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AUBURN (Alabama) de notre envoyé spécial | AUBURN (Alabama) de notre envoyé spécial | ||
Ils sont plus d’une centaine à être venus des quatre coins des | Ils sont plus d’une centaine à être venus des quatre coins des États-Unis, du Canada, d’Amérique latine, d’Europe, mais aussi de Singapour, de Tokyo, de Hongkong et de Brunei. Pour la plupart, des étudiants, et une poignée d’hommes d’affaires. Pourquoi se sont-ils retrouvés ici, à Auburn, cette modeste ville du sud-est des États-Unis peuplée de quelque 40 000 habitants. En temps ordinaire, la moitié de la population est constituée des étudiants de l’université d’Auburn. Mais, l’été, ce campus est vide. La chaleur est étouffante. Les quelques bars à bière ferment à 9 heures du soir. « Je m’ennuie tellement le dimanche que je suis allé à la messe », confie l’un de ces étranges pèlerins. Certes, il avait l’embarras du choix, car Auburn compte une église ou une chapelle à chaque coin de rue… | ||
Plus étrange encore, ces pèlerins viennent suivre des cours d’« économie autrichienne » sur tous les sujets classiques (monnaie, banque, entreprise, prix, salaires, profit, cycle, environnement, etc.) dans l’université d’été organisée, pour la dix-huitième année, par l’Institut Ludwig-von-Mises – un élégant bâtiment flambant neuf à l’extérieur du campus de l’université d’Auburn et sans rapport avec elle. Qu’est-ce que l’Autriche vient faire ici ? Le nom de Mises n’est connu que de quelques spécialistes. Comment peut-il se faire qu’un institut porte ce nom à des milliers de kilomètres de Vienne, la ville d’origine de Mises ? Comment peut-il attirer tant de zèle, tant de ferveur ? Et pourquoi est-il aujourd’hui au coeur de la pensée libertarienne américaine, voire mondiale ? | Plus étrange encore, ces pèlerins viennent suivre des cours d’« économie autrichienne » sur tous les sujets classiques (monnaie, banque, entreprise, prix, salaires, profit, cycle, environnement, etc.) dans l’université d’été organisée, pour la dix-huitième année, par l’Institut Ludwig-von-Mises – un élégant bâtiment flambant neuf à l’extérieur du campus de l’université d’Auburn et sans rapport avec elle. Qu’est-ce que l’Autriche vient faire ici ? Le nom de Mises n’est connu que de quelques spécialistes. Comment peut-il se faire qu’un institut porte ce nom à des milliers de kilomètres de Vienne, la ville d’origine de Mises ? Comment peut-il attirer tant de zèle, tant de ferveur ? Et pourquoi est-il aujourd’hui au coeur de la [https://www.wikiberal.org/wiki/Libertarianisme pensée libertarienne américaine], voire mondiale ? | ||
Cette histoire extraordinaire commence le 15 mars 1938, date de l’entrée des troupes allemandes en Autriche. Ou plutôt la veille même de l’Anschluss : un des commandos hitlériens dirigés par Himmler avait forcé la porte de l’appartement de Ludwig von Mises à Vienne pour empaqueter dans des caisses livres, dossiers, manuscrits et tous les objets de valeur qu’ils pouvaient ramasser – sauf Mises lui-même et sa femme, qui avaient déjà fui. | Cette histoire extraordinaire commence le 15 mars 1938, date de l’entrée des troupes allemandes en Autriche. Ou plutôt la veille même de l’Anschluss : un des commandos hitlériens dirigés par Himmler avait forcé la porte de l’appartement de Ludwig von Mises à Vienne pour empaqueter dans des caisses livres, dossiers, manuscrits et tous les objets de valeur qu’ils pouvaient ramasser – sauf Mises lui-même et sa femme, qui avaient déjà fui. | ||
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Il est vrai que Mises s’était fait connaître dans les cercles académiques en 1920 par un article qui démontrait l’impossibilité pour une économie socialiste d’éviter la faillite totale. Ainsi peut-on dire maintenant que Mises a été le tout premier à prévoir la chute du mur de Berlin. Le raisonnement est simple : toute planification implique des calculs économiques, lesquels ne peuvent se fonder que sur des prix réels. Or des prix réels ne peuvent procéder que d’échanges volontaires. De tels échanges impliquent que les échangistes soient propriétaires de ce qu’ils échangent. Or, dans une économie socialiste, les biens de production sont collectivisés. Donc aucun prix réel ne peut émaner de leurs échanges, et par conséquent aucun calcul économique n’est possible et les erreurs d’investissement sont inévitables. L’article de 1920 avait déclenché toute une polémique, car beaucoup d’économistes, même non socialistes, croyaient possible le calcul économique dans une économie collectiviste. | Il est vrai que Mises s’était fait connaître dans les cercles académiques en 1920 par un article qui démontrait l’impossibilité pour une économie socialiste d’éviter la faillite totale. Ainsi peut-on dire maintenant que Mises a été le tout premier à prévoir la chute du mur de Berlin. Le raisonnement est simple : toute planification implique des calculs économiques, lesquels ne peuvent se fonder que sur des prix réels. Or des prix réels ne peuvent procéder que d’échanges volontaires. De tels échanges impliquent que les échangistes soient propriétaires de ce qu’ils échangent. Or, dans une économie socialiste, les biens de production sont collectivisés. Donc aucun prix réel ne peut émaner de leurs échanges, et par conséquent aucun calcul économique n’est possible et les erreurs d’investissement sont inévitables. L’article de 1920 avait déclenché toute une polémique, car beaucoup d’économistes, même non socialistes, croyaient possible le calcul économique dans une économie collectiviste. | ||
La démonstration de Mises ne pouvait certes plaire aux nazis, qui avaient des prétentions de planification économique. Ce qui, à leurs yeux, empirait son cas, c’est qu’avec une acuité remarquable ils pressentaient qu’il était le plus authentique rejeton de l’« école autrichienne » fondée au siècle précédent par | La démonstration de Mises ne pouvait certes plaire aux nazis, qui avaient des prétentions de planification économique. Ce qui, à leurs yeux, empirait son cas, c’est qu’avec une acuité remarquable ils pressentaient qu’il était le plus authentique rejeton de l’« école autrichienne » fondée au siècle précédent par Carl Menger, et continuée par Eugen Böhm-Bawerk. Ce courant de pensée avait donné un fondement scientifique à la théorie subjective de la valeur. « La valeur est en nous, non dans les choses », résumera Mises. Aussi bien le métier de l’économiste est-il d’expliquer à l’homme ce qu’il fait, non ce qu’il doit faire. Il essaie d’expliquer le prix du tabac, de l’alcool, de la marijuana, non leurs bienfaits ou leurs méfaits. Rien à voir avec la « valeur-travail » issue de l’école anglaise (Adam Smith, Ricardo), reprise par Marx. Rien à voir non plus avec l’économie positiviste professée en Allemagne, et qui s’enfonçait dans l’impasse de l’historicisme, en entassant des montagnes de « faits historiques » irréductibles les uns aux autres. | ||
:::Ludwig von Mises | :::Ludwig von Mises |