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Les barbares devenus chrétiens pour mieux gouverner un peuple chrétien, furent aussi superstitieux qu'ils étaient ignorants. On leur persuada que pour n'être pas rangés parmi les boucs quand la trompette annoncerait le jugement dernier, il n'y avait d'autre moyen que d'abandonner à des moines une partie des terres conquises. Ces bourgraves, ces châtelains, ne savaient que donner un coup de lance du haut de leurs chevaux à un homme à pied ; et quelques moines savaient lire et écrire. Ceux-ci dressèrent les actes de donation ; et quand ils en manquèrent, ils en forgèrent. | Les barbares devenus chrétiens pour mieux gouverner un peuple chrétien, furent aussi superstitieux qu'ils étaient ignorants. On leur persuada que pour n'être pas rangés parmi les boucs quand la trompette annoncerait le jugement dernier, il n'y avait d'autre moyen que d'abandonner à des moines une partie des terres conquises. Ces bourgraves, ces châtelains, ne savaient que donner un coup de lance du haut de leurs chevaux à un homme à pied ; et quelques moines savaient lire et écrire. Ceux-ci dressèrent les actes de donation ; et quand ils en manquèrent, ils en forgèrent. | ||
Cette falsification est aujourd'hui si avérée, que de mille chartres anciennes que les moines produisent on en trouve à peine cent de véritables. Montfaucon, moine lui-même, l'avouait, et il ajoutait qu'il ne répondait pas de l'authenticité de cent bonnes Chartres. Mais, soit vraies, soit fausses, ils eurent toujours l'adresse d'insérer dans les donations la clause de mixtwn et merum imperium, et homines servos. | Cette falsification est aujourd'hui si avérée, que de mille chartres anciennes que les moines produisent on en trouve à peine cent de véritables. Montfaucon, moine lui-même, l'avouait, et il ajoutait qu'il ne répondait pas de l'authenticité de cent bonnes Chartres. Mais, soit vraies, soit fausses, ils eurent toujours l'adresse d'insérer dans les donations la clause de ''mixtwn et merum imperium, et homines servos''. | ||
Ils se mirent donc aux droits des conquérants. De là vint qu'en Allemagne tant de prieurs, de moines devinrent princes, et qu'en France ils furent seigneurs suzerains, ce qui ne s'accordait pas trop avec leur vœu de pauvreté. Il y a même encore en France des provinces entières où les cultivateurs sont esclaves d'un couvent. Le père de famille qui meurt sans enfants n'a d'autres héritiers que les bernardins, ou les prémontrés, ou les chartreux, dont il a été serf pendant sa vie. Un fils qui n'habite pas la maison paternelle à la mort de son père voit passer tout son héritage aux mains des moines. Une fille qui, s'étant mariée, n'a pas passé la nuit de ses noces dans le logis de son père est chassée de cette maison, et demande en vain l'aumône à ces mêmes religieux à la porte de la maison où elle est née. Si un serf va s'établir dans un pays étranger et y fait une fortune, cette fortune appartient au couvent. Si un homme d'une autre province passe un an et un jour dans les terres de ce couvent, il en devient esclave. On croirait que ces usages sont ceux des Cafres ou des Algonquins. Non, c'est dans la patrie des L'Hospital et des d'Aguesseau que ces horreurs ont obtenu force de loi ; et les d'Aguesseau et les L'Hospital n'ont pas même osé élever leur voix contre cet abominable abus. Lorsqu'un abus est enraciné, il faut un coup de foudre pour le détruire. | Ils se mirent donc aux droits des conquérants. De là vint qu'en Allemagne tant de prieurs, de moines devinrent princes, et qu'en France ils furent seigneurs suzerains, ce qui ne s'accordait pas trop avec leur vœu de pauvreté. Il y a même encore en France des provinces entières où les cultivateurs sont esclaves d'un couvent. Le père de famille qui meurt sans enfants n'a d'autres héritiers que les bernardins, ou les prémontrés, ou les chartreux, dont il a été serf pendant sa vie. Un fils qui n'habite pas la maison paternelle à la mort de son père voit passer tout son héritage aux mains des moines. Une fille qui, s'étant mariée, n'a pas passé la nuit de ses noces dans le logis de son père est chassée de cette maison, et demande en vain l'aumône à ces mêmes religieux à la porte de la maison où elle est née. Si un serf va s'établir dans un pays étranger et y fait une fortune, cette fortune appartient au couvent. Si un homme d'une autre province passe un an et un jour dans les terres de ce couvent, il en devient esclave. On croirait que ces usages sont ceux des Cafres ou des Algonquins. Non, c'est dans la patrie des L'Hospital et des d'Aguesseau que ces horreurs ont obtenu force de loi ; et les d'Aguesseau et les L'Hospital n'ont pas même osé élever leur voix contre cet abominable abus. Lorsqu'un abus est enraciné, il faut un coup de foudre pour le détruire. | ||
Cependant les cultivateurs ayant acheté enfin leur liberté des rois et de leurs seigneurs dans la plupart des provinces de France, il ne resta plus de serfs qu'en Bourgogne, en Franche-Comté, et dans peu d'autres cantons ; mais la campagne n'en fut guère plus soulagée dans le royaume des Francs. Les guerres malheureuses contre les Anglais, les irruptions imprudentes en Italie, la valeur inconsidérée de François Ier, enfin les guerres de religion qui bouleversèrent la France pendant quarante années, ruinèrent l'agriculture au point qu'en 1598 le duc de Sully trouva une grande partie des terres en friche, faute, dit-il, de bras et de facultés pour les cultiver. Il était dû par les colons plus de vingt millions pour trois années de taille. Ce grand ministre n'hésita pas à remettre au peuple cette dette alors immense ; et dans quel temps ! lorsque les ennemis venaient de se saisir d'Amiens, et que Henri IV courait hasarder sa vie pour le reprendre. | Cependant les cultivateurs ayant acheté enfin leur liberté des rois et de leurs seigneurs dans la plupart des provinces de France, il ne resta plus de serfs qu'en Bourgogne, en Franche-Comté, et dans peu d'autres cantons ; mais la campagne n'en fut guère plus soulagée dans le royaume des Francs. Les guerres malheureuses contre les Anglais, les irruptions imprudentes en Italie, la valeur inconsidérée de François Ier, enfin les guerres de religion qui bouleversèrent la France pendant quarante années, ruinèrent l'agriculture au point qu'en 1598 le duc de Sully trouva une grande partie des terres en friche, ''faute'', dit-il, de ''bras et de facultés pour les cultiver''. Il était dû par les colons plus de vingt millions pour trois années de taille. Ce grand ministre n'hésita pas à remettre au peuple cette dette alors immense ; et dans quel temps ! lorsque les ennemis venaient de se saisir d'Amiens, et que Henri IV courait hasarder sa vie pour le reprendre. | ||
Ce fut alors que ce roi, le vainqueur et le père de ses sujets, ordonna qu'on ne saisirait plus, sous quelque prétexte que ce fût, les bestiaux des laboureurs et les instruments de labourage. « Règlement admirable, dit le judicieux M. de Forbonnais, et qu'on aurait dû toujours interpréter dans sa plus grande étendue à l'égard des bestiaux, dont l'abondance est le principe de la fécondité des terres, en même temps qu'elle facilite la subsistance des gens de la campagne. » | Ce fut alors que ce roi, le vainqueur et le père de ses sujets, ordonna qu'on ne saisirait plus, sous quelque prétexte que ce fût, les bestiaux des laboureurs et les instruments de labourage. « Règlement admirable, dit le judicieux M. de Forbonnais, et qu'on aurait dû toujours interpréter dans sa plus grande étendue à l'égard des bestiaux, dont l'abondance est le principe de la fécondité des terres, en même temps qu'elle facilite la subsistance des gens de la campagne. » | ||
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Ses vingt millions furent bientôt dissipés, ses grands projets anéantis, tout rentra dans la confusion. | Ses vingt millions furent bientôt dissipés, ses grands projets anéantis, tout rentra dans la confusion. | ||
Marie de Médicis, sa veuve, administra fort mal le bien de Louis XIII son pupille. Ce pupille, nommé le Juste, fit assassiner sous ses yeux son premier ministre, et mettre en prison sa mère pour plaire à un jeune gentilhomme d'Avignon, qui gouverna encore plus mal ; et le peuple ne s'en trouva pas mieux. Il eut à la vérité la consolation de manger le cœur du maréchal d'Ancre, mais il manqua bientôt de pain. | Marie de Médicis, sa veuve, administra fort mal le bien de Louis XIII son pupille. Ce pupille, nommé ''le Juste'', fit assassiner sous ses yeux son premier ministre, et mettre en prison sa mère pour plaire à un jeune gentilhomme d'Avignon, qui gouverna encore plus mal ; et le peuple ne s'en trouva pas mieux. Il eut à la vérité la consolation de manger le cœur du maréchal d'Ancre, mais il manqua bientôt de pain. | ||
Le ministère du cardinal de Richelieu ne fut guère signalé que par des factions et par des échafauds ; tout cela bien examiné, depuis l'invasion de Clovis jusqu'à la fin des guerres ridicules de la Fronde, si vous en exceptez les dix dernières années de Henri IV, je ne connais guère de peuple plus malheureux que celui qui habite de Bayonne à Calais, et de la Saintonge à la Lorraine. | Le ministère du cardinal de Richelieu ne fut guère signalé que par des factions et par des échafauds ; tout cela bien examiné, depuis l'invasion de Clovis jusqu'à la fin des guerres ridicules de la Fronde, si vous en exceptez les dix dernières années de Henri IV, je ne connais guère de peuple plus malheureux que celui qui habite de Bayonne à Calais, et de la Saintonge à la Lorraine. | ||
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Il est si faux que ce grand homme abandonnât le soin des campagnes, que le ministère anglais, sachant combien la France avait été dénuée de bestiaux dans les temps misérables de la Fronde, et proposant en 1667 de lui en vendre d'Irlande, il répondit qu'il en fournirait à l'Irlande et à l'Angleterre à plus bas prix. | Il est si faux que ce grand homme abandonnât le soin des campagnes, que le ministère anglais, sachant combien la France avait été dénuée de bestiaux dans les temps misérables de la Fronde, et proposant en 1667 de lui en vendre d'Irlande, il répondit qu'il en fournirait à l'Irlande et à l'Angleterre à plus bas prix. | ||
Cependant c'est dans ces belles années qu'un Normand nommé Boisguilbert, qui avait perdu sa fortune au jeu, voulut décrier l'administration de Colbert, comme si les satires eussent pu réparer ses pertes. C'est ce même homme qui fit depuis la Dîme royale sous le nom du maréchal de Vauban, et cent barbouilleurs de papier s'y trompent encore tous les jours.<ref>Même erreur que dans ''L’Homme aux quarante écus''. Voir infra, p.91</ref> Mais les satires ont passé, et la gloire de Colbert est demeurée. | Cependant c'est dans ces belles années qu'un Normand nommé Boisguilbert, qui avait perdu sa fortune au jeu, voulut décrier l'administration de Colbert, comme si les satires eussent pu réparer ses pertes. C'est ce même homme qui fit depuis la ''Dîme royale'' sous le nom du maréchal de Vauban, et cent barbouilleurs de papier s'y trompent encore tous les jours.<ref>Même erreur que dans ''L’Homme aux quarante écus''. Voir infra, p.91</ref> Mais les satires ont passé, et la gloire de Colbert est demeurée. | ||
Avant lui on n'avait nul système d'amélioration et de commerce. Il créa tout, mais il faut avouer qu'il fut arrêté dans les œuvres de sa création, par les guerres destructives que l'amour dangereux de la gloire fit entreprendre à Louis XIV. Colbert avait fait passer au conseil un édit par lequel il était défendu, sous peine de mort, de proposer de nouvelles taxes et d'en avancer la finance pour la reprendre sur le peuple avec usure. Mais à peine cet édit fut-il minuté, que le roi eut la fantaisie de punir les Hollandais ; et cette vaine gloire de les punir obligea le ministre d'emprunter, dans le cours de cette guerre inutile, quatre cent millions de ces mêmes traitants qu'il avait voulu proscrire à jamais. Ce n'est pas assez qu'un ministre soit économe, il faut que le roi le soit aussi. | Avant lui on n'avait nul système d'amélioration et de commerce. Il créa tout, mais il faut avouer qu'il fut arrêté dans les œuvres de sa création, par les guerres destructives que l'amour dangereux de la gloire fit entreprendre à Louis XIV. Colbert avait fait passer au conseil un édit par lequel il était défendu, sous peine de mort, de proposer de nouvelles taxes et d'en avancer la finance pour la reprendre sur le peuple avec usure. Mais à peine cet édit fut-il minuté, que le roi eut la fantaisie de ''punir'' les Hollandais ; et cette vaine gloire de les punir obligea le ministre d'emprunter, dans le cours de cette guerre inutile, quatre cent millions de ces mêmes traitants qu'il avait voulu proscrire à jamais. Ce n'est pas assez qu'un ministre soit économe, il faut que le roi le soit aussi. | ||
Vous savez mieux que moi, monsieur, combien les campagnes furent accablées après la mort de ce ministre. On eût dit que c'était à son peuple que Louis XIV faisait la guerre. Il fut réduit à opprimer la nation pour la défendre : il n'y a point de situation plus douloureuse. Vous avez vu les mêmes désastres renouvelés avec plus de honte pendant la guerre de 1756. Qu'on songe à cette suite de misères à peine interrompue pendant tant de siècles, et on pourra s'étonner de la gaieté dont la nation se pique. | Vous savez mieux que moi, monsieur, combien les campagnes furent accablées après la mort de ce ministre. On eût dit que c'était à son peuple que Louis XIV faisait la guerre. Il fut réduit à opprimer la nation pour la défendre : il n'y a point de situation plus douloureuse. Vous avez vu les mêmes désastres renouvelés avec plus de honte pendant la guerre de 1756. Qu'on songe à cette suite de misères à peine interrompue pendant tant de siècles, et on pourra s'étonner de la gaieté dont la nation se pique. | ||
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Cet apologue frappa toute la compagnie. Le procureur fiscal alla procéder ailleurs ; et nous partîmes le bonhomme et moi dans ma charrette qu'on appelait carrosse, pour aller au plus vite voir le roi. | Cet apologue frappa toute la compagnie. Le procureur fiscal alla procéder ailleurs ; et nous partîmes le bonhomme et moi dans ma charrette qu'on appelait carrosse, pour aller au plus vite voir le roi. | ||
Quand nous approchâmes de Pontoise, nous fûmes tout étonnés de voir environ dix à quinze mille paysans qui couraient comme des fous en hurlant, et qui criaient : les blés, les marchés ! les marchés, les blés ! Nous remarquâmes qu'ils s'arrêtaient à chaque moulin, qu'ils le démolissaient en un moment, et qu'ils jetaient blé, farine, et son dans la rivière. J'entendis un petit prêtre qui, avec une voix de Stentor, leur disait : Saccageons tout, mes amis, Dieu le veut ; détruisons toutes les farines, pour avoir de quoi manger. | Quand nous approchâmes de Pontoise, nous fûmes tout étonnés de voir environ dix à quinze mille paysans qui couraient comme des fous en hurlant, et qui criaient : ''les blés, les marchés ! les marchés, les blés !'' Nous remarquâmes qu'ils s'arrêtaient à chaque moulin, qu'ils le démolissaient en un moment, et qu'ils jetaient blé, farine, et son dans la rivière. J'entendis un petit prêtre qui, avec une voix de Stentor, leur disait : Saccageons tout, mes amis, Dieu le veut ; détruisons toutes les farines, pour avoir de quoi manger. | ||
Je m'approchai de cet homme ; je lui dis : Monsieur, vous me paraissez échauffé, voudriez-vous me faire l'honneur de vous rafraîchir dans ma charrette ? j'ai de bon vin. Il ne se fit pas prier. Mes amis, dit-il, je suis habitué de paroisse. Quelques-uns de mes confrères et moi nous conduisons ce cher peuple. Nous avons reçu de l'argent pour cette bonne œuvre. Nous jetons tout le blé qui nous tombe sous la main, de peur de la disette. Nous allons égorger dans Paris tous les boulangers pour le maintien des lois fondamentales du royaume. Voulez-vous être de la partie ? | Je m'approchai de cet homme ; je lui dis : Monsieur, vous me paraissez échauffé, voudriez-vous me faire l'honneur de vous rafraîchir dans ma charrette ? j'ai de bon vin. Il ne se fit pas prier. Mes amis, dit-il, je suis habitué de paroisse. Quelques-uns de mes confrères et moi nous conduisons ce cher peuple. Nous avons reçu de l'argent pour cette bonne œuvre. Nous jetons tout le blé qui nous tombe sous la main, de peur de la disette. Nous allons égorger dans Paris tous les boulangers pour le maintien des lois fondamentales du royaume. Voulez-vous être de la partie ? |
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