Différences entre les versions de « Raymond Boudon:Structuralisme »

aucun résumé de modification
(Page créée avec « {{Infobox Raymond Boudon}} {{titre|Structuralisme|Raymond Boudon & François Bourricaud|Article du ''Dictionnaire critique de la sociologie'', 1982.}} <div class="text... »)
 
Ligne 5 : Ligne 5 :
Ce vocable désigne un mouvement d'idées diffus et complexe qui s'est développé dans le domaine des sciences sociales au cours années 1960 principalement, pour ne pas à peu près exclusivement, sur la scène française.
Ce vocable désigne un mouvement d'idées diffus et complexe qui s'est développé dans le domaine des sciences sociales au cours années 1960 principalement, pour ne pas à peu près exclusivement, sur la scène française.


A l'origine, le structuralisme apparaît comme une tentative méthodologique pour étendre à d'autres sciences sociales les bénéfices de la révolution « structuraliste » telle qu'elle passait pour s'être développée en linguistique. La philologie classique s'était principalement orientée vers la description ''historique'' des langues dans leurs différentes composantes (vocabulaire, syntaxe, etc). Par contraste, la linguistique « structurale » se propose d'analyser la « structure » des langues. L'exemple de la phonologie permet d'illustrer aisément la signification de la notion de structure <ref>cf. article ''Structure'' du ''Dictionnaire critique de la sociologie''</ref> dans ce contexte. La phonologie « classique » se donne pour objectif la détermination des phonèmes (c'est-à-dire des sons élémentaires) des langues. Eventuellement, elle s'efforce de décrire l'évolution de ces phonèmes dans le temps ou leur variation d'une région à l'autre; de comparer les stocks de phonèmes de l'allemand à ceux du français, etc. La phonologie « structurale » se soucie plutôt, quant à elle, d'établir que l'ensemble des phonèmes d'une langue forme un ''système'' cohérent, capable de constituer un support « commode » et économique aux processus de communication. Considérons par exemple les phonèmes de l'anglais. Selon Jakobson, ils représentent tous des combinaisons de 12 « traits distinctifs » binaires élémentaires : « vocalique/non vocalique », « consonnantique/non consonnantique », « grave/aigu », « nasal/oral », « continu/instantané », etc. Ces 12 traits binaires peuvent en théorie donner lieu à 2^12 = 4096 combinaisons ou phonèmes possibles. En réalité, la plupart des langues (dont l'anglais) n'utilisent que quelques dizaines de phonèmes au total. Naturellement, les phonèmes réels ne représentent pas une « sélection » aléatoire des phonèmes possibles : ils représentent un « système » de combinaisons distinctifs élémentaires dont la phonologie structurale se propose précisément d'analyser la « stucture » <ref>cf. article ''Structure'' et ''Système'' du ''Dictionnaire critique de la sociologie''</ref>.
A l'origine, le structuralisme apparaît comme une tentative méthodologique pour étendre à d'autres sciences sociales les bénéfices de la révolution « structuraliste » telle qu'elle passait pour s'être développée en linguistique. La philologie classique s'était principalement orientée vers la description ''historique'' des langues dans leurs différentes composantes (vocabulaire, syntaxe, etc). Par contraste, la linguistique « structurale » se propose d'analyser la « structure » des langues. L'exemple de la phonologie permet d'illustrer aisément la signification de la notion de structure <ref>cf. article '''Structure''' du ''Dictionnaire critique de la sociologie''</ref> dans ce contexte. La phonologie « classique » se donne pour objectif la détermination des phonèmes (c'est-à-dire des sons élémentaires) des langues. Eventuellement, elle s'efforce de décrire l'évolution de ces phonèmes dans le temps ou leur variation d'une région à l'autre; de comparer les stocks de phonèmes de l'allemand à ceux du français, etc. La phonologie « structurale » se soucie plutôt, quant à elle, d'établir que l'ensemble des phonèmes d'une langue forme un ''système'' cohérent, capable de constituer un support « commode » et économique aux processus de communication. Considérons par exemple les phonèmes de l'anglais. Selon Jakobson, ils représentent tous des combinaisons de 12 « traits distinctifs » binaires élémentaires : « vocalique/non vocalique », « consonnantique/non consonnantique », « grave/aigu », « nasal/oral », « continu/instantané », etc. Ces 12 traits binaires peuvent en théorie donner lieu à 2^12 = 4096 combinaisons ou phonèmes possibles. En réalité, la plupart des langues (dont l'anglais) n'utilisent que quelques dizaines de phonèmes au total. Naturellement, les phonèmes réels ne représentent pas une « sélection » aléatoire des phonèmes possibles : ils représentent un « système » de combinaisons distinctifs élémentaires dont la phonologie structurale se propose précisément d'analyser la « stucture » <ref>cf. article ''Structure'' et ''Système'' du ''Dictionnaire critique de la sociologie''</ref>.


La distinction entre phonologie « classique » et phonologie « structurale » et plus généralement, entre linguistique « classique » et linguistique « structurale » retrouve dans le domaine de l'étude des langues des distinctions familières et anciennes, explicitement ou implicitement reconnues par plusieurs sciences sociales. Ainsi on peut analyser les institutions sociales de manière descriptive. Mais on peut aussi s'interroger sur la structure du système constitué par l'ensemble des institutions d'une société. Cette perspective, qu'on peut appeler ''structurelle'', est par exemple celle qu'adopte Montesquieu dans ''L'esprit des lois'' : régimes politiques, institutions juridiques, organisation sociale et familiale tendent, selon Montesquieu, à former des touts cohérents, des « structures » comme on dirait aujourd'hui, excluant nombre de combinaisons possibles d'un point de vue strictement combinatoire, mais difficilement concevables d'un point de vue sociologique. Il faut toutefois souligner que Montesquieu <ref>cf. article ''Montesquieu'' du ''Dictionnaire critique de la sociologie''</ref> se garde d'affirmer que les divers éléments d'un système social s'impliquent les uns les autres de façon nécessaire : que certaines combinaisons soient exclues n'entraîne pas que les combinaisons réalisées et observables soient d'une rigoureuse cohérence. On retrouve la même perspective chez Tocqueville : ''L'Ancien Régime et la Révolution'' montre comment le caractère centralisé de l'administration française a rendu le « système » social et politique français très différent dans sa structure du système anglais. Si on se tourne vers des auteurs modernes, on observe par exemple la même perspective chez Murdock. Dans ''Social Structure'' cet auteur a montré, à partir de données concernant un ensemble de sociétés archaïques que les règles de résidence (matrilocale, patrilocale, etc.) de transmission du patrimoine, de filiation (patrilinéaire, matrilinéaire, etc.), les règles relatives de la prohibition de l'inceste, le vocabulaire utilisé pour désigner les divers types de relation de parenté, etc., constituent des « structures » au sens où elles sont des combinaisons non aléatoires, un type de règle de résidence ayant par exemple plus de chance d'être associé à un certain type de règle de filiation et à certaines institutions matrimoniales qu'à d'autres. Mais, chez Murdock comme chez Montesquieu, on a affaire à une conception ''minimaliste'' plutôt que ''maximaliste'' de la cohérence des systèmes institutionnels sont donc assimilables, non à des implications ''strictes'' de type logique (si A, alors B), mais à des implications ''faibles'' de type stochastique (si A, alors plus souvent B). Autre exemple : l'opposition sociologique classique — et qui ne va pas sans poser des problèmes — entre sociétés « traditionnelles » et sociétés « modernes » peut être considérée comme un exemple d'analyse « structurelle » : les deux types de sociétés sont caractérisés ou supposés être caractérisés par des ensembles de traits qui s'opposent terme à terme.
La distinction entre phonologie « classique » et phonologie « structurale » et plus généralement, entre linguistique « classique » et linguistique « structurale » retrouve dans le domaine de l'étude des langues des distinctions familières et anciennes, explicitement ou implicitement reconnues par plusieurs sciences sociales. Ainsi on peut analyser les institutions sociales de manière descriptive. Mais on peut aussi s'interroger sur la structure du système constitué par l'ensemble des institutions d'une société. Cette perspective, qu'on peut appeler ''structurelle'', est par exemple celle qu'adopte Montesquieu dans ''L'esprit des lois'' : régimes politiques, institutions juridiques, organisation sociale et familiale tendent, selon Montesquieu, à former des touts cohérents, des « structures » comme on dirait aujourd'hui, excluant nombre de combinaisons possibles d'un point de vue strictement combinatoire, mais difficilement concevables d'un point de vue sociologique. Il faut toutefois souligner que Montesquieu <ref>cf. article ''Montesquieu'' du ''Dictionnaire critique de la sociologie''</ref> se garde d'affirmer que les divers éléments d'un système social s'impliquent les uns les autres de façon nécessaire : que certaines combinaisons soient exclues n'entraîne pas que les combinaisons réalisées et observables soient d'une rigoureuse cohérence. On retrouve la même perspective chez Tocqueville : ''L'Ancien Régime et la Révolution'' montre comment le caractère centralisé de l'administration française a rendu le « système » social et politique français très différent dans sa structure du système anglais. Si on se tourne vers des auteurs modernes, on observe par exemple la même perspective chez Murdock. Dans ''Social Structure'' cet auteur a montré, à partir de données concernant un ensemble de sociétés archaïques que les règles de résidence (matrilocale, patrilocale, etc.) de transmission du patrimoine, de filiation (patrilinéaire, matrilinéaire, etc.), les règles relatives de la prohibition de l'inceste, le vocabulaire utilisé pour désigner les divers types de relation de parenté, etc., constituent des « structures » au sens où elles sont des combinaisons non aléatoires, un type de règle de résidence ayant par exemple plus de chance d'être associé à un certain type de règle de filiation et à certaines institutions matrimoniales qu'à d'autres. Mais, chez Murdock comme chez Montesquieu, on a affaire à une conception ''minimaliste'' plutôt que ''maximaliste'' de la cohérence des systèmes institutionnels sont donc assimilables, non à des implications ''strictes'' de type logique (si A, alors B), mais à des implications ''faibles'' de type stochastique (si A, alors plus souvent B). Autre exemple : l'opposition sociologique classique — et qui ne va pas sans poser des problèmes — entre sociétés « traditionnelles » et sociétés « modernes » peut être considérée comme un exemple d'analyse « structurelle » : les deux types de sociétés sont caractérisés ou supposés être caractérisés par des ensembles de traits qui s'opposent terme à terme.
178

modifications