Dans son Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains, Philippe Nemo a montré que la vie politique depuis 1800 se structure en trois grandes familles, la droite, la gauche et la démocratie libérale. Les individus de chacune de ces familles ont en commun un certain modèle de la société, pas forcément explicite ; c’est à travers ce modèle qu’ils pensent la société et l’ordre social, qui garantit stabilité, prospérité et réussite. Selon les manière dont on voit l’ordre social, il y a autant de manières de voir le désordre social, les difficultés, les risques d’échec, d’horreur et de barbarie. Il y a trois grands paradigmes d’ordre social. Leurs schémas ne sont pas explicites mais sous-jacents, même quand ils sont perçus explicitement par ceux pour qui ils forment un horizon indépassable.
A l’origine, il y a la société primitive, l’ordre sacral : les choses sont ce qu’elles sont parce que les dieux en ont décidé ainsi, dans leurs dimensions cosmique et sociale : le réel est ordonné par les dieux. Si bien que ce type d’ordre ne peut être modifié, car celui qui entreprendrait cette critique se mettrait contre les dieux et serait accusé de sorcellerie par les autres membres du groupe. C’est pourquoi les sociétés primitives sont des sociétés fixistes.
Les Grecs ont fait la découverte extraordinaire qu’il y a des ordres qui ne sont pas intangibles mais variables dans le temps et dans l’espace. Ils avaient en effet colonisé la Méditerranée, rencontré nombre d’ethnies différentes ayant chacune leurs us et coutumes singuliers. Mais ils avaient vu que, sous ces ethnies différentes, il y avait une même nature humaine, des besoins identiques, des comportements communs, universels et nécessaires. Ils en avaient déduit qu'un ordre pouvait être changé, précisément parce qu’il n’était pas nécessaire et universel. Ils ont ainsi distingué ce qui était par nature de ce qui était du fait d’une création humaine, physis et nomos.
Cette distinction entre nature et artifice était un grand progrès. Mais ces deux modèles d’ordre se sont révélés insuffisants pour décrire d’autres réalités sociales. Il y a un troisième type d’ordre ni artificiel ni naturel, mais culturel : il a de commun avec l’artificiel qu’il est créé par les hommes et qu’il change dans le temps et l’espace, et il a de commun avec le naturel qu’il n’est pas modifiable à volonté par les hommes parce qu’il est le fruit de millions d’essais et d’erreurs par toute la collectivité qui finit par trouver des structures stables. One peut pas s’en écarter arbitrairement. Ce troisième type d’ordre est appelé spontané ou auto organisé. Par exemple, appartiennent à ce type d’ordre le langage et la morale, le marché et le droit, finalement toute la culture.
Les plus grands penseurs des Temps modernes sont ceux qui ont identifié ce troisième type d’ordre et qui ont compris que la liberté, c’est à dire le pluralisme, pouvait, sous certaines conditions, créer de l’ordre, alors que du point de vue de la loi naturelle tout ce qui est initiative nouvelle est désordre, car on ne peut s’écarter des exigences de la nature. De la même façon, par rapport à une conception artificialiste de l’ordre, n’est ordonné que ce qui est pensé par l’esprit humain. Donc la liberté par rapport à ces préconceptions est perçue comme un désordre. Cela a été un vrai progrès intellectuel d’avoir compris que, dans certains cas et sous certaines conditions, la liberté, le polycentrisme, le pluralisme, étaient capables de créer de l’ordre, mais encore un type d’ordre d’une efficience sans commune mesure avec celle des ordres artificiels pensés par les hommes ni avec celle des ordres naturels.
Lorsque les grands penseurs ont décliné ce modèle sur le registre politique, cela a donné la démocratie; lorsqu’ils l’ont appliqué à la vie de la pensée et à la vie économique, cela a donné le libéralisme. Dans la vie des idées, la liberté de penser, la liberté de recherche scientifique sont causes du progrès des sciences; dans la vie économique, la liberté produit un optimum économique. Une fois posées ces bases de la démocratie libérale, on a pu assister à la révolution industrielle, à l’émergence de la modernité, à l’extraordinaire croissance scientifique, technologique, économique et démographique qui la caractérise, déterminant un bouleversement complet du visage du monde.
Face à ce bouleversement, il y a eu deux types de réactions qui ont émané de ceux qui n’avaient pas accédé à cette pensée supérieure et continuaient à penser l’ordre selon les deux vieux modèles de l’ordre naturel ou de l’ordre artificiel.
- Il y a ceux qui refusent ce monde moderne ou qui en sont effrayés : la droite. Ils pensent qu’il faut revenir à la société naturelle dont on n'aurait jamais dû s’écarter. C’est l’époque du romantisme. On idéalise cette société agricole et artisanale qu’on croit " naturelle " et l’on refuse le monde de l’industrie et de la ville.
- En face, il y a ceux qui ne pensent l’ordre qu’à travers le prisme de l’artificialisme et estiment que la liberté empêche d’organiser la société conformément à une Idée : la gauche. Ils vont réagir à cette émergence de la démocratie libérale par une fuite en avant dans l’utopie, avec la volonté de construire une société nouvelle, qui serait plus efficace et plus juste.
La question de la famille. Position de la droite
Pour la droite, qui rêve donc du retour à une société naturelle, il faut se garder absolument de la liberté individuelle, car elle est dissolvante, et il faut, par conséquent, préserver ou reconstituer autant qu’il est possible les groupes humains ou cette liberté n’existe pas. Une solidarité, une organicité, si vous voulez, des rapports entre les hommes qui constituent un ordre. La droite, cultive le thème des " communautés naturelles " ou " corps intermédiaires " - thème constant depuis le duc de Saint-Simon ou Boulainvilliers jusqu'à Maurras ou La Tour du Pin, sans oublier Montesquieu. Ces deux expressions insistent sur deux aspects de la même chose, et se référent toutes deux aux " communautés naturelles " d’Aristote. Dans ces communautés naturelles, les membres ont des fonctions différenciées et complémentaires. Par exemple, dans la famille, il y a les parents et les enfants, le mari et la femme, les maîtres et les serviteurs.
Le monde d’Aristote est un monde fixe. L’idée est que, de la même façon qu’il y a dans la nature une hiérarchie éternelle, au sein de l’humanité il y a des communautés emboîtées les unes dans les autres d’une façon permanente et éternelle. Le bonheur, la perfection existe quand ces structures naturelles sont respectées, d’où la condamnation par Aristote du grand commerce : celui-ci permet d’amasser de très grands capitaux et déforme les proportions de chaque membre dans le corps de la cité. L’illimitation de la spéculation est un cancer de la nature familiale et civique.
Cette idée qu’il faut respecter la structure des communautés naturelles est reprise par saint Thomas, puis par les penseurs de droite. Le monde moderne est littéralement cancéreux. Les rôles sociaux sont redistribués sans mesure, tout est en désordre. D’où la doctrine qu’il faut protéger les communautés naturelles, famille, corporation (base par métier), seigneurie, province (base territoriale). La famille est vue sous un jour clanique, aristocratique (comme chez Tocqueville) : un nom, un patrimoine à conserver : d’où le droit d’aînesse (que la " démocratie " supprime au grand dam de Tocqueville). Il faut que chacun se perçoive comme un chaînon dans la longue chaîne du clan. Tout ce qui dissout les communautés amène le néant et le malheur.
Position de la gauche
La gauche est au contraire l’adversaire des communautés naturelles et de la famille, car le socialisme, entend recréer une unique famille, le groupe tribal en fusion. L’existence de corps intermédiaire entre l’Etat et les individus est un obstacle à la vision socialiste. Le corps intermédiaire le plus coriace, c’est la famille, et voilà pourquoi elle est la cible privilégiée de toute les théories socialistes, et ceci depuis les premières doctrines socialistes connues.
Cela commence avant Platon, au temps des Sophistes. Chez Platon même, il y a cette théorie fameuse du communisme des gardiens et de la communauté des femmes et des enfants, dûment argumentée. Il faut que les gardiens soient unis pour pouvoir veiller sur le troupeau de la cité et pour qu’il soit " un ", il ne faut pas qu’ils soient divisés en familles, car dans ce cas il y aura une vie privée, des patrimoines, des rivalités. Il faut donc que les femmes soient en commun, et les enfants aussi car on ne saura pas de qui ils sont. Pour Platon ce sera un gage d’unité. Et par conséquent la famille est supprimée.
Chez les auteurs socialistes ultérieurs, on retrouve de façon récurrente la même thèse. C’est chez eux une idée fixe. On dirait que toute leur énergie est constamment dirigée à la destruction de la famille. Quelques exemple, chez Thomas More, dans l’Utopie, chez Campanella, Cité du Soleil. More supprime la liberté des familles mais ne prône pas la communauté des femmes, alors que Campanella prône celle-ci. La famille est supprimée. Ce qui ne veux pas dire que la sexualité est libre, pas plus que chez Platon : elles est soigneusement réglée par les magistrats, comme chez Platon qui se référait à Sparte, avec un souci d’eugénisme. La suppression de la famille va avec la communauté des biens, plus de chez soi, d’espace privé. Chez Campanella, on distribue à chaque individu des maisons et des meubles mais on change tous les six mois pour qu’il ne s’attache pas à un lieu.
Marx, dans le Manifeste, dit de façon ironique que c’est le capitalisme qui a détruit la famille : les bourgeois n’achètent-ils pas les femmes ? Les mariages sont intéressés et par conséquent, c’est une logique marchande à l’œuvre et non la vieille logique de la famille. Chez Fourrier, le phalanstère est une destruction programmée de la famille: la famille enferme dans une structure et force des personnes à vivre ensemble des relations fixes. SI une seule passion est satisfaite, les autres sont sacrifiées. Il faut que toutes soient satisfaites et qu’on puisse donc " papillonner ".
Dans les Temps modernes, la gauche, chaque fois qu’elle a exercé une part ou la totalité du pouvoir politique a accompli en pratique, autant qu’elle a pu, cette destruction de la famille voulue par la doctrine. Philippe Nemo raconte qu'il a eu le privilège de dîner, peu de temps avant sa mort, avec Jean Imbert, le grand spécialiste de l’histoire du droit privé. Il lui a demandé : "comment jugez-vous le monde moderne?" - "Une effroyable décadence, car nous avons détruit le droit de la famille. Divorce pour faute grave, puis par consentement mutuel, puis par consentement d’un seul conjoint : le mariage n’a plus de valeur juridique ! La baisse de l’âge de la majorité, 18 ans maintenant alors qu’elle a été pendant très longtemps à 21 ans (chez les Romains, à 25 ans)".
La majorité, c’est l’âge de l’autonomie. Or les jeunes restent de plus en plus longtemps chez leurs parents. Et l’on fait obligation aux parents de subvenir de plus en plus longtemps aux besoins de leurs enfants (notamment une loi oblige les parents à financer le logement de leurs enfants s’ils ne veulent pas habiter chez eux). Cela signifie qu’on crée une liberté sans autonomie ni responsabilité, en clair la zizanie au sein de la famille. Les parents n’ont plus d’autorité : ils ont l’obligation juridique d’entretenir leurs enfants presque sans limite dans le temps s’ils sont étudiants, mais, à 18 ans, ceux-ci peuvent faire absolument ce qu’ils veulent et d’ailleurs même avant, puisque la rumeur publique veut qu’ils soient adultes dès la puberté.
Autre mesure dont le sens est transparent quand on la voit dans l’optique de cette obsession socialiste à détruire la famille. Les infirmières scolaires sont aujourd’hui autorisées à administrer la " pilule du lendemain " aux jeunes filles sans l’autorisation des parents et même sans même que les parents soient informés. Le gouvernement Jospin a fait cela par circulaire, laquelle a été annulée par le conseil d’Etat puisque c’était contraire au droit fondamental des parents, et à leur devoir d’être responsable de la santé de leurs enfants. La pilule est un médicament et le fait d’administrer un médicaments à un enfant sans l’autorisation des parents est illégal. Qu’à cela ne tienne, les socialistes ont changé la loi. Aujourd’hui, si votre fille de 13 ans est enceinte, l’infirmière scolaire est censée s’en occuper mieux que vous. Le simple fait de faire savoir à la fille qu’elle peut aller voir l’infirmière scolaire qui sera complice contre ses parents, c’est un signal qui lui dit que ses parents sont ses ennemis. Evidemment, si une jeune fille devient enceinte sans l’avoir désiré, qui pourra mieux l’aider que ses parents, qui l’aiment certainement plus que l’institution scolaire ? C’est désagréable pour la jeune fille, pendant 5 minutes, le temps qu’elle explique la chose à ses parents mais ils sont là pour cela et il peut arriver des tas de choses à leurs enfants pire que celle là. Donc vous avez l’idée que la vraie famille des lycéens, c’est l’Etat. Ce qui est absolument monstrueux, car l’infirmière scolaire qui va aider la jeune fille à prendre la pilule du lendemain ne sera pas là pour en assumer les conséquences. l’Etat est le pire des protecteurs, comme on le voit par les abus de l’assistance sociale.
Les socialistes ont systématiquement encouragé la libération sexuelle. Quand le sida a fait son apparition, vous vous souvenez des campagnes de presse hystériques contre Le Pen parce qu’il avait dit qu’il fallait prendre des mesures prophylactiques? Avec son goût des mauvaises plaisanteries, il avait parlé de sideum ou de sidatorium... On avait conclu qu’Hitler était revenu parmi nous. La gauche a été folle de rage. Elle faisait toute sorte de campagne selon lesquelles on ne courrait aucun danger pourvu qu’on mette des préservatifs : elle a manifesté sa terreur à l’idée que les jeunes pourraient ne plus pratiquer la sexualité précoce et hors mariage.
Ce n'est pas que les gens de gauche soient plus particulièrement portés sur le sexe que les autres, mais consciemment ou pas, ils pensent que si vous avez des activités sexuelles avant mariage, cela revient à retarder celui-ci, voire à le rendre inutile. Pourquoi se contraindre subitement à un moment? Leur attitude vis-à-vis du comportement sexuel des jeunes n’est pas seulement la reconnaissance d’un fait, c’est un encouragement actif. Et les campagnes de la gauche pour la libération sexuelle n’ont été qu’un aspect parmi d’autres de l’entreprise de destruction systématique de la famille.
L’intérêt, pour la gauche, de miner peu à peu la famille par un ensemble de mesures de ce type est qu’alors les individus se retrouvent comme des électrons libres. On cherche à déloger l’électron. Mais est-ce vraiment pour le libérer ? C’est toute la question. Et c’est là que certains libéraux se sont fourvoyés. Ils ont accompagné certaines de ces mesures, parce qu’ils ont cru que cela allait dans le sens des libertés : moins on est tenu par des lois, des structures, des moeurs, des solidarités, plus on est libre. La réponse est non car en réalité l’homme est ainsi fait qu’il ne peut pas vivre seul et encore moins l'enfant. Concrètement : dès que l’électron libre est chassé il est rendu disponible pour être immédiatement embrigadé dans d’autres structures. Tous ces jeunes que l’on a chassé de leurs familles, que l’on a chassé en condamnant les mouvements de jeunesse comme les scouts, tous ces jeunes se retrouvent libres pour faire quoi ? Pour aller à la fête de la musique de Jack Lang ou aux fêtes de Delanoé,
Quand vous êtes séparé de votre famille, dès lors que vous ne pouvez pas vivre seul, vous avez vocation à entrer immédiatement dans les familles de substitution que le socialisme vous propose, qui vont de la sécurité sociale aux cliniques de la MGEN, pour les enseignants, en passant par les maisons de retraites : quand elles n’ont pas de famille et dès lors qu’elles ne peuvent plus vivre seules, les personnes âgées sont condamnées à être socialisées dans des structures collectivistes. La destruction de la famille par les socialistes ne vise pas à libérer l’individu, mais à libérer l’individu des structures traditionnelles pour qu’il soit obligé d’entrer dans ces structures utopiques qui sont le but du socialisme.
La position des libéraux
Les libéraux, eux aussi, ont toujours travaillé à libérer les forces individuelles, entrepreneuriales, par exemple, en supprimant les corporations : c’est la grande œuvre de Turgot, supprimée après lui et rétablie par les révolutionnaires de 89, avec le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier... C’est parce qu’ils comprenaient la fécondité de l’économie de marché qu’ils ont libéré le travail, l’initiative économique, le commerce, la propriété. ils ont rendu mobile la propriété foncière en supprimant les derniers restes de féodalité qui liaient la propriété aux fonctions sociales de seigneurie. Les libéraux, eux aussi, ont cherché à dissoudre les communautés naturelles, parce qu’ils étaient guidés par l’idée qu’ils libéreraient des forces productives, et d’une façon plus générales, des forces créatrices. C’est vrai aussi sur le plan intellectuel : on a encouragé la liberté de pensée, d’expression, de publication par opposition au dogmatisme, à l’esprit de censure. Sur le plan intellectuel il y avait aussi de grandes " familles ", si l’on peut dire, qui étaient les Eglises. Tout le mouvement des Lumières a voulu libérer l’intellectuel, le penseur, qui pense seul et publie seul, et sous son nom, et qui n’est plus tenu d’avoir l’imprimatur ou le nihil obstat pour ses écrits. Ils ont fait route commune avec la gauche contre les communautés naturelles auxquelles la droite s’accrochait.
La question est de savoir jusqu’où les libéraux peuvent faire route commune avec la gauche dans ce sens.
Il y a une limite : on peut dissoudre les communautés naturelles, les pays, les corporations, la famille clanique. Mais il y a un butoir, la famille nucléaire, bourgeoise si vous voulez. On peut et on doit dissoudre les communautés qui sont au dessus de ce niveau ; mais lorsqu’on arrive à ce niveau, il faut s’arrêter et ne pas dissoudre ce qu’il y a au dessous, car, si on le fait, on libère des " électrons " qui vont immédiatement se réinvestir dans des familles de type socialiste.
La société de liberté suppose en effet des personnes libres. Or la famille nucléaire est le lieu où se forme cette personne libre. Si on détruit la famille, on détruit ce par quoi le libéralismFe existe, c’est à dire la personne libre. Comment expliquer cela ?
1) On peut se référer d’abord à Locke, qui a expliqué qu’il n’y a pas de liberté sans loi. En effet, l’ordre spontané c’est la société où chacun agit comme il l’entend, mais conformément à une loi, c’est-à-dire à une règle qui lui dit ce qu’il a le droit de faire et de ne pas faire. Moyennant quoi, quand j’agis librement, si je respecte la loi, je ne risque pas d’entrer en conflit avec autrui ou avec l’Etat. Il n’y a de liberté qu’avec une loi, la même pour tous, publique, stable, claire et précise. Et la loi est un guide intellectuel, non une force contraignante comme le pensait Hobbes : dès lors que je connais la loi, je sais ce que je peux faire ou ne pas faire si je ne veux pas entrer en conflit avec autrui. Pour Locke, seul peut être libre quelqu’un qui peut observer la loi.
Or seul le peut un être qui a atteint le plein développement de sa raison, ce qui, pour Locke, a lieu à 21 ans (il cite ce chiffre). Avant cette date, l’enfant ou l’adolescent n’a pas la maîtrise rationnelle de sa personnalité. Partant, il n’est pas capable de suivre la loi, il ne peut donc vivre librement dans la société de rule of law. Il ne peut arriver aux mineurs que des malheurs, devenir Hitler Jugen, aller aux fêtes de Jack Lang... Bref, ils ne peuvent faire que des bêtises ! Premier point, en citant Locke, l’acquisition de la raison.
2) Plus profondément, c’est dans la famille que se construit la personnalité psychologique, vraiment individuelle. Ce n’est que dans la famille que l’on est une personne, Pierre, Paul ou Martin. La personnalité se forge, elle n’existe pas dans le fœtus. Comme l’ont montré les psychologues (je pense à Paul Watzlavick, Une Logique de communication, Points Seuil), la personnalité se forge par les milliers d’actes de communication par lesquelles on est confirmé dans l’identité que l’on propose aux autres. On est confirmé dans sa personnalité. On n’acquiert sa personnalité de Pierre, Paul ou Martin, que si, pendant des années, quelqu’un vous a considéré comme Pierre, Paul ou Martin. Que si l’on a eu un père et une mère qui vous ont spontanément appris, par leur exemple quotidiennement présent, ce que c‘est d’être homme, ce que c’est d’être femme. Et nous savons bien que cette construction est très fragile. La psychopathologie montre les innombrables cas où elle n’aboutit pas. C’est la preuve a contrario du fait que, pour que les hommes soient entièrement construits, il faut qu’il y ait eu cette longue période où chacun, en miroir, s’est renvoyé sa propre personnalité. Et d’ailleurs, cela continue quand on est à son tour père ou mère car c’est en ayant des enfants qu’on forge sa personnalité de père ou de mère. Et les enfants continuent à forger la personnalité de leurs parents. Tout ceci est essentiel, pour des raisons qui tiennent à la nature humaine, et ne peut pas avoir lieu dans un groupe trop grand. Ce n’est pas en allant à la fête de Jack Lang qu’on peut construire sa personnalité. Là on n'est guère que des numéros, des zombies. On n’est quelqu’un que lorsqu’on est considéré comme tel par d’autres personnes, on n’a de sens de la dignité, et de l’égalité de dignité, que lorsqu’on a eu un long commerce avec des proches, parents, frères et sœurs, pour qui l’on était quelqu’un d’unique et d’irremplaçable. Ce qui n’a lieu que dans la famille.
3) La famille, c’est aussi le lieu où ont fait l’expérience de la propriété. Là encore, on peut discuter de la notion de patrimoine familial et on peut ne pas être d’accord avec la droite qui voulait conserver le grand patrimoine de la famille clanique avec cette notion emblématique du droit d’aînesse qui permet que le patrimoine ne soit pas divisé. Mais, même si l’on admet que chaque enfant hérite d’une partie seulement du patrimoine et le fasse fructifier à sa manière ensuite, l’idée même de patrimoine naît dans la famille. Sans famille, plus de patrimoine. Sans patrimoine, disparaît la possibilité de prendre des initiatives économiques, avec un point de départ et la sécurité de la liberté que l’on aura de pouvoir utiliser ce patrimoine pour en faire telle ou telle chose.
Plus généralement, la famille est le lieu où on fait l’expérience d’un espace privé. Personnalité et patrimoine, c’est la vie privée, par opposition à la vie publique. C’est justement pourquoi les socialistes sont en rage contre la famille : là se développe des personnalités qui échappent à l’Etat, qui échappent au groupe, qui ont leur propre continuité et légitimité. Dans la tradition libérale, l’Etat est l’instrument que la société civile se donne pour pouvoir continuer à vivre, créer, prospérer. Pour cela, elle a besoin de la paix, de l’ordre public, et l’instrument qui la lui apporte, c’est l’Etat. Mais tous les holismes pensent qu’il n’y a qu’une seule vie, qui est celle de l’Etat. Jamais l’individu n’est opposable à l’Etat. Au contraire, pour les libéraux, l’individu existe par lui-même. Mais cela n’a de sens que s’il a une activité propre. Si dans toutes ses activités il a été soumis à l’infirmière scolaire, au programme scolaire imposé par les syndicats, comment aurait-il pu forger sa personnalité ? Il n’a jamais constitué cette base qui lui permettra de revendiquer l’autonomie de la société civile face à l’Etat.
4) Plus généralement encore, la famille est le lieu où se transmettent des valeurs et des histoires indépendamment de l’Etat. Chaque famille a des expériences professionnelles, existentielles et cela constitue des histoires qui ont leur légitimité indépendamment de l’Etat. Il faut donc absolument protéger ce noyau de la famille, c’est-à-dire assumer la non-liberté de ses membres. Il ne faut pas qu’on puisse divorcer par simple décision individuelle. Il faut que l’enfant ne puisse pas partir faire ce qu’il veut, que les gendarmes le ramènent à la maison s'il fait des bêtises. Il y a des réalités juridiques précises quand on parle de protection de la famille. Il faut protéger la famille, c’est-à-dire assumer la non liberté de ses membres, jusqu’à ce qu’ils soient majeurs et qu’ils créent, à leur tour, s’ils le veulent, une famille. Il faut donc protéger la famille pour que la liberté soit possible. Par conséquent, toute politique qui consiste à accompagner la gauche dans son œuvre de destruction de la famille au delà du niveau butoir dont j’ai parlé est une politique imbécile, si elle se croit libérale, car elle coupe la branche même sur laquelle la liberté est établie.