration de l'« arroganza della cultura francese », c'est essentiellement que, en dépit des virtuosités verbales qui ont contribués à son succès et de la vocation que par définition il affiche à la « profondeur », il représente, dans ses formes métaphysiques, une régression intellectuelle. Comment, en gommant la marge d'autonomie laissée à l'agent ou à l'acteur social par les structures, en subsistant des typologies sommaires à la diversité des types sociaux, en ramenant la complexité structurelle des systèmes d'interdépendance et d'interaction à quelques variables auxquelles on accorde un primat arbitraire (variables de stratification par exemple), en accordant une inconditionnelle suprématie au « synchronique » par rapport | Le structuralisme (non au sens où le prend Piaget, celui d'« analyse structurelle », mais au sens où nous le prenons ici de dérapage métaphysique à partir de l'« analyse structurelle »), le structuralisme est, on l'a dit, un mouvement d'idée diffus qui s'est surtout développé en France. Pourquoi ? D'abord parce que le déclin de l'existentialisme vers la fin des années 50 laissait le champ libre à une nouvelle mode philosophique, que le Tout-Paris intellectuel paraît manifester une demande permanente en matière de modes philosophiques, et qu'il n'existe de structure équivalente au Tout-Paris intellectuel ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni en Italie, ni aux États-Unis par exemple (Clark). Ensuite parce que le structuralisme pouvait se parer du prestige scientifique dont bénéficièrent pendant un temps les découvertes de la linguistique et de l'anthropologie. Enfin, parce qu'un certain nombre d'auteurs de talent surent composer d'habiles synthèses verbales (ré)interprétant dans le langage structuraliste les textes sacrés de Freud, de Marx, de Nietzsche et de quelques autres. Mais si le structuralisme est une spécialité locale qui n'a guère fait tache d'huile et a pu être décrit par F. Alberoni, un observateur italien familier de la scène culturelle française, comme une illustration de l'« arroganza della cultura francese », c'est essentiellement que, en dépit des virtuosités verbales qui ont contribués à son succès et de la vocation que par définition il affiche à la « profondeur », il représente, dans ses formes métaphysiques, une régression intellectuelle. Comment, en gommant la marge d'autonomie laissée à l'agent ou à l'acteur social par les structures, en subsistant des typologies sommaires à la diversité des types sociaux, en ramenant la complexité structurelle des systèmes d'interdépendance et d'interaction à quelques variables auxquelles on accorde un primat arbitraire (variables de stratification par exemple), en accordant une inconditionnelle suprématie au « synchronique » par rapport au « diachronique », peut-on espérer faire progresser la connaissance des systèmes et processus sociaux ? | ||
modifications