Le réchauffement de la planète est devenu un problème trop sérieux pour être laissé aux écologistes. La Grande-Bretagne l'a compris. Tony Blair a confié à un économiste de renom, Nick Stern, le soin de rédiger un rapport de 700 pages sur les conséquences du changement de climat. Publié il y a huit jours, ce texte est devenu immédiatement une référence mondiale.
La France est restée, elle, dans le politicard et l'émotionnel. Les partis Verts continuent de se perdre dans d'inénarrables combats de chefs, et voilà que le pays, oubliant Descartes, porte aux nues une vedette de la télévision et que les candidats à la présidence de la République se l'arrachent.
Que l'on se comprenne bien : Nicolas Hulot est sûrement très utile pour mobiliser les consciences, comme Coluche a été utile pour créer les Restos du coeur. Mais, de même que l'initiative de l'amuseur n'a pas fait diminuer la pauvreté, celle de l'animateur ne va pas refroidir la température de la planète d'un milliardième de milliardième de degré.
M. Hulot propose "un nouveau contrat entre les Français et le président de la République" prévoyant cinq propositions et dix mesures à mettre en oeuvre sur le territoire national. Rappelons que la France est responsable de 1,5 % des émissions mondiales de CO2 : 368 millions de tonnes sur 24 milliards. Les Français auraient beau élire un vice-président tout vert comme le souhaite M. Hulot, rouler à vélo et couper le courant, cela ne changerait strictement rien au ciel.
Sans doute, répondent les écolos. Mais "il faut bien montrer l'exemple" ! Nous voilà au coeur de leur stratégie : avoir mauvaise conscience, se serrer la ceinture, entrer volontairement dans " la culture de la modération". Au besoin, il faut contraindre les récalcitrants par la force (à Paris, par exemple) pour sauver la planète. Les hommes roulent-ils toujours en 4 × 4, veulent-ils la "clim" (parce que, justement, il commence à faire chaud, vous ne trouvez pas ?) et la Terre continue-t-elle de bouillir ? C'est parce qu'on n'a pas assez expliqué, que la prise de conscience n'est pas assez haute dans la hiérarchie de l'Etat, que le capitalisme et les industriels (hou ! hou !) refusent de "produire autrement" et de faire "des produits qui durent et qui soient réparables". Changeons le capitalisme, diminuons la croissance !
Cette salade verte, arrosée par Dieu et Malthus, idéologisée, séduit en France. L'écologie y est devenue la dernière manière de lutter contre le capitalisme. Mais elle n'a aucune chance de convaincre ailleurs. C'est une version première (et encore douce) de cette stratégie qui a présidé au fameux protocole de Kyoto, lequel impose aux pays signataires des restrictions chiffrées d'émissions de CO2 par rapport à 1990. Le malheur est que ça n'a pas marché. Les Etats-Unis n'ont pas ratifié le protocole, le Canada vient de s'en retirer. Aucun pays émergent n'est concerné alors que la Chine deviendra la plus grosse "pollueuse" dans dix ans. En Europe, seules la Grande-Bretagne et la Suède respectent leur ordre de marche. La France à peine.
Entre-temps, sur la lancée, expose le rapport Stern, l'atmosphère, qui comprend 430 parts par million (ppm) de gaz à effet de serre (contre 280 ppm avant la révolution industrielle), en contiendra trois fois plus en 2100. La température montera de 2 °C ou 3 °C en 2050 et de 3 °C à 10 °C en 2100. Et de souligner l'ampleur du problème en rappelant que le thermomètre est aujourd'hui plus haut de seulement 5 °C par rapport à l'ère glaciaire.
Pourquoi l'échec ? Parce que la gestion du climat pose une question inédite à l'humanité, "un défi biblique", dit justement Martin Wolf dans le Financial Times : il faut que tout le monde participe et qu'il n'y ait pas de gros malin profitant, sans rien faire, des efforts des autres. La méthode du cri d'alarme, de l'exemplarité et de la restriction volontaire défaille. Elle se heurte en outre, quoi qu'en disent les militants Verts, à des incertitudes scientifiques.
Pas sur la réalité du réchauffement ni sur la responsabilité de l'homme (encore que Claude Allègre a bien raison de maintenir des doutes), mais sur les conséquences de ce réchauffement. Ensuite parce que les solutions en appellent à un retour des Etats à une coopération entre eux, ce qui déplaît aux pays libéraux (la très grande majorité), qui craignent cet étatisme et redoutent qu'il ne débouche sur un immense gâchis d'argent.
Comment convaincre les réticents, et d'abord les États-Unis et la Chine ? Sûrement pas en leur proposant la "modération", et encore moins de changer le capitalisme. Nicolas Stern inverse le point de vue : c'est le réchauffement qui menace la croissance, et non pas le contraire. "Le monde n'a pas à choisir entre "éviter le changement climatique" et "promouvoir la croissance et le développement". L'évolution des technologies énergétiques et les mutations des appareils économiques font que la croissance n'est pas antinomique avec la réduction des gaz à effet de serre." Il faut bien sûr faire prendre conscience (comme les écolos ou Al Gore), taxer le CO2 (comme M. Hulot, mais à l'échelle mondiale), mais à la condition de décupler les efforts de recherche et de développement sur les énergies propres.
Pas moins de croissance, mais plus de science. Ajoutons : plus de nucléaire.